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Fin de parcours pour la Force conjointe du G5 Sahel : quels enseignements en tirer ?

Des membres de la garde d'honneur du Burkina Faso se tiennent devant l'entrée du centre de conférence lors de la cérémonie d'ouverture du sommet du G5 de la CEDEAO sur la sécurité à Ouagadougou, le 14 septembre 2019. Photo : ISSOUF SANOGO/AFP via Getty Images

Le 2 décembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur retrait du G5 Sahel et de sa force conjointe. Ce qui porte à trois le nombre de pays membres ayant mis fin à leur participation à ces mécanismes, après le retrait du Mali en 2022.

Quatre jours plus tard, le 6 décembre, la Mauritanie et le Tchad, les deux derniers membres annoncent, à leur tour, la dissolution prochaine du G5 Sahel et de ses mécanismes. Une décision en phase avec l’article 20 de la Convention portant création du G5 Sahel selon lequel “le G5 Sahel peut être dissous à la demande d’au moins trois États membres”.

Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience de coopération contre le terrorisme, notamment pour les acteurs africains?

Je m’intéresse aux questions de paix et de sécurité en Afrique, avec un intérêt particulier pour les initiatives nationales et internationales visant à ramener la paix et la stabilité.

Soutiens logistiques

Le G5 Sahel a été créé en 2014 avec une approche développement et sécurité. En 2017, les pays membres ont lancé la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) pour combattre le terrorisme et le crime organisé. La FC-G5S est une force ad hoc en ce sens qu’elle ne faisait pas partie des mécanismes et organisations de l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine.

Outre l’avantage d’éviter les lourdeurs bureaucratiques et les retards dûs à la recherche de consensus, les réponses de type ad hoc permettent de gagner en flexibilité et en autonomie dans la définition du champ d’intervention géographique. Elles permettent aussi aux États engagés de choisir leurs alliés, et d’accéder à des soutiens logistiques et financiers .

Grâce à la coopération, les pays du G5 Sahel ont pu établir des projets de développement et renforcé les canaux d’échange et de coordination en matière de défense et de sécurité. Le G5 Sahel et sa Force conjointe ont aussi permis d’ouvrir des voies de communication entre des pays qui avaient très peu d’interactions comme la Mauritanie et le Tchad.

Dissensions entre pays membres

En matière de lutte contre l’insécurité dans le cadre d’un regroupement étatique, l’engagement de tous les membres est essentiel, pour donner corps à la mutualisation des efforts. Dans le cadre de la Force conjointe-G5 Sahel, l’implication militaire était trop disproportionnée. La Mauritanie, qui n’a pas été affectée par le terrorisme de la même manière que les autres pays de la coalition, est restée à l’intérieur de ses frontières dans une posture défensive, en dépit de tirer beaucoup d’avantages de la coopération multilatérale en abritant le siège du Secrétariat permanent du G5 Sahel ainsi que le Collège de défense de l’organisation. Ce dernier est une école de guerre dont la mission consiste à former et préparer les cadres militaires des pays membres.

À cela s’ajoutent les dissensions entre les pays membres. La Mauritanie a été accusée à tort ou à raison par le Mali d’avoir noué un pacte de non-agression avec les organisations terroristes. Avant les coups d’État intervenus récemment au Mali et au Niger, Niamey reprochait aussi à Bamako de n’être pas capable d’empêcher les groupes terroristes d’ériger en sanctuaires les espaces proches de la frontière avec le Niger.

Les limites de cette initiative

Le leadership est présenté comme un facteur nécessaire en matière de coopération militaire multilatérale. Or, dans le cadre de la Force Conjointe-G5 Sahel, le leadership n’était pas assuré par les pays membres. La Force conjointe était vue tantôt comme un “projet français”, tantôt comme une initiative africaine accaparée par la France, une des principales sources d’influence diplomatique, politique et militaire de la task force. Au lieu de se mettre dans une posture d’appui aux États et à la Force Coinjointe-G5 Sahel, Paris a plutôt voulu agir de manière autonome,créant beaucoup de frustration du côté des forces de sécurité des États du Sahel et de leurs opinions publiques.

L’expérience dans le cadre de la Force conjointe montre aussi que les pays peuvent certes solliciter une aide internationale, y compris financière, mais ils doivent éviter de tomber dans une dépendance forte ou totale. Sinon, les acteurs internationaux vont saisir l’opportunité d’instrumentaliser cette dépendance, en imposant leur agenda et des solutions “prêtes à l’emploi” et peu pertinentes par rapport aux réalités locales et nationales.

Dans le cadre du G5 Sahel, la prévalence écrasante de l’approche sécuritaire a été voulue et imposée par la France, l’Union européenne (UE) et leurs partenaires internationaux. La posture du président français, Emmanuel Macron, lors du sommet de Pau de janvier 2020 disant à ses homologues sahéliens qu’il fallait accentuer les opérations militaires, en désignant l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) comme l’ennemi prioritaire au Sahel en est une illustration nette.

Dépendance financière

Une forte dépendance à l’aide financière extérieure a également l’inconvénient de créer beaucoup d’incertitudes du fait des retards dans l’exécution des promesses de financement. Celles-ci dépendent de l’agenda des acteurs dont les intérêts changent en fonction des circonstances géopolitiques. La Force conjointe avait reçu beaucoup de promesses de financements, mais peu d’entre elles ont été tenues.

Par ailleurs, les recherches ont montré que lorsque les organisations régionales reçoivent beaucoup de financements directs de la part d’acteurs non africains, l’influence de l’UA a tendance à diminuer. L’essentiel des financements de la Force conjointe provenait de l’UE et ne passaient pas par l’UA. Cette réalité et la forte influence française sur la task force, ont joué un rôle important dans la posture de l’UA de ne pas soutenir la Force conjointe, comme elle l’a fait pour la Force multinationale mixte du Bassin du lac Tchad. Le soutien de l’UA est important, notamment pour renforcer la légitimité des initiatives militaires et générer des ressources, même si c’est de manière limitée.

L’importance de la stabilité politique

L’expérience de la Force conjointe montre aussi qu’en matière de coalition militaire contre le terrorisme, la stabilité politique des pays engagés est importante. Les crises politiques fragilisent les institutions et les politiques de sécurité des États ainsi que la coopération régionale et internationale, du fait notamment des changements ou des ruptures dans les politiques des États. Les changements consécutifs aux coups d’État au Mali, au Niger et au Burkina Faso empêchent l’émergence d’une stratégie cohérente contre l’insécurité. Les coups d’État ont aussi tendance à fragiliser les forces de défense et de sécurité censées combattre l’insécurité.

Beaucoup d’espoirs ont été attachés à la Force conjointe au moment de son lancement en 2017. Les pays membres ne vont pas regretter sa dissolution, en raison de son apport limité sur le terrain. Son échec peut néanmoins servir d’enseignements pour des structures de coopération militaire encore embryonnaires comme l’Initiative d’Accraet l’Alliance des États du Sahel.

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