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La Voie lactée. Nathan Anderson/Unsplash

Explorer l’écosystème interstellaire

Le milieu interstellaire (MIS) qui remplit l’espace entre les étoiles d’une galaxie, est loin d’être vide : il représente environ 20 % de la masse de la matière visible dans la Voie lactée. En général, le MIS est très ténu, avec une particule par cm3 en moyenne (10 milliards de milliards de fois moins dense que l’atmosphère terrestre). Ce milieu fait partie d’un écosystème au sein duquel les étoiles – formées par effondrement gravitationnel des nuages moléculaires – agissent en retour par leur rayonnement et leur éjection violente de matière. Notre connaissance du MIS s’est grandement améliorée ces dernières années, notamment grâce aux observations de galaxies proches.

Vision schématique de la stratification des phases du MIS. CEA, Author provided

La structure représentée est le fruit de travaux théoriques sur les processus physiques du MIS et a été confirmée par l’observation de régions proches à haute résolution spatiale.

Un milieu multiphasé

Le MIS est constitué de gaz (atomes et molécules) et de grains de poussière. Le gaz est constitué d’environ 73 % d’hydrogène et 25 % d’hélium ; les 2 % restants sont les autres éléments dits « lourds » (oxygène, carbone, azote, fer, etc.) qui sont produits au cours de l’évolution des étoiles. Quant aux grains, ce sont de petites particules solides de taille inférieure au micron (plus petits que des bactéries).

Le rayonnement stellaire a pour effet de dissocier les molécules et d’ioniser les atomes, produisant ainsi différentes « phases » (Fig. 1). À la surface des nuages moléculaires, où l’hydrogène est sous forme de dihydrogène, le monoxyde de carbone (CO) est dissocié. Or, par facilité, c’est souvent en observant CO qu’on mesure la masse de gaz moléculaire. Il y a donc une région moléculaire qui se dérobe facilement aux observations : elle est appelée le gaz « sombre ». Le rayonnement stellaire a aussi pour effet de chauffer le MIS par transfert d’énergie via l’ionisation ou encore l’effet photoélectrique sur les grains dans les régions atomiques.

Le gaz ainsi chauffé se refroidit en émettant un rayonnement discret (raies spectrales) ou continu. Le refroidissement du gaz et l’écrantage des rayonnements ionisants fournissent des conditions propices à la formation des futures étoiles. À l’extrême, les galaxies elliptiques, qui ont un MIS presque inexistant, ne forment quasiment plus d’étoiles.

Un milieu turbulent

Comme l’atmosphère terrestre ou encore les océans, le MIS est un fluide turbulent (c’est-à-dire en évolution perpétuelle et soumis à des mouvements complexes à toutes les échelles).

Cette turbulence, qui trouve son origine d’une part dans les interactions gravitationnelles galactiques, d’autre part dans les explosions des étoiles, joue un rôle prépondérant dans le MIS puisqu’elle est responsable, avec l’autogravité et le champ magnétique, de sa structure spatiale faite de nuages et de filaments de gaz dense immergés dans un milieu beaucoup plus ténu. La turbulence joue également un rôle fondamental vis-à-vis de la formation des étoiles de différentes masses au sein de ces nuages.

La turbulence est un phénomène complexe qui n’est pas encore totalement compris même dans des fluides simples. Pour l’étudier, il est nécessaire de réaliser des simulations numériques sur les grands calculateurs massivement parallèles. Ces simulations, qui peuvent comporter plusieurs milliards d’éléments de calcul, permettent de faire des prédictions quantitatives quant à la structure du milieu, qu’on peut ensuite combiner aux calculs d’émission du gaz et de la poussière pour comparer aux observations.

L’infrarouge : un domaine de choix pour observer le milieu interstellaire

Le domaine spectral de l’infrarouge (IR) concentre l’essentiel de l’émission continue des grains et de nombreuses raies de refroidissement du gaz (Fig. 2). La spectroscopie, c’est-à-dire la décomposition en longueur d’onde de la puissance rayonnée, permet d’accéder à une dimension spectrale riche en informations et s’ajoute aux deux dimensions spatiales d’une simple image.

On peut ainsi construire des « cartes spectrales », pour, en chaque point d’une région, isoler les différents constituants du MIS et déduire la température, la densité, le degré d’ionisation et les abondances chimiques.

La versatilité du télescope spatial européen Herschel (2009-2013) a permis d’obtenir une vision globale de l’évolution du MIS au-delà de la Voie lactée, dans les galaxies proches.

Grâce aux nouvelles informations fournies en IR, il a ainsi été possible, pour la première fois, d’établir des modèles complexes du MIS multiphasé qui tiennent compte de tous les processus physiques connus. À partir de 2021, le James Webb Space Telescope (JWST) étendra cette compréhension à l’univers distant.

Quand on espionne chez les voisins

Pour comprendre globalement les processus physiques et chimiques du MIS, on cherche à accéder à des environnements différents de celui de la Voie lactée, qui est somme toute assez monotone, avec peu de variations du taux de formation d’étoiles (environ deux fois la masse du Soleil par an, pour toute la galaxie) et de l’abondance d’éléments lourds (environ 2 % des atomes). Les galaxies proches (à l’intérieur d’une sphère de quelques millions d’années-lumière) présentent, en comparaison, un éventail beaucoup plus large de conditions, parfois extrêmes (accrétion active autour de trous noirs, abondance d’éléments lourds jusqu’à 50 fois plus faible et taux de formation stellaire jusqu’à des centaines de fois plus élevés que dans la Voie lactée). Parmi les résultats les plus marquants obtenus avec Herschel, on notera la confirmation de l’importance du gaz sombre qui domine le budget moléculaire et la « transparence » du MIS qui permet aux rayonnements d’interagir sur de grandes distances. En ce qui concerne les grains, le télescope a montré que leur émissivité avait jusqu’alors été fortement sous-estimée, indiquant que leur constitution est très certainement amorphe (désordonnée) plutôt que cristalline (ordonnée). Enfin, il a permis de mettre en évidence l’importance de la croissance des grains dans le MIS par accrétion d’atomes du gaz.

Connaître les ancêtres de la Voie lactée

Au-delà de notre compréhension des propriétés du MIS en tant qu’objet astrophysique, étudier ces propriétés en fonction des paramètres environnementaux permet de reconstituer l’évolution des galaxies. Dans certaines galaxies proches, le MIS semble être primitif à défaut d’être primordial (composition chimique assez proche de celle juste après le big bang). Il est donc envisageable de considérer ces galaxies proches (ayant l’âge de l’Univers actuel) comme autant de laboratoires qui nous aident à comprendre la formation des premières étoiles et à comprendre l’évolution des galaxies après leur formation.

En haut : images de la nébuleuse géante N11 dans la galaxie du Grand Nuage de Magellan. En bas : spectre typique qu’on peut obtenir pour un pixel des images au-dessus. CEA

Le CEA est impliqué dans plusieurs missions futures dont l’un des buts est de combler ces trous dans le spectre et dans nos connaissances.


Cet article est publié en partenariat avec le CEA, qui consacre le numéro 68 de son magazine Clefs aux « dernières nouvelles du cosmos ».

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