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Évènements rares : comment calculer l’imprévisible ?

Le cygne noir est réputé être rare. Colin Smith/Geograph, CC BY-SA

Quel est le point commun entre l’explosion de Tchernobyl, la chute de la banque Lehmann Brothers et un État grec au bord de la faillite ? Tous ces événements n’étaient pas envisageables pour bon nombre d’experts. Et pourtant… Ils ont été lourds de conséquences.

La gestion des risques est souvent centrée sur les risques principaux. À l’inverse, les événements rares, dont la probabilité de réalisation est extrêmement faible, sont souvent jugés peu réalistes. L’essayiste Nassim Nicholas Taleb, spécialiste de la finance et de l’épistémologie des probabilités, les appelle les « cygnes noirs ».

Des faits récents sont venus contredire les lois empiriques de la statistique, redéfinissant la frontière entre possible et impossible. Face aux dernières crises, les politiques de gestion des risques ont été remises en question. Désormais, elles doivent intégrer les événements « rares », que ce soit pour quantifier la probabilité d’un tel risque, évaluer ses conséquences, ou prendre des mesures préventives.

Explosions à Fukushima. Quand un tsunami déjoue les prévisions des experts du nucléaire. naturalflow/Flickr, CC BY-SA

Mais un évènement rare est par définition difficilement observable : sa probabilité de réalisation est égale à 0 0001. Comment dès lors réussir à l’évaluer ? Les méthodes statistiques se basent en effet sur un historique d’observations pour quantifier une probabilité. Toutefois, si l’événement s’est peu, voire jamais, produit, les statisticiens ne disposent pas des observations nécessaires à sa quantification. Nous avons donc travaillé sur une méthodologie permettant de répondre à de telles situations.

Découper l’événement rare

Un événement est toujours la conjonction de plusieurs phénomènes aléatoires. Avant la crise des subprimes, par exemple, les observateurs constataient une hausse des prix de l’immobilier aux États-Unis ainsi qu’une absence d’acheteurs dits de qualité sur ce marché. La modélisation de ces phénomènes peut alors permettre de simuler l’évènement.

Toutefois, de très nombreuses simulations sont nécessaires avant de parvenir à générer le scénario critique recherché. Le processus consomme beaucoup de temps et exige d’importantes capacités de calcul. Pour contrer ces difficultés, il est possible de mettre en œuvre de nouvelles méthodes de résolution statistique. Il s’agit des techniques dites Monte Carlo avancées, fondées sur l’échantillonnage préférentiel : afin d’augmenter l’occurrence d’évènements rares, on introduit des biais dans la génération de scénarios aléatoires. Mais leur utilisation demeure complexe.

Comment évaluer les pertes boursières ? Wikimedia

Nous avons donc conçu une méthode, dite de splitting, visant à faciliter la simulation d’événements rares. Son principe est simple : découper un évènement rare en plusieurs événements non rares. Pour évaluer le risque d’une perte de 30 milliards d’euros sur un portefeuille, par exemple, il faudrait simuler des millions de scénarios avant de réussir à observer ce cas de figure. La méthode propose d’évaluer le risque d’une perte plus petite, par exemple 30 millions, donc plus plausible et facilement observable. Nous sélectionnons ensuite les scénarios correspondant à la perte recherchée ; nous les transformons (« shaker »), puis nous les utilisons pour générer des scénarios de plus grandes pertes. L’opération est renouvelée jusqu’à atteindre l’évènement recherché.

Connaître l’origine de l’événement

Reposant sur deux algorithmes, l’un à base de transformation ergodique, l’autre mêlant sélections et transformations des trajectoires, cette technique permet de quantifier à la fois la fréquence et l’intensité de l’événement rare. Une de ses particularités est de résoudre la problématique de temporalité et du choix de la fréquence d’échantillonnage des trajectoires. Les autres méthodes calculent la probabilité d’un risque à une fréquence donnée : quotidienne, hebdomadaire, mensuelle… Le choix de cette fréquence est souvent arbitraire. Or, il n’est pas neutre. Opter pour une fréquence hebdomadaire plutôt que mensuelle peut modifier les résultats.

La méthode de splitting développée ici ne raisonne pas sur une fréquence, mais analyse la trajectoire complète d’un scénario : chacun d’entre eux correspond à une nouvelle courbe. Elle donne ainsi un éclairage sur l’origine de l’événement rare, en fournissant des informations sur la chronologie qui l’a précédé. Il est ainsi possible de savoir quel secteur ou agent a la plus grande probabilité de produire tel scénario. C’est un outil de monitoring qui permet, par exemple, de voir quelle est la banque la plus sensible dans le cadre d’un « stress test » qui doit évaluer sa solidité financière.

Prévenir les risques de toute nature

La méthode de splitting peut être appliquée à de nombreuses problématiques. Des travaux sont ainsi en cours pour évaluer les pertes d’un portefeuille de crédit, et calculer le risque de défaut conjoint des entreprises. Mais les applications peuvent parfaitement dépasser le domaine financier. La thématique du risque est aujourd’hui devenue transversale. Qu’il soit financier, économique, environnemental ou industriel, le risque doit être quantifié et évalué.

Cette méthode de splitting constitue un outil supplémentaire pour la compréhension des scénarios extrêmes, en apportant notamment un éclairage sur leur origine et leurs conséquences. De telles informations sont évidemment précieuses au régulateur pour définir des règles prudentielles et éviter de nouvelles crises.

Cet article a été réalisé en collaboration avec l’Institut Louis Bachelier. Découvrez d’autres travaux de recherche sur la thématique du risque ici.

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