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Donald Trump mis en examen : quelles conséquences pour sa candidature à la présidentielle de 2024 ?

Donald Trump en meeting
Des partisans de Donald Trump brandissent des pancartes dénonçant la « chasse aux sorcières » dont il est selon eux la cible, lors d’un meeting à Waco, au Texas, le 25 mars 2023. Suzanne Cordeiro/AFP

Un grand jury de Manhattan vient de mettre en examen l’ancien président Donald Trump. Les chefs d’inculpation exacts n’ont pas été rendus publics, mais ils sont liés à l’enquête ouverte par le procureur de Manhattan Alvin Bragg sur le versement d’une importante somme d’argent à une actrice de films pornographiques juste avant l’élection présidentielle de 2016.

C’est la première fois dans toute l’histoire du pays qu’un président ou ancien président des États-Unis est inculpé.

Pour autant, Trump ne va sans doute pas renoncer à sa campagne présidentielle qui doit, espère-t-il, lui permettre de retrouver en 2024 le poste qu’il a perdu en 2020 face à Joe Biden.

Quelles conséquences cette mise en examen et le procès sur lequel elle pourrait déboucher auront-ils sur la campagne et, si cette dernière est couronnée de succès, sur le mandat 2024-2028 de Donald Trump ?

Que dit la Constitution ?

L’article II de la Constitution américaine énonce des conditions très explicites pour l’exercice de la présidence : le président doit être âgé d’au moins 35 ans, résider aux États-Unis depuis au moins 14 ans et en être un citoyen de naissance.

Par le passé, dans des affaires comparables ayant trait à des membres du Congrès, la Cour suprême a statué que les conditions indiquées dans la Constitution pour accéder aux postes électifs représentaient un « plafond constitutionnel » et qu’aucune condition supplémentaire ne pouvait y être ajoutée d’aucune façon que ce soit.

Ainsi, puisque la Constitution n’exige pas que le président ne soit pas inculpé, condamné ou emprisonné, il s’ensuit qu’une personne inculpée ou emprisonnée peut se présenter à ce poste et peut même exercer la fonction présidentielle.

C’est la norme juridique qui s’applique à Donald Trump : selon la Constitution, son inculpation et son éventuel procès ne l’empêcheraient pas de se porter candidat et, le cas échéant, d’exercer la fonction suprême.

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Il n’en demeure pas moins qu’une inculpation et, à plus forte raison, une condamnation, sans même parler d’une peine d’emprisonnement, compromettraient considérablement la capacité d’un président à exercer ses fonctions. Et la Constitution ne fournit pas de réponse facile au problème que poserait l’exercice du pouvoir par un chef de l’exécutif aussi affaibli.

Que dit le ministère de la Justice ?

Un candidat à la présidence peut être inculpé, poursuivi et condamné par les autorités d’un des 50 États du pays ou par les autorités fédérales. L’inculpation pour un délit au niveau d’un État (ce qui est le cas dans l’affaire Trump/Daniels, le procureur de Manhattan relevant de l’État de New York) peut sembler moins importante que des accusations fédérales portées par le ministère de la Justice. Mais en fin de compte, le spectacle d’un procès pénal, qu’il se tienne dans un tribunal d’État ou dans un tribunal fédéral, aura nécessairement un impact majeur sur la campagne présidentielle d’un candidat et sur sa crédibilité de président s’il venait tout de même à être élu.

Des manifestants pro et anti-Trump devant le tribunal pénal du comté de New York alors que la nation attend la mise en accusation de Donald Trump par le bureau du procureur de Manhattan, Alvin Bragg, le 27 mars 2023 à New York. Spencer Platt/AFP

Tous les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit prouvée. Mais en cas de condamnation, une incarcération – que ce soit dans une prison d’État ou dans une prison fédérale – impliquerait évidemment des restrictions de liberté qui compromettraient considérablement la capacité du président à diriger le pays.

Le fait qu’il serait difficile à un président d’exercer ses fonctions s’il était mis en examen ou condamné a été souligné dans une note de service rédigée par le ministère de la Justice en 2000. Cette note s’inspirait d’une note antérieure intitulée « Possibilité pour le président, le vice-président et d’autres fonctionnaires de faire l’objet de poursuites pénales fédérales pendant qu’ils sont en fonction ». Cette dernière avait été rédigée en 1973, pendant le Watergate, quand le président Richard Nixon faisait l’objet d’une enquête pour son rôle dans ce scandale tandis que le vice-président Spiro Agnew faisait pour sa part l’objet d’une enquête du grand jury pour fraude fiscale.

Ces deux notes portaient sur la question de savoir si, en vertu de la Constitution, un président en exercice pouvait être inculpé pendant qu’il était en fonction. Les deux textes ont conclu que ce n’était pas le cas.

