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Facebook Marketplace s’attaque plutôt au Boncoin qu’à Amazon : une lecture datasystémique de l’inoffensif réseau californien !

Page Facebook de Facebook. Christopher/Flickr, CC BY-SA

La fonctionnalité Marketplace est disponible depuis le début du mois d’octobre pour les utilisateurs situés aux USA, en Australie, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande. Ils doivent juste déclarer qu’ils sont âgés de plus de 18 ans et qu’ils acceptent la mise à jour indispensable sur Android ou sur iOS.

Buy and sell with your local community…

Toutefois contrairement à son nom, qui évoque une « place de marché », ce service n’est qu’une mise en relation entre des offreurs et des demandeurs et en aucun cas un intermédiaire marchand ! Il s’attaque donc plutôt à des sites de petites annonces comme Craigslist ou Leboncoin qu’à des sites comme eBay ou Amazon qui eux organisent la transaction marchande. Ces derniers prennent des risques. Ils ponctionnent les vendeurs et/ou les acheteurs, organisent et facturent la transaction, s’engagent contractuellement, livrent même parfois et proposent surtout un service de e-paiement sécurisé.

Quelle stratégie se cache derrière ce bouton inoffensif ?

Comme à son habitude, la stratégie de Facebook est de tout faire pour maintenir l’utilisateur – qui n’est pas encore un client – à bord de son écosystème. L’idée est de le tracer au sein de son datasystème. Ainsi, la plateforme californienne est amenée à racheter de nombreuses entreprises ou à développer elle même des applications. Il lui faut, en effet, tester et déployer de multiples fonctionnalités – parfois cachées comme pouvoir jouer aux échecs sur messenger via @fbchess – dont certaines n’ont qu’une durée de vie réduite. Peu importe du moment qu’elles interopèrent quelque temps puis qu’elles soient substituables !

L’idée est de garder les tops et de se débarrasser discrètement des flops. Il ne faut pas risquer de faire fuir l’internaute vers d’autres cieux. Néanmoins cette vrai-fausse Marketplace est clairement destinée à s’installer durablement sur le réseau avec un affichage collaboratif et local. Il s’agit de proposer aux vendeurs de mettre en vente via « What are you selling ? »/« Make offer ? » des produits ou services en les photographiant et localisant. La solution semble séduisante et intuitive « Post items for sale in just a few steps ». Puis il suffit de laisser agir la proximité, la convivialité du réseau et l’appétit des acheteurs.

Quels seraient les dérives, contournements et/ou abus ?

Tout d’abord, il s’agit de pouvoir faire – vraiment – le tri entre les utilisateurs qui ont plus de 18 ans et ceux qui en ont moins. Comment Marketplace fera-t-elle ? Le simple déclaratif – incitatif – est un filtre qui a montré ses limites sur le réseau lui-même, visité par des millions de très jeunes utilisateurs, pourtant interdit aux moins de 13 ans. Et les robots modérateurs – punitifs – basés sur de la reconnaissance d’image et/ou de texte sont souvent décevants, contre-productifs et trop lents à réagir.

Ensuite, il s’agit de vérifier que ce qui est proposé à la vente est bien licite et légal (telle la jolie bicyclette sur la publicité FB elle-même). Les algorithmes de modérations ont déjà montré leur limite et les utilisateurs du réseau en quelques jours ont déjà proposé à la vente des armes, des stupéfiants, des animaux, des prestations sexuelles et toute sorte de produits ou services insolites de plus ou moins bon goût. À tel point que Mary Ku, qui n’est rien de moins que la directrice de la gestion produit, a dû évoquer un incident technique qui aurait empêché le système de modération d’identifier correctement et rapidement les annonces qui violaient les termes d’utilisation

Enfin, il s’agit, pour le réseau, de ne pas se rendre complice de détournement propre à ce type d’annonce, à la fois de proximité et collaborative, pour éviter toutes instrumentalisations inadéquates ou répréhensibles. Il s’agit aussi d’éviter toutes manipulations, à l’image des déboires d’Uber avec certains de ses chauffeurs, à l’origine de mauvaises rencontres.

Des solutions simples existeraient pour sécuriser autant que faire ce peu les transactions sur la Marketplace maison – non-anonymat, non-pseudonymat, coordonnées bancaires validées, dévoilement de données personnelles – mais la plateforme s’y refuse becs et ongles. Et son fameux et historique slogan « C’est gratuit (et ça le restera toujours) » ne plaide pas pour un assouplissement de ces règles.

Facebook avait d’ailleurs racheté en 2015 la start-up d’e-paiement souple Tugboat Yards fondée en 2012 pour mieux l’intégrer et la faire disparaître. Un utilisateur – celui qui donne ses données ! – ne doit pas devenir un client – celui qui achète un service – c’est le cœur du modèle d’affaire de FB. Un client a des droits, un usager n’en a pas (ou si peu).

Quels seraient les objectifs explicites et/ou implicites ?

Explicitement, le but recherché est de permettre à ses utilisateurs de ne pas quitter la plateforme – ou le moins longtemps possible – en leur proposant diverses expériences de navigation sur un même écosystème. Ce qui explique la continuité territoriale du réseau à la fois en termes de contenant avec la messagerie messenger – et le rachat de Instagram en 2012, de WhatsApp en 2014 et les tentatives depuis 2013 pour racheter Snapchat – et en termes de contenus avec divers outils – dont la réalité augmentée via la start-up Oculus Rift rachetée en 2014 pour aider les créateurs à produire du contenu de qualité – pour fidéliser les utilisateurs.

L’affichage sécuritaire est également de mise avec – outre l’activation possible du bouton « safety check » la campagne sur le « Security Checkup » lancée en France. Elle est orientée « bonnes pratiques » afin de permettre aux utilisateurs de « contrôler leur expérience sur le réseau social ». Enfin, le réseau n’abandonne pas son projet de moteur de recherche ni même celui de nous accompagner par delà la mort via son compte de commémoration.

Implicitement, le but recherché est toujours le même. Collecter des données en qualité et en quantité pour… les monétiser ! Il s’agit de séduire les publicitaires – qui ne sont jamais les utilisateurs lambda – en leur proposant une cible (audience) à trois caractéristiques : facile, géolocalisée et interactive :

  1. Une cible facile à atteindre car elle est finement profilée grâce aux algorithmes qui tracent sa navigation (où/quoi/comment/quand/avec qui…) et ses actions sur le réseau (j’aime/haha/wouah…). Elle est donc censée correspondre aux critères identifiés par l’étude de marché effectuée par le publicitaire lui-même mais qui peuvent tout à fait être affinés par la plateforme. Le coût unitaire d’une cible est donc relativement faible au regard de la forte probabilité de transformer son intention en acte d’achat.

  2. Une cible géolocalisée car elle a activé, bien souvent par négligence en acceptant les fameuses CGU, sa localisation fixe (internaute) ou mobile (mobinaute). La superposition des usages et des itinéraires va permettre de proposer par exemple une offre aux TPE (restaurants, boutiques…) située à moins d’un kilomètre de l’utilisateur via le bouton « Local awareness » que ce dernier pourra choisir de rejoindre via son bouton « Itinéraire » ou de joindre via « Appel immédiat ».

  3. Enfin, une cible interactive car elle pourra communiquer avec la marque via Messenger for Business. La cible continuera ainsi à lui donner des données pour toujours plus de pertinence publicitaire certes… mais en retour ces données agrégées renforceront la force de frappe du réseau, la monétisation de ses contenus ainsi que la couverture fonctionnelle et la transversalité de son redoutable datasystème !

« Make offer », vraiment ?

La plateforme ne souhaite donc pas affronter Amazon via sa récente MarketPlace. Elle cherche plutôt à suivre les pas feutrés et conviviaux du boncoin. L’idée est de rester performante dans sa collecte de données et métadonnées personnelles – désormais marchandes et transactionnelles – pour pouvoir ensuite vendre à ses clients, publicitaires ou non, les réponses aux questions qu’ils ne se posent pas encore ! En pratique, les questions posées resteront désespérément classiques « Qu’est ce qui se vend par ici ? », « À quelle heure ? », « Entre qui et qui ? », « À quel prix ? », « Pour quel volume ? » et « où ? » voire « jusqu’où ? » pour pouvoir dessiner la carte des flux et re-visiter la notion de zone de chalandise ! Carte et zone qui, à leur tour, trouveront certainement preneur sur la seule place de marché sur laquelle se positionne vraiment la plateforme, celle des data.

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