Le dérèglement climatique a affecté l’humanité de 467 façons différentes depuis 1980. C’est le bilan glaçant que dresse une vaste étude publiée dans Nature Climate Change ce lundi 19 novembre. Santé, alimentation, économie, infrastructures, sécurité, accès à l’eau et aux services basiques… Ces manifestations touchent toutes les dimensions de nos vies, et s’intensifieront si les émissions de gaz à effet de serre ne chutent pas d’ici la fin du siècle.
Face à l’urgence climatique, de nouvelles formes de mobilisation émergent. Lancé au Royaume-Uni fin octobre par des activistes anglais, Extinction Rebellion (XR) revendique une vocation internationale et annonce compter déjà 500 personnes formées à l’action non violente et prêtes à aller en prison. Son appel a reçu la signature d’une centaine d’universitaires. Rupert Read, enseignant britannique en philosophie, a rejoint le mouvement. Il nous explique pourquoi.
Vous ne connaissez pas « Extinction Rebellion » ? Le texte qui suit est pour vous et parions que, bientôt, plus personne n’ignorera ce nom. Ce mouvement, fondé sur la non-violence, entend défier l’inaction face au changement climatique et l’extinction massive d’espèces qui menace à terme notre propre survie.
Criminels du climat
Le samedi 17 novembre 2018 a ainsi été déclaré « Jour de rébellion » : des personnes opposées à ce qu’elles estiment être un gouvernement de « criminels du climat » ont décidé de réunir suffisamment de manifestants pour fermer certaines zones de la capitale britannique, en bloquant le trafic routier en divers points stratégiques.
J’enseigne la philosophie à l’université de East Anglia et je me suis lancé tout entier dans ce mouvement. Notre objectif à long terme est de créer un contexte dans lequel le gouvernement ne pourra plus ignorer la détermination d’un nombre croissant de personnes pour détourner le monde de la catastrophe climatique. Et, qui sait, le gouvernement pourrait bien se trouver contraint de négocier avec les rebelles.
En tant que vétéran de l’action directe et universitaire cherchant à comprendre ces mouvements, j’ai beaucoup réfléchi à Extinction Rébellion, l’héritage dans lequel il s’inscrit et sa nouveauté.
Un risque certain
Cette mobilisation s’enracine dans des traditions de longue date, parmi lesquelles le mouvement radical pour le désarmement nucléaire. Les fondateurs d’XR ont étudié avec attention les précédents en matière d’action non violente, afin d’identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Ils ont, par exemple, remarqué qu’un petit pourcentage de la population engagé activement suffit parfois à faire triompher le changement radical, à condition de défendre une cause vertueuse, susceptible de recevoir le soutien tacite d’une part bien plus large de la population.
Extinction Rebellion se distingue aussi par rapport à ses prédecesseurs. Certes, le mouvement pour le désarmement nucléaire concernait notre propre existence, mais la dévastation nucléaire n’était, et ne reste, qu’un risque. L’objectif d’Extinction Rebellion est de prévenir une dévastation de notre monde qui est certaine et risque de survenir rapidement, à moins que nous réussissions à changer radicalement le cours des choses.
Les activistes environnementaux comparent souvent leur lutte à certaines victoires passées. Mais selon moi, les parallèles établis – avec l’indépendance indienne, le mouvement des droits civiques ou la campagne pour le suffrage universel, par exemple – sont excessivement optimistes, voire naïfs. Ces mobilisations historiques concernaient souvent des classes opprimées, se soulevant pour s’émanciper afin d’accéder à ce que les classes privilégiées possédaient déjà.
Transformer nos modes de vie
Tous ces objectifs se dressent contre des intérêts profondément ancrés et exigent aussi un effort considérable des citoyens ordinaires, particulièrement dans les pays « développés » comme le Royaume-Uni ou la France. Cela rend la tâche particulièrement ardue… et les chances de succès du mouvement très minces. Mais cela ne conteste en rien la légitimité de la démarche qui apparaît, bien au contraire, comme notre dernière chance.
C’est pour toutes ces raisons que je me suis assis sur une route bloquant l’entrée de Parliament Square, le 31 octobre dernier, lorsque Extinction Rebellion a été lancé – et pourquoi j’étais à nouveau « sur les barricades », le samedi 17 novembre. En temps que quaker – ce mouvement religieux fondé au XVIIe siècle par des dissidents de l’Église anglicane – j’affectionne les premiers mots du célèbre hymne shaker – branche du protestantisme issu des Quakers : « C’est le cadeau d’être simple ». Que signifie vivre simplement aujourd’hui ? Cela implique de mettre tout en œuvre pour permettre aux autres – et avant tout nos enfants et petits-enfants – de pouvoir vivre. Il ne suffit pas de mener une vie volontairement sobre.
Nous devons nous engager dans une action directe et pacifique dans le but de stopper la méga-machine d’un capitalisme d’entreprise obsédé par la croissance qui détruit notre avenir commun. À mes yeux, il est clair qu’une rébellion pacifique s’impose dès à présent, afin d’empêcher la dévastation ou l’extinction de notre espèce – et de nombreuses autres.
La seconde phrase de l’hymne shaker dit : « C’est le cadeau d’être libre ». Se libérer aujourd’hui signifie s’émanciper de toutes les lois qui condamnent nos enfants à vivre un enfer. Prendre soin de ses enfants exige de prendre soin par avance des leurs. Cette logique se multiplie indéfiniment : nous ne veillons pas correctement sur une génération si la suivante est sacrifiée.
De même que les mammifères ont pour vocation première de veiller sur leur descendance, il est logique que nous résistions et nous rebellions contre ce qui menace purement et simplement le futur des prochaines générations, indépendamment de ce que nos lois pitoyablement inadaptées nous dictent.
Dernière chance
Ce n’est pas la première fois que je ressens la nécessité de m’engager dans une désobéissance civile par objection de conscience : j’ai lutté à Faslane et à Aldermaston contre les armes nucléaires, et avec EarthFirst pour défendre les forêts de séquoias menacées de destruction dans le Pacifique nord-ouest des États-unis.
Mais de toutes, le mouvement Extinction Rebellion me paraît la cause la plus convaincante. Car à moins que nous réussissions l’impossible, ou presque, il n’y aura plus, dans quelques décennies, aucune cause à défendre. Oui, le tableau est à ce point sombre mais ne doit pas empêcher de passer à l’action.