Imaginons une forêt tropicale à l’aube – une haute canopée chargée de fougères ruisselantes et d’orchidées, des troncs d’arbre recouverts de mousse et de lichens, et la brume matinale qui, lentement, se dissipe au lever du soleil. Même s’il y a du combustible partout, il semble impensable qu’un écosystème aussi humide puisse un jour s’enflammer.
Et sans intervention humaine, cela ne se produirait pas. L’historique du charbon souligne la faible fréquence des incendies dans l’Amazonie, même durant la période de peuplement précolombienne, et les quelques 8000 espèces d’arbres ne présentent aucun signe d’adaptation au feu que l’on trouve chez leurs cousins de la savane ou dans les forêts boréales.
Mais alors que des milliers de feux ravagent l’Amazonie, il vaut la peine d’observer le comportement de ces incendies. Dans ce contexte, le feu s’est étendu de lui-même comme une traînée de poudre, même si son origine est due aux humains. Qu’est-ce que cela signifie dans une forêt qui n’a pas évolué avec le feu? Et que faut-il faire pour limiter l’étendue des dégâts?
Contrairement aux images largement diffusées montrant des canopées en flammes, les incendies de forêt tropicales dans un environnement qui n’a pas historiquement été exposé au feu ne paraissent pas susceptibles de bouleverser l’écosystème. La progression des flammes est de l’ordre de 200 à 300 mètres par jour seulement et dépassent rarement les trente centimètres en hauteur, brûlant sur leur passage essentiellement des déchets de feuilles et du bois mort.
La majorité de la faune est capable de s’enfuir, et les pompiers, s’ils sont sur place, peuvent stopper le feu simplement en creusant des tranchées. En fait, de modestes pistes tracées par des fourmis ont permis d’arrêter des feux de forêt lors d’une expérience menée dans le sud de l’Amazonie.
Mais l’intensité d’un feu ne permet pas nécessairement d’évaluer sa sévérité. Le manque d’adaptation des forêts tropicales aux incendies rend leurs espèces terriblement fragiles. Un feu de faible intensité peut détruire la moitié des arbres. Si les petits arbres sont au départ les plus fragiles, les plus grands meurent souvent dans les années suivantes, ce qui aboutit à la perte de plus de la moitié des réserves de carbone de la forêt. Ce sont ces grands arbres qui capturent le plus de carbone, et la repousse des espèces pionnières ne compense pas la perte initiale : une fois que la forêt a brûlé, elle perd 25% de ses réserves de carbone par rapport à une forêt laissée intacte, même après trente années de repousse.
Compte tenu de cet effet dévastateur pour les arbres, il n’est pas étonnant que la faune et les humains qui dépendent de la forêt s’en retrouvent affectés. On trouve moins de primates dans les forêts incendiées, et de nombreuses espèces d’oiseaux insectivores disparaissent complètement. Et les populations indigènes, qui chassent en forêt, y cherchent des matériaux de construction et des plantes médicinales, perdent ainsi l’un des éléments les plus importants de leur filet de sécurité.
Ce scénario se déroule lorsque la forêt brûle pour la première fois. Mais la situation est fort différente quand la forêt souffre d’incendies à répétition. Car le carburant créé par les arbres morts précédemment produit un véritable bûcher, un baril de poudre sous la canopée grande ouverte. La hauteur des flammes dans ces forêts rejoint souvent la cime des arbres, ce qui cause la mort de presque tous les arbres survivants.
Ce type de scénario est souvent comparé au phénomène de « savanisation » - mais alors que brousse et arbres épars peuvent sembler identiques, de prime abord, aux prairies tropicales, elles ne renferment aucune de leur biodiversité unique, ou de leurs valeurs culturelles. Les feux de forêt à répétition sont plutôt susceptibles d’accélérer la transition de l’Amazonie vers un écosystème de faible diversité et à bas contenu en carbone, représentant une fraction de sa valeur actuelle aux plans écologique et social.