Mais qu’en serait-il d’un président inculpé, condamné, ou les deux… avant son entrée en fonctions, comme cela pourrait être le cas pour Trump ?

Les notes de 1973 et de 2000 mettent en évidence les conséquences d’une inculpation sur l’exercice de ses fonctions par le président, la note de 1973 employant des termes particulièrement forts : « Le spectacle d’un président inculpé essayant encore d’exercer ses fonctions de chef de l’exécutif dépasse l’imagination. »

De façon plus précise, les deux notes observent que des poursuites pénales à l’encontre d’un président en exercice pourraient entraîner « une interférence physique avec l’exercice par le président de ses fonctions officielles qui équivaudrait à une incapacité », ne serait-ce que parce qu’un procès pénal réduirait considérablement le temps que le président pourrait consacrer à ses lourdes fonctions… et parce que, naturellement, un tel procès pourrait aboutir à un emprisonnement du chef de l’État.

Un président emprisonné pourrait-il s’acquitter de ses fonctions essentielles ?

Selon la note de 1973, « le président joue un rôle à nul autre pareil dans l’exécution des lois, la conduite des relations extérieures et la défense de la nation ».

Ces fonctions essentielles nécessitent des réunions, des communications ou des consultations avec l’armée, les dirigeants étrangers et les représentants du gouvernement aux États-Unis et à l’étranger. Très difficilement envisageable pour un président se trouvant derrière les barreaux. C’est pourquoi le spécialiste du droit constitutionnel Alexander Bickel a fait remarquer en 1973 que « de toute évidence, la présidence ne peut pas être exercée depuis la prison ».

En outre, de nos jours, les présidents voyagent constamment dans leur pays et dans le monde pour rencontrer d’autres responsables locaux et internationaux, inspecter les conséquences des catastrophes naturelles sur le territoire national, célébrer les succès historiques du pays et les événements d’importance nationale ou échanger en personne avec des citoyens et leurs groupes représentatifs à propos de diverses questions d’actualité. Il est évident que tout cela serait impossible pour un président ne pouvant pas sortir de sa prison.

En outre, les présidents doivent pouvoir accéder à des informations classifiées et prendre part à des réunions d’information. Un emprisonnement rendrait cela particulièrement difficile, voire impossible, de telles informations devant souvent être stockées et consultées dans une pièce sécurisée, protégée contre toute forme d’espionnage par diverses mesures, y compris le blocage des ondes radio – ce qui n’est pas le cas des prisons.

En raison des diverses fonctions et obligations du président, les notes de 1973 et 2000 concluaient que « l’enfermement physique du chef de l’exécutif à la suite d’une condamnation empêcherait incontestablement le pouvoir exécutif d’exercer les fonctions qui lui sont assignées par la Constitution ».

Traduction : le président ne pourrait pas faire son travail.

Diriger le pays depuis une prison

Et si, malgré tout, les citoyens venaient à élire un président inculpé ou incarcéré ? Une telle perspective n’est pas une simple vue de l’esprit. Lors de l’élection de 1920, un candidat incarcéré, Eugene Debs, a recueilli près d’un million de voix sur un total de 26,2 millions de suffrages exprimés.

L’une des réponses possibles à une telle situation est contenue dans le 25e amendement, qui permet au cabinet du président de déclarer ce dernier « incapable de s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge ».

Les deux notes du ministère de la Justice notent toutefois que les auteurs du 25e amendement n’ont jamais envisagé ou mentionné l’incarcération comme motif d’incapacité à s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de la fonction présidentielle, et que remplacer le président en vertu du 25e amendement « ne donnerait pas suffisamment de poids au choix réfléchi du peuple quant à la personne qu’il souhaite voir occuper le poste de chef de l’exécutif ».

Tout cela rappelle la fameuse formule du juge Oliver Wendell Holmes (1841-1935), qui siégea à la Cour suprême des États-Unis de 1902 à 1932, sur le rôle de la Cour suprême : « Si mes concitoyens veulent aller en enfer, je les aiderai. C’est mon travail. »

Cette réflexion provient d’une lettre dans laquelle Holmes faisait part de son opinion sur le Sherman Antitrust Act. Tout en soulignant que, à titre personnel, il jugeait cette loi insensée, le juge indiquait qu’il était prêt à faire le nécessaire pour qu’elle soit mise en œuvre car elle traduisait la volonté populaire exprimée démocratiquement et relevant de l’autodétermination du peuple. Une réflexion similaire s’impose peut-être dans le cas de figure présent : si le peuple élit un président entravé par des sanctions pénales, il s’agira, là aussi, d’une manifestation de l’autodétermination des citoyens des États-Unis. Ce qui engendrerait une situation problématique à laquelle la Constitution ne propose pas de solution prête à emploi…

This article was originally published in English

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