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Énergies renouvelables… ou durables ?

Mobilisation de la population indienne lors de la construction, en 2012, du gigantesque barrage hydroélectrique de Belo Monte au Brésil. Sringer Brazil/Reuters

Au centre des débats qui ont animé la récente COP21, le concept d’« énergie renouvelable » entretient un certain flou sur les sources d’énergie qu’il est possible de considérer comme « propres ». Un flou qui risque de perturber la pertinence de l’action politique, car en évoquant les « énergies renouvelables », c’est plutôt aux « sources d’énergie durables » que l’on pense. Ces deux termes sont pourtant loin d’être équivalents.

Les énergies renouvelables signalent notre volonté de produire de l’énergie avec un impact environnemental si ce n’est faible, tout au moins maîtrisé et localisé. De ces sources d’énergie, on attend qu’elles n’entament pas le bien-être des générations futures, qu’elles restent accessibles et exploitables pendant encore quelques siècles, qu’elles soient à la fois écologiquement propres et socialement acceptables, tout en restant économiquement rentables. Autant de dimensions qui ont peu à peu construit l’idée de « durabilité » (ou de « soutenabilité ») depuis les années 1980 avec notamment la publication du Rapport Bruntland (1987).

C’est la durabilité qui importe

Ainsi en va-t-il, par exemple, de l’utilisation du bois qui, lorsqu’il brûle, libère uniquement le carbone qu’il a lui-même capté dans l’atmosphère lors de sa croissance. À condition, bien sûr, que les forêts et leur biodiversité soient bien gérées et renouvelées, que leur exploitation et le transport du bois n’engagent pas une trop grande consommation de combustibles fossiles, que la corruption ne s’installe pas dans les négociations entre les États et les multinationales exploitantes ou que ne se développent pas des systèmes de spéculation financière qui dénaturent le marché.

Il en va de même pour l’énergie solaire : pour que son exploitation soit vertueuse, il est indispensable de savoir gérer « durablement » la production de masse des panneaux photovoltaïques, les déchets générés par leur obsolescence ou la santé financière d’un marché propice à la spéculation et aux luttes géostratégiques. Les exemples de la géothermie, des secteurs éolien et marémoteur ou de l’hydroélectricité pourraient faire l’objet des mêmes analyses.

Ce n’est donc pas tant l’idée de renouvelabilité que celle de durabilité qui a de l’importance dans ce contexte, toujours au sens de la définition canonique du développement durable (ou « soutenable », dans sa dénomination anglo-saxonne).

Les promesses illusoires de la renouvelabilité

Comment expliquer cette focalisation sur le renouvelable ? Peut-être parce que « durable » est un mot-valise trop utilisé. Peut-être également parce que le terme de « renouvelable » procure l’illusion de sources recyclables à l’infini. Probablement enfin parce que, parmi les sources d’énergie considérées comme durables, il s’en trouve effectivement plusieurs qui sont en permanence « renouvelées » : le bois et la biomasse, le vent, les marées, l’eau des barrages hydroélectriques…

À l’inverse, le solaire et la géothermie, sources d’énergie durables communément appelées « énergies renouvelables », sont certes inépuisable à l’échelle de l’humanité mais pas « renouvelables » stricto sensu. D’ailleurs, à bien y réfléchir, les vents et les marées, tout comme le bois et la biomasse, et même l’eau des lacs de barrage, ne peuvent se renouveler que grâce aux énergies lumineuse, thermique et gravitationnelle de notre étoile, inépuisables à l’échelle de l’humanité, mais non véritablement renouvelables.

À côté des sources d’énergie qui sont à la fois non-renouvelables (du moins à l’échelle de l’humanité) et non-durables (pétrole, charbon, gaz de schiste, etc.), il existe donc des sources d’énergies non-renouvelables qui sont bel et bien durables. Et non seulement ces sources d’énergie sont durables sans être renouvelables, mais elles sont plébiscitées alors qu’elles ne peuvent parfois répondre que de rendements extrêmement médiocres.

