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Donner sa place à l’expertise

Pancarte près du site l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Besoin d'expertise pour trancher. Ludovic/Flickr, CC BY-SA

L’actualité nous offre régulièrement des épisodes mettant en cause la question de l’expertise, pour illustrer soit sa sous-utilisation, soit son détournement. L’on apprend ainsi que, dans l’enquête publique sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un rapport d’experts préconisant l’abandon du projet d’aéroport a été soustrait du dossier par le préfet, tandis que le gouvernement préconise désormais un référendum abandonnant la décision au vote des citoyens alors même que le dossier est d’une grande complexité (double déni, donc, du travail des experts).

Au même moment, l’on apprend qu’un groupe d’experts sur les pesticides constitué pour conseiller la Commission européenne comprend deux personnes employées par des industries de l’agrochimie, au mépris de toutes les règles en matière de conflits d’intérêt (détournement, donc, de la fonction même de l’expert).

Une démocratie moderne ne peut pas fonctionner sans l’avis éclairé des experts, étant donné la complexité et la technicité de la plupart des problèmes appelant des décisions : ni le personnel politique ni les citoyens ne sont à même de maîtriser les connaissances nécessaires à une bonne décision.

Il est donc impératif de donner à l’expertise toute sa place, en exerçant un réel contrôle démocratique sur son fonctionnement. D’où la nécessité de :

  • réclamer une absolue transparence de la composition des comités d’experts, en la rendant publique suffisamment à l’avance pour permettre, s’il le faut, la récusation ;

  • exiger que les experts soient recrutés sur leur seule compétence dans le domaine en question, à l’exclusion de toute autre considération, notamment syndicale (par exemple : lorsque les commissions du CNRS chargées de recruter et de promouvoir les chercheurs comprennent pour moitié des chercheurs présentés par les syndicats) ;

  • contrôler étroitement non seulement l’absence de conflits d’intérêt, mais aussi l’absence de subordination hiérarchique entre membres d’un comité (par exemple : lorsque des responsables d’établissements culturels statuent sur des achats ou des subventions en présence d’administrateurs du ministère de la Culture dont dépend leur carrière) ;

  • exiger la publication des avis d’experts, de façon qu’aucune décision administrative ne puisse être prise sans qu’il soit permis aux citoyens, aux partis, aux associations, de contrôler soit son adéquation à l’avis rendu soit, en cas de contradiction, les raisons précises de sa non-prise en compte.

En matière d’expertise, la démagogie populiste, qui prétend donner tout pouvoir aux citoyens ordinaires, s’allie avec le cynisme intéressé des lobbys et la tendance à l’autocratie de certains hommes politiques pour tenter de délégitimer la compétence des chercheurs et le pouvoir des experts.

Il est temps d’affirmer que ce pouvoir, à condition qu’il soit exercé dans les règles, n’est rien d’autre que l’application de la connaissance à l’action politique ; et que l’irrespect de ce pouvoir n’est rien d’autre qu’un mépris de la valeur même du savoir.

Ce texte a été proposé comme contribution au « manifeste convivialiste » lancé notamment par Alain Caillé.

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