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En Afrique, les leçons des réserves de biosphères pour vivre dans le respect de la  biodiversité

Une volée d'oiseaux près du lac Manyara, en Tanzanie.
Une volée d'oiseaux près du lac Manyara, en Tanzanie. Luc Janssens de Bisthoven, Author provided

Les « réserves de biosphère » sont autant de laboratoires vivants au sein desquels les hommes et la nature apprennent à coexister. Quatre sites pilotes en Afrique témoignent des bons résultats de cette démarche.

Si le rapport des humains à la nature est en constante évolution, nous sommes aujourd’hui témoins de changements écologiques et climatiques majeurs qui nous affectent tous. Dans ce contexte, nous devons développer de nouveaux concepts et trouver des solutions, nous détourner de pratiques bien ancrées dans nos vies pour aller vers un monde plus respectueux de l’environnement, et donc de nous-mêmes.

Les politiques internationales en faveur de la biodiversité doivent être mises en œuvre à toutes les échelles, et faire en sorte d’associer les populations à la préservation de cette biodiversité, pour instaurer un respect mutuel et de la responsabilité dans la gestion des ressources.

Lancé en 1971, le Programme sur l’homme et la biosphère (MAB) de l’Unesco contribue à cet effort global. Il est garant de la préservation de plus de 700 réserves de biosphère à travers le monde, chacune jouissant de son propre statut de protection et mode de gestion au niveau national.

Se familiariser avec les « services écosystémiques »

Suivant les recommandations du Plan d’action de Lima, l’Unesco a chargé le service public de programmation scientifique belge (Belspo) de mobiliser des experts pour étudier la valeur ajoutée du concept de « service écosystémique ».

Également connu sous le nom de « contribution de la nature aux populations », celui-ci est de plus en plus fréquemment utilisé par les spécialistes qui travaillent sur les interactions entre les humains et la nature dans le monde entier.

A woman walks along a road by Pendjari National Park
Une femme marche sur la route en bordure du parc national de la Pendjari, au Bénin. Les chercheurs recommandent de prendre en considération le fait que les différents villages sont habités par des ethnies distinctes pour qui le parc représente des intérêts et enjeux divers. Luc Janssens de Bisthoven, Author provided

Ce concept identifie les bénéfices potentiels qu’offre la nature aux humains. On peut ici penser aux services culturels (par exemple les revenus générés par le tourisme, les sites à dimension spirituelle, les bois sacrés), auxiliaires (sols fertiles, croissance des plantes), d’approvisionnement (par exemple la nourriture, le poisson, le bois de construction, les plantes médicinales) ou de régulation (eau potable et air pur, climat stable).

Financé par la coopération belge au développement et hébergé au sein de l’Institut royal des sciences naturelles, le programme CEBioS a répondu en créant le projet Evamab ; ce dernier réunit un consortium de scientifiques belges, s’appuyant sur l’aide d’homologues africains pour s’attaquer à certaines problématiques spécifiques. C’est ainsi qu’est né le projet Evamab (2017-2019).

De multiples idées sous-tendent ce projet, comme celle de présenter la notion de services écosystémiques au moyen d’ateliers participatifs pour aider les différents acteurs à cerner les enjeux et les inciter à débattre de ces services ou des concepts qui y sont liés – comme les paiements pour services environnementaux (PSE) par exemple.

Bien entendu, chaque réserve de biosphère est différente et requiert une approche adaptée.

Evamab s’est focalisé sur quatre sites pilotes africains qui présentent une grande diversité d’écosystèmes et de systèmes socio-économiques. L’objectif principal du projet était d’évaluer les besoins réels et les inquiétudes des acteurs concernés de manière participative. Il s’agissait de faire un état des lieux et de comprendre la façon dont ils percevaient une sélection de services écosystémiques et leur valeur. Ce faisant, nous avons testé un éventail d’outils et de méthodes en conditions réelles.

Bénin, Tanzanie, Ouganda et Éthiopie

Au Bénin, les recherches ont porté sur le parc national de la Pendjari. Il s’agit de l’un des derniers grands refuges pour la mégafaune d’Afrique de l’Ouest, comme les lions et les éléphants ; son paysage se compose de savanes, de zones humides et de rivières en bordure du Sahel. Il fait partie d’un plus grand complexe d’aires protégées (Arly au Burkina Faso et « W » au Bénin, au Burkina Faso et au Niger). Le parc est entouré de villages.

En Tanzanie, le parc national du lac Manyara a été choisi pour l’extraordinaire densité de sa faune sauvage, son lac alcalin et son importance pour le tourisme et les communautés locales. En Ouganda, les chercheurs d’Evamab ont travaillé sur le parc national du Mont Elgon, un écosystème afromontagnard transfrontalier (avec le Kenya), menacé par la densité humaine, la dégradation de la forêt et des glissements de terrain dévastateurs.

Lake Tana in Ethiopia
Le lac Tana, en Ethiopie. Dans le cadre du projet de l’Unesco, les chercheurs ont cherché à déterminer si les agriculteurs locaux étaient disposés à consacrer du temps et de l’argent à éradiquer la jacinthe d’eau, une plante invasive non-endémique de la région. Luc Janssens de Bisthoven, Author provided

Le projet s’est aussi intéressé au lac Tana, situé sur les hauts plateaux éthiopiens, à la source du Nil Bleu. Ce vaste lac abrite des pêcheries et des trésors culturels comme des monastères orthodoxes vieux de plusieurs siècles. Ses eaux sont de plus en plus menacées par la jacinthe d’eau, une plante invasive.

Résultats, guide pratique et dialogue

L’un des résultats majeurs de ce projet a consisté en l’élaboration d’un guide pratique d’évaluation des services écosystémiques dans les réserves de biosphère africaines (actuellement sous presse).

Parmi les principales conclusions du projet, nous avons découvert que la clé d’une gestion efficace des réserves de biosphère en Afrique était d’y faire participer activement tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des autorités locales, des scientifiques, des pêcheurs, des éleveurs nomades ou des agriculteurs.

Nous avons été impressionnés par la connaissance qu’ils avaient de leurs sites MAB respectifs et par leur volonté à trouver des solutions pour apaiser les conflits liés à l’environnement.

L’utilisation de différentes méthodes pour encourager les acteurs à s’impliquer dans les parc nationaux du lac Manyara et de la Pendjari nous a ainsi permis de mieux discerner les différentes perceptions et priorités des communautés locales.

Des résultats différents selon les régions

Au parc national de la Pendjari (Bénin), il est apparu que le parc représentait des intérêts et enjeux divers pour les différents villages, habités par des ethnies distinctes.

Cette réalité implique une approche différenciée quant au classement des services écosystémiques par ordre de priorité : par exemple, certains acteurs sont davantage focalisés sur l’agriculture ; d’autres, sur la possibilité de travailler en tant que guides touristiques, etc.

Un état des lieux systématique de ces perceptions a mis en évidence des points de vue contrastés sur les limitations imposées aux activités agricoles dans les zones tampon du parc. Établir un rapport de confiance et développer une compréhension mutuelle sera nécessaire pour éviter l’escalade des conflits liés à la préservation de l’environnement dans la région.

Tous les intéressés reconnaissent l’importance de cette zone, qui est l’un des derniers bastions de protection d’une mégafaune charismatique et culturellement emblématique. Ceci montre bien qu’en dépit de nombreux désaccords, il existe une appréciation commune du patrimoine du parc naturel de la Pendjari. Un exercice d’estimation de sa valeur confirme l’importance de la distance entre les villages et la zone tampon.

Dans le parc national de Manyara (Tanzanie), grâce à un état des lieux communautaire participatif, nous nous sommes aperçu que les perceptions des Masaï, éleveurs nomades, différaient fondamentalement de celles des agriculteurs locaux.

Cette compréhension permet aux responsables des réserves de biosphère d’assurer une préservation personnalisée, en accord avec les différentes communautés. Obtenir l’approbation de ces dernières n’est possible qu’en mettant au point une approche intelligente permettant d’utiliser les services écosystémiques disponibles de façon inclusive et équitable. Pour ce faire, il faut estimer la valeur de ces services, qu’elle soit d’ordre financier ou non.

Residents of a village near Mount Elgon National Park in Uganda
La population des villages proches du parc national du Mont Elgon, en Ouganda, peut s’accroître rapidement, augmentant ainsi la pression exercée sur l’environnement naturel. Bruno Verbist, Author provided

En Ouganda, au parc national du Mont Elgon, nous avons analysé les différents points de vue des agriculteurs sur les paiements pour services environnementaux et l’efficacité des systèmes de certification existants pour les plantations de café, en lien avec la biodiversité.

Il est apparu que sur les deux systèmes locaux prédominants, le café labellisé commerce équitable, couplé au café biologique, assurait une biodiversité plus importante au niveau des arbres et des insectes et stockait davantage de dioxyde de carbone, mais avait un impact très négatif sur les revenus des cultivateurs, du fait d’un moindre rendement.

Le café certifié UTZ a un meilleur rendement, assurant donc un plus haut revenu aux cultivateurs, en grande partie grâce à l’usage de fertilisants et de pesticides, mais cela réduit la biodiversité, les populations de fourmis et d’araignées servant d’indicateur.

Ecotrust, une ONG locale qui lève des fonds principalement grâce au marché de la compensation carbone volontaire, a promu avec succès la plantation d’arbres, non seulement pour séquestrer du dioxyde de carbone, mais aussi pour accroître la biodiversité.

Au parc national du lac Tana, nous avons voulu savoir si les fermiers locaux étaient disposés à consacrer du temps et de l’argent à éradiquer la jacinthe d’eau, une plante invasive non-endémique de la région. Les agriculteurs souffrent de l’infestation des canaux d’irrigation, et l’étude a montré qu’ils étaient prêts à donner de leur temps et investir de l’argent pour résoudre ce problème.

Là encore, nous avons constaté que des solutions locales pouvaient bénéficier à la fois à la biodiversité et aux habitants. Ces données pourraient servir à développer de nouveaux systèmes d’arrachage régulier des mauvaises herbes, générant un revenu supplémentaire et créant de nouvelles chaînes de valorisation.

Cette étude de cas montre aussi l’importance d’une approche centrée sur les acteurs pour analyser et évaluer les services et les inconvénients écosystémiques.

En plus du guide pratique, ce projet d’une durée de trois ans a donné le jour à onze mémoires de maîtrise, plus de dix articles scientifiques évalués par les pairs et deux mémos politiques.

En complément des documents préexistants, le guide pratique devrait aider les législateurs, les communautés et les organismes de gestion à exploiter de façon plus durable le potentiel des services écosystémiques, dans l’intérêt des acteurs locaux, au sein des réserves de biosphère et au-delà.

Cela contribuera à rendre la préservation de l’environnement et du développement durable indissociables, ce qui est l’objectif même des réserves de biosphère.


Chercheurs ou coauteurs (Belgique) :

Anne-Julie Rochette, CEBioS (coordinatrice d’Evamab), coordinatrice générale avec Luc Janssens de Bisthoven, et responsable de la partie Bénin et Tanzanie.
Bruno Verbist, Université catholique de Louvain, Belgique, responsable de la partie Ouganda et Bénin.
Koen Vanderhaegen, Université catholique de Louvain, responsable de la partie Ouganda.
Steven Van Passel, Université d’Anvers, responsable de la partie Éthiopie.
Hossein Azadi, Université d’Anvers, responsable de la partie Éthiopie.
Jean Hugé, Université ouverte des Pays-Bas, Université libre de Bruxelles, responsable de l’implication des acteurs concernés au Bénin et en Tanzanie.
Luc Brendonck, Université catholique de Louvain, et Maarten Vanhove, Université d’Hasselt, responsables de la partie Tanzanie.

Chercheurs et coauteurs (Afrique) :

Bénin : Romain Glèlè Kakaï et Jean‑Didier Akpona, Pendjari National Parks, Université Abomey-Calavi, Cotonou.
Ethiopie : D. Berihun et N.E. Tefera, Université de Bahir Dar.
Tanzanie : Linus Munishi, Nelson Mandela African Institute of Science and Technology, Arusha.
Ouganda : M. Isabirye, Université de Busitema.


Depuis 50 ans, le Programme pour l’homme et la biosphère (MAB) de l’Unesco s’appuie sur l’alliance entre sciences exactes, sciences naturelles et sciences sociales pour trouver des solutions mises en œuvre au cœur de 714 sites naturels d’exception (dans 129 pays) bénéficiant du statut de réserves de biosphère.

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This article was originally published in English

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