C’est là un paradoxe amusant que ces considérations n’abordent presque jamais : une source dont l’énergie utilisable n’est que de l’ordre du 1/10e de l’énergie totale produite peut-elle être raisonnablement qualifiée de « durable » ? Ne faudrait-il pas préférer le pétrole à l’électricité pour faire avancer nos véhicules automobiles, puisque les rendements des moteurs diesel frôlent les 45 % là où les cellules photovoltaïques peinent à atteindre les 15 % ?

Peu importe le rendement si la source est propre

Le paradoxe se résout heureusement en retournant au concept de renouvelabilité que nous avons relativisé dans un premier temps ; car peu importe le rendement, si la source est totalement renouvelable ou inépuisable, pour peu qu’elle soit « propre », c’est-à-dire que sa sur-utilisation ne génère pas un surcroît de nuisances et de déchets.

Ainsi en va-t-il du soleil, des marées et de la géothermie, pour lesquels l’effort de recherche à des fins écologiques peut être autant dirigé vers la réduction des impacts de l’énergie grise et du recyclage des infrastructures que vers l’amélioration des rendements, ces derniers entraînant surtout une plus-value économique et un accroissement de la compétitivité des technologies associées. Ainsi n’en va-t-il pas des énergies fossiles, qui salissent la planète en proportion de la quantité qu’on en exploite.

Allons plus loin. À l’opposé des sources d’énergie durables, bien que non-renouvelables, on ne sera pas étonné qu’il existe également des sources d’énergies renouvelables qui ne soient pas nécessairement durables, ou du moins pas toujours. En témoignent les catastrophes sociales et écologiques provoquées par les déplacements de population et la transformation des écosystèmes locaux lors de la construction des immenses lacs de barrages en Chine, au Brésil, en Ouganda ou au Congo. Modifications irréversibles auxquelles s’ajoutent l’utilisation de tonnes de béton et les émissions de gaz à effet de serre (dont le méthane et le protoxyde d’azote, aux effets radiatifs respectivement 25 et 300 fois plus puissants que ceux du CO2) provoquées par la décomposition anaérobie des végétaux submergés lors de leur construction (4 % des émissions mondiales, soit plus que le secteur aérien). L’hydroélectricité est peut-être une « énergie renouvelable » (ou du moins inépuisable), elle n’en est pas nécessairement « durable » pour autant.

Et le nucléaire ?

Parce qu’elle est peu impactante sur les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux hydrocarbures, d’aucun estiment que cette source d’énergie non-renouvelable pourrait mériter d’entrer au panthéon des énergies dites durables. À quantité d’énergie produite équivalente, l’uranium ne produit-il pas 20 grammes de déchets nucléaires « seulement », contre 100 tonnes de CO2 pour le charbon ? 100 tonnes de CO2 qui s'accompagnent du reste en moyenne de l'émission de quelques dizaines de grammes d’uranium et de thorium radioactifs en brûlant (voir à ce propos l’ouvrage de Georges Charpak et Richard L. Garwin). Dès lors, le stockage profond de ces déchets nucléaires est-il plus grave pour les générations qui tomberont malheureusement dessus dans 1000 ans que pour celles qui subiront d’irréversibles bouleversements du climat dans 100 ans ?

Ce serait oublier que derrière l’idée de durabilité se rassemblent bien plus de dimensions (sociales, économiques, géopolitiques et même psychologiques) que le seul impact sur le climat. Tant que planeront sur les centrales nucléaires les ombres d’Hiroshima et Nagasaki, de Tchernobyl et Fukushima, mais aussi du terrorisme et du néocolonialisme minier qui entache l’exploitation de l’uranium, l’énergie qu’elles produisent aura bien du mal à être légitimée par le sceau sacré de la reconnaissance de durabilité.

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