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Conseil des dieux, par Raphael, 1518–19.

Éducation au fait religieux : où en est-on ?

On entend très régulièrement que l’enseignement des faits religieux devrait être assuré dans les collèges et lycées français. En fait, cela est fait depuis 1995.

L’impulsion a été donnée plus de dix ans plus tôt, en 1982, lors de l’assemblée générale de la Ligue de l’Enseignement, dans un climat d’inquiétude d’une perte des références culturelles chez les élèves. En 1990, les conférences du lycée Buffon, parues sous le titre La religion au lycée sous la houlette de Danielle Hervieu-Léger, en avaient montré l’urgence, mais le questionnement porte aussi sur la compréhension des autres cultures que l’on découvre dans l’extension des flux migratoires, et particulièrement l’islam.

C’est essentiellement à l’Histoire qu’est dévolue cette tache, et les programmes de 1995, conçus par Serge Berstein et Dominique Borne, soulignent la place de la dimension historique des religions et la nécessaire contextualisation dans leur étude en partant des textes et des œuvres pour approcher le religieux, et non plus seulement les grands épisodes de telle ou telle civilisation.

Au collège, il s’agit alors de comprendre les croyances des Grecs antiques, l’originalité de la religion des Hébreux, le milieu historique et spirituel de Jésus (en 6e), puis l’année suivante la naissance de l’islam et en 4e la Réforme protestante. Au lycée, la focale mise en seconde sur la naissance du christianisme, la rencontre des trois civilisations dans la Méditerranée du XIIe siècle, les Réformes du XVIe siècle décontenance nombre d’enseignants qui, à l’occasion d’un allégement du programme l’année suivante, font souvent le choix de faire l’impasse sur le christianisme.

Inquiétude des enseignants

Les nouveaux programmes de 2008 puis de 2016 ne remettent pas en question cette structure : après l’évocation des croyances dans les cités grecques et la Rome antiques, la naissance dans ce contexte polythéiste du « monothéisme juif », et le développement du christianisme naissant dans l’Empire en sixième, c’est aux contacts entre le christianisme et l’islam naissant qu’est consacré le début du programme de cinquième, et un point sur les réformes protestantes est fait en fin d’année. Un recadrage a même eu lieu en classe de Seconde puisque sont introduites la question de « La chrétienté médiévale », et en Terminale l’étude sur la société états-unienne confrontée au fait religieux depuis la fin du XIXe siècle.

Les élèves de terminale apprennent également l'histoire de la religion aux Etats-Unis. Eglise protestante de Weathersfield Center, Vermont. CC BY

Mais là encore, un allègement de programme permet en 2009 de supprimer cette dernière entrée qui avait soulevé bien des inquiétudes parmi le corps enseignant, certains ne se sentant pas « prêts » pour aborder un fait religieux qui, bien que décentré par rapport au cas français, soulevait la question des contestations de la science par des religieux et celle de la foi vive de populations récemment immigrées dans un contexte de société apparemment sécularisée. Pourtant, depuis les préconisations de Régis Debray en 2002, la formation des professeurs a en principe tenu compte de ce constat de déficit de savoir à propos des faits religieux…

On ne peut s’empêcher de faire quelques remarques plus générales sur ces programmes. Le fait religieux est abordé en fait dans deux situations d’enseignement. On l’a vu, il s’agit de présenter une religion à ses débuts, et dans ses dimensions plurielles (contexte, dogmes, pratiques, civilisation, dissensions).

Il est aussi abordé en des occasions éparses, par exemple la gestion de la question religieuse avec la Révolution française, la IIIe République, ou l’acculturation dans la colonisation de l’Amérique. En fait, il est regrettable que l’étude du fait religieux disparaisse au fur et à mesure que l’on s’approche de l’époque la plus contemporaine. Il n’est plus appréhendé pour le XXe siècle qu’au travers des conflits des Proche et Moyen-Orient. Quid du judaïsme depuis le Ier siècle, des évolutions de l’islam après le Xe siècle (notamment les mouvements de réforme dans un sens moderniste), des religions confrontées à la modernité aujourd’hui ?

À figer l’approche des religions au moment de leur apparition, le risque est grand de les fixer dans une intemporalité trompeuse qui gomme toute idée d’évolution selon les réalités sociales rencontrées, et de faire ainsi le jeu des fondamentalistes religieux à la recherche de l’immuabilité de leurs croyances et pratiques depuis l’origine. Une nouvelle adaptation semble donc nécessaire avec la réintroduction de sujets qui permettent d’étudier les mutations du religieux dans la modernité contemporaine, par exemple avec les mouvements de réforme des deux derniers siècles dans les mondes musulmans, mais aussi dans d’autres traditions où ils se heurtent aussi à des expressions extrémistes, ou la déprise des Églises, mais non de la foi qui explique la nouvelle visibilité du religieux.

N’oublions pas non plus que les nouveaux cours d’enseignement moral et civique abordent ce qu’est la laïcité en France, mais il faudrait davantage insister sur le consensus qui se dégage au niveau des démocraties dans le monde plutôt que de gloser sur une pseudo exception française en ce domaine. Il restera enfin à décomplexer les enseignants qui, comme tous les Français, ont une approche compliquée du religieux : c’est du moins ce qu’ont exprimé ceux qui ont participé aux formations au fait religieux dispensés dans le cadre des Assises des Religions et de la Laïcité à Lyon en ce mois d’octobre, rejoignant ainsi les aspirations du nombreux public qui a assisté avec enthousiasme à la cinquantaine de manifestations déjà proposées par l’Institut Supérieur d’Étude du Religieux et de la Laïcité.

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