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Illustration d'un scan de cerveau
Les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions. Shutterstock

La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada : une mine d’or pour la recherche sur les maladies du cerveau

Le cerveau fascine les humains depuis toujours.

Mais nos connaissances scientifiques sur ces quelques 1,3 kg de substance fragile enchâssée dans la boîte crânienne ont longtemps été fragmentaires. Or, les percées techniques fulgurantes des dernières années ont inauguré en quelque sorte l’âge d’or des neurosciences moléculaires.

Ces percées ont aussi été permises grâce aux banques de cerveaux, qui conservent des cerveaux humains dans les meilleures conditions pour la recherