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Hector Malot, romancier de l’éducation intuitive

Illustration pour « Sans Famille », 1918. Ivan Loewitz

Daniel Auteuil nouveau Vitalis ? C’est en tout cas ce qui se dit désormais dans le Tarn, lieu qui pourrait bien être choisi pour le tournage de l’adaptation cinématographique du célèbre roman Sans Famille, publié en 1878 par Hector Malot.

Cet auteur prolifique – il a publié soixante romans- est également à l’honneur dans le cadre d’une exposition à Elbeuf (Normandie), et d’un colloque au Musée national de l’éducation (Rouen), événements consacrés à la portée éducative de ses romans.

En effet, si Hector Malot est perçu comme le « père » littéraire de « Rémi », le jeune héros de Sans Famille, son rôle comme penseur pédagogique est moins connu du grand public. Cette exposition et ce colloque sont deux occasions de mieux évaluer la richesse et la diversité d’une œuvre qui, après avoir connu un succès éclatant, est en grande partie tombée dans l’oubli.

Un auteur pédagogue

Hector Malot, « père » de Rémi. INeverCry/Wikimedia

En 1859, deux ans après la publication de Madame Bovary, Hector Malot donne chez le même éditeur, Michel-Lévy, son premier roman, Les Amants, que la critique situe dans le sillage de Flaubert. L’auteur manifestera cependant sa personnalité en adoptant des positions tranchées, républicaines et anticléricales. Il collabore à L’Opinion nationale, d’obédience saint-simonienne, qui pratique une opposition modérée au Second Empire, et il sera un des seuls à accueillir favorablement Les Misérables.

En 1867, il se joint à l’équipe du Courrier français, dirigé par le futur communard Vermorel. Il y donne des articles quelquefois virulents mais aussi, de manière surprenante, un feuilleton, Le Roman d’un enfant, dont le jeune héros, un fils de marin, accomplit une sorte de tour de la Normandie avant de s’embarquer pour les Indes et de survivre à un naufrage.

Ce roman d’aventures développe une théorie de l’éducation explicitement rousseauiste et inspirée par l’expérience de Robinson Crusoé. L’éditeur Pierre-Jules Hetzel, qui collabore aussi au Courrier français, remarque ce récit qu’il publie dans une version augmentée et sous son titre définitif, Romain Kalbris, dans sa « Bibliothèque d’Éducation et de Récréation ».

Hector Malot, classé jusqu’alors dans la « littérature brutale », devient plus fréquentable pour les milieux académiques, qui attendent d’autres œuvres du même genre. Un contrat est signé avec Hetzel pour un ouvrage très didactique, qui ne verra pas le jour mais qui sera réalisé par Mme Fouillée sous le pseudonyme de G. Bruno, avec le célèbre manuel scolaire : Le Tour de la France par deux enfants.

Sans Famille, une éducation à la vie

C’est finalement Sans famille qui paraît en 1878 dans Le Siècle et en librairie chez Dentu. Le succès est prodigieux. Les ressorts du roman ne sont pas très originaux puisqu’il combine deux archétypes, celui du voyage formateur et celui du roman familial de l’enfant trouvé.

Illustration pour Sans Famille, 1965. Musée national de l’éducation/Flickr, CC BY-SA

Pourtant, l’œuvre s’impose par des traits personnels : le caractère attachant du personnage principal, Rémi, mais aussi de son maître, le musicien ambulant Vitalis, qui apparaît comme un modèle d’éducateur ; la variété des péripéties émouvantes et même pathétiques ; l’intérêt pour une géographie vivante, avec des lieux que l’on parcourt et qui ne sont pas simplement des points sur une carte.

Si Malot s’est écarté du contrat initial, il n’en a pas moins maintenu une ligne éducative. Vitalis, qui ajuste son pas sur celui du jeune garçon, est bien, suivant l’étymologie, un pédagogue, comme en Grèce l’esclave qui accompagnait l’élève à l’école. Mais ici, c’est l’école de la vie. Rémi apprend en marchant. Il connaît aussi la douleur : il perdra son maître, mort de faim et de froid après lui avoir appris à lire et à raisonner, et surtout après l’avoir initié à l’art. D’autres instituteurs suivront, le « magister », dans une mine de houille, qui l’initie à la science, puis un maraîcher, qui lui transmet son savoir pratique.

École professionnelle à Dellys, travail du fer, tableau De Henry-Jules-Jean Geoffroy (1853-1924). Musée national de l’éducation/Flickr, CC BY-SA

L’art, l’industrie et l’agriculture sont ainsi associés dans une formation polytechnique, appuyée sur l’expérience. Formation qui n’est pas sans rappeler l’union des producteurs, intellectuels et manuels, appelée par Saint-Simon. Les fiches documentaires ne manquent pas, tel ce développement sur l’importance de la vache dans l’économie domestique ou sur l’« essimplage » de la giroflée. Malot, qui avait rédigé des articles de botanique, accorde beaucoup d’importance à l’horticulture : chez sa mère nourricière, Rémi disposait d’un petit jardin où il surveillait la venue des topinambours qu’il avait plantés.

Sans famille, Hachette, 1962. Musée national de l’éducation/Flickr, CC BY-SA

Paradoxe d’une école de la vie proposée par un auteur qui, candidat en 1875 à des élections cantonales, se déclarait nettement en faveur de l’école laïque, gratuite et obligatoire. Il assure pourtant l’instruction de sa fille unique, Lucie, et il écrit pour elle ce livre qui romance sa démarche : s’il a rédigé à son usage un livre de grammaire et des livres d’histoire, il a aussi beaucoup marché avec elle, tant pour exercer son corps et lui donner le goût de l’effort que pour lui enseigner la géographie.

Il rejoint ainsi Ferdinand Buisson qui, lors de l’exposition universelle de 1878, donne une conférence sur « l’enseignement intuitif », fondé sur « l’élan spontané de l’intelligence vers la vérité ». Il invite les instituteurs à sortir de l’école pour faire observer le ciel ou les paysages, allant jusqu’à dire que « l’école buissonnière aide l’enfant à ne pas perdre totalement l’usage de ses yeux ».

Eduquer l’adulte

Ce faisant, la fiction indique un chemin à l’enfant, mais aussi à l’adulte qui peut y apprendre son métier de parent ou d’éducateur. C’est ce que confirmera, en 1893, En famille, dont l’héroïne, cette fois-ci donc une petite-fille, civilisera son grand-père, un riche manufacturier qui se convertira à la philanthropie.

Sans famille, cette longue école buissonnière, est immédiatement populaire en France mais aussi en Angleterre, et même au Japon et en Chine, où le roman introduit une nouvelle façon de concevoir les liens d’affection entre enfants et adultes.

Rémi sans famille, plus connu au Japon sous le nom de « Naki Ko »

Le Japon, sans doute le pays où l’on aime le mieux Rémi, renvoie même à l’Europe sa propre image du héros avec un dessin animé. Rémi sans famille est désormais plus connu que le livre. Au prix d’une certaine distorsion, puisqu’il en accentue le caractère mélodramatique ; sur Internet, les lecteurs racontent comment ils ont aimé pleurer en le regardant.

Le roman reste quand même célébré par de grandes voix, comme celle de Boris Cyrulnik qui le classe parmi les « livres paradis » qui lui ont permis de survivre. De manière étonnante il n’y a en France que peu d’écoles portant le nom d’Hector Malot. Mais la plupart de ses romans sont aujourd’hui mis en ligne et redeviennent donc disponibles, ce qui laisse augurer un regain d’intérêt pour un auteur témoin éclairé de son temps.

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