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Eau empoisonnée de Flint : « Un cas flagrant d’injustice environnementale »

L’eau « courante » de Flint. Joyca Zhu/Flint Water Study

Pour nombre de commentateurs, le scandale de l’eau empoisonnée au plomb de Flint (Michigan, États-Unis) est affaire d’origines communautaires et sociales. Il y a quelque jours, la maire de Flint, Karen Weaver, ne disait pas autre chose en déclarant : « Il s’agit d’une ville où résident des minorités. D’une ville pauvre. Nos voix ne sont pas entendues ». Nous avons contacté Robert D. Bullard, le doyen de la School of Public Affairs (Texas Southern University) et pionnier de la justice environnementale, pour comprendre la place de ces questions dans ce scandale de santé publique.

De quelle manière, selon vous, les agences gouvernementales auraient géré ce problème d’eau du robinet s’il avait touché une communauté majoritairement blanche appartenant à la classe moyenne ?

L’Agence de protection de l’environnement (EPA) des États-Unis et son bureau régional de Chicago auraient sans doute agi différemment si une telle crise s’était produite dans une banlieue majoritairement blanche de Detroit. Ce qui s’est passé à Flint est un exemple flagrant d’injustice environnementale. Au fur et à mesure des révélations sur cette affaire, il est devenu évident que la communauté concernée n’a pas été traitée comme il se doit. Tout s’est passé un peu comme si les personnes en charge des contrôles ne croyaient pas les habitants et que la santé de ces derniers n’importait pas.

En étudiant l’histoire de la justice environnementale, on voit que les communautés les plus pauvres mettent généralement plus de temps à se faire entendre. L’administration a reçu des plaintes au sujet de l’eau courante de Flint dès avril 2014. Si les contrôleurs du bureau de la qualité environnementale du Michigan avaient eu à consommer cette eau ou à la faire boire à leurs enfants, ils auraient réagi tout à fait différemment.

Vous avez écrit sur le rôle de l’appartenance communautaire dans la gestion des crises de santé publique par le gouvernement. Le scandale de Flint vous évoque-t-il d’autres cas ?

Cette situation m’a inspiré le titre d’un de mes ouvrages : [The Wrong Complexion for Protection : How the Government Response to Disaster Endangers African American Communities](http://nyupress.org/books/9780814799932/) . Pour les besoins de ce livre, nous avons passé en revue 80 ans de gestion de crise, des inondations de 1927 au Mississippi en passant par l’ouragan Katrina, en 2005, et la marée noire causée par BP en 2010. Nous avons découvert que le gouvernement mettait plus de temps à intervenir quand les populations concernées étaient de couleur.

Cette protection différenciée est une réalité. L’accès à un air respirable, à une eau potable et à des aires de jeu sûres est un droit que les groupes sociaux favorisés tiennent pour acquis. Pour les citoyens les plus pauvres et issus des minorités, il n’y a ni accès aux parcs, à l’éclairage public ou à l’eau potable, pas plus que de droit au logement. Ces difficultés environnementales s’accumulent dans ces quartiers et finissent par créer un contexte toxique. Il y a aussi l’absence de prise en compte des plaintes des habitants par l’administration : ce à quoi nous avons affaire à Flint a la même ampleur en termes de non-gestion des problèmes que ce qui s’est passé pour Katrina.

Distribution de bouteilles d’eau à Flint. Michigan State Police/Flickr, CC BY-ND

Pour quelles raisons, selon vous, l’administration reste-t-elle sourde aux plaintes des populations pauvres et issues des minorités ? Pensez-vous que c’est parce qu’elle pense que ces gens ne votent pas ou sont mal informés ?

Il n’y a pas d’impartialité à l’égard des citoyens pauvres. Quand les habitants de Flint se sont plaints de cette eau marronnasse qui sortait de leurs robinets, on a pensé, qu’après tout, ce n’était pas grand-chose et qu’ils pouvaient bien s’en accommoder. Cette attitude conduit à faire des quartiers où vivent ces populations défavorisées de véritables zones environnementales sacrifiées, où les installations polluantes sont concentrées : comme ces habitants supportent déjà les usines et les incinérateurs, un peu plus de pollution ne fera pas une grande différence.

Si vous essayez d’implanter des infrastructures industrielles dans les quartiers favorisés, les habitants mobiliseront avocats et experts, et feront entendre aux politiciens locaux que cette situation n’est pas envisageable. Il faut aussi garder présent à l’esprit que Flint, au bord de la faillite, est une ville placée sous le contrôle d’une autorité de tutelle. Les gens qui la gèrent la connaissent en fait très peu et y ont peu d’attaches personnelles.

Un de vos premiers livres, Dumping in Dixie, décrivait le racisme environnemental des États du sud des États-Unis. Pensez-vous que le problème se pose avec autant d’acuité dans d’autres régions des États-Unis, comme dans le Midwest ?

L’injustice environnementale n’est pas l’apanage du Sud. Dorceta Taylor et Paul Mohai (University of Michigan) ont montré que les Afros-Américains et les Latinos de Detroit sont plus impactés par la pollution et les incidents industriels. Ce qui est survenu à Flint est une sorte de conséquence logique de cet état de faits.

Peut-on envisager une évolution positive à Flint ?

Il est important de regarder comment fonctionnent les rapports entre les habitants et les agences de contrôle des différents États, entre les agences des États et les agences fédérales. L’Agence de protection de l’environnement possède dix bureaux à travers le pays et les rapports qu’ils entretiennent avec les agences des États laissent souvent de côté les populations concernées. La question centrale étant d’arriver à protéger les communautés les plus fragiles et à faire en sorte qu’elles soient entendues.

L’EPA a proposé d’amender sa réglementation pour empêcher la discrimination dans les programmes et initiatives qui bénéficient de financements fédéraux. La semaine passée, lors d’une rencontre organisée par l’EPA à Houston, j’ai expressément invité l’agence à renforcer son action contre la discrimination environnementale. Nous avons des lois sur lesquelles nous appuyer et elles devraient être renforcées. Les habitants de Flint ont le droit au même degré de protection que tous les autres Américains.

This article was originally published in English

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