Un sujet brûlant
Nous savons que les incendies ne sont pas un processus naturel en Amazonie, alors comment se fait-il qu’il y ait tant de feux de nos jours? Malheureusement, nous n’avons pas encore de perspectives claires sur ce qui a brûlé – les satellites détectant les feux et la fumée ne fournissent que des indices imprécis et nous n’obtiendrons d’éclaircissements que lorsque les cicatrices laissées par le feu seront correctement cartographiées sur l’ensemble du territoire. Mais la multiplication à laquelle nous assistons est sans doute le produit de trois types différents d’incendies.
Certains de ces feux résultent d’une récente flambée de déforestation, lorsque la végétation tondue est brûlée pour faire place à des élevages de bétail ou répondre à des revendications territoriales. D’autres sont provoqués par l’agriculture lorsqu’on utilise le feu pour mettre des terres en jachère, ou pour nettoyer la broussaille qui empiète sur les pâturages existants.
Ce qui est inquiétant, et malgré un climat sec normal pour la saison, c’est qu’on trouve des preuves que ce sont ces incendies intentionnels qui se sont propagés en feux de forêt, y compris dans des réserves autochtones.
Régler la question de ces incendies provoqués par des humains s’avère complexe, du fait que plusieurs de ces activités sont soit illégales, ou motivées par des raisons politiques. Il y eu par exemple un accroissement notoire des incendies durant la « journée du feu » qui a eu lieu récemment. Les bûcherons ou les spéculateurs terriens ont dans le passé été impliqués dans des incendies de forêts, notamment sur des réserves autochtones. De plus, il est important de différencier ces feux illégaux de ceux à petite échelle traditionnellement pratiqués par les autochtones amazoniens. Bien que ces feux puissent s’échapper vers la forêt, ils sont indispensables à la survie de bien des habitants les plus pauvres de l’Amazonie.
À leur début, les incendies de forêt peuvent être combattus avec des approches low-tech, comme des coupe-feux. Mais les réponses efficaces sont encore trop rares, et dans la plupart des cas, l’aide arrive soit trop tard, soit pas du tout.
Sous la présidence de Jair Bolsonaro, les fonds alloués à l’agence de protection de l’environnement brésilienne, l’IBAMA, ont été amputés de 95 pour cent. Résultat : une baisse de 17,5 millions de dollars du budget de lutte contre les incendies. Et le problème s’est trouvé aggravé par la décision de l’Allemagne et de la Norvège de retirer leur soutien financier au Fonds Amazonie pour la sauvegarde de la forêt amazonienne.
Comment répondre à la nature inflammable des forêts?
Pour limiter les incendies de forêt, il ne suffit pas d’en trouver l’origine et d’en combattre le résultat, il faut également trouver des moyens d’encourager les mesures qui sont à même de limiter les risques de feu de forêts. S’attaquer à la déforestation demeure prioritaire, car, en mettant à nu les abords des forêts, elle les expose au microclimat plus chaud et sec des terres agricoles, et contribue à une baisse des précipitations régionales.
Le déforestation sélective est une autre activité qui rend les forêts plus inflammables. Lorsque l’on marche dans une forêt déboisée pendant la saison sèche, on ressent la chaleur du soleil directement sur la peau, et les débris de feuilles craquent sous vos pieds. Le contraste est frappant avec les forêts non exploitées, un monde plus ombragé dont les feuilles restent humides. La prévention des incendies est critique pour la sauvegarde à long terme de ces forêts. Et ça ne peut fonctionner que si l’on met un frein à la déforestation illégale à grande échelle, car ce bois récolté à bas coût met en échec les méthodes optimales de gestion des forêts.
Et finalement, les changements climatiques prolongent la saison sèche et rendent les forêts plus inflammables. La hausse des températures augmente la fréquence des feux de forêt tropicaux en dehors des années de sécheresse. Et les changements climatiques pourraient aussi être responsables de la fréquence accrue des anomalies climatiques de type El Niño qui ont un impact sur l’intensité de la saison des incendies à travers l’Amazonie.
Faire face à ces défis demande un effort concerté tant aux plans national qu’international, une collaboration entre les scientifiques et les politiques, et du financement à long terme. Et c’est bien cette approche que la présente administration brésilienne semble avoir l’intention de détruire…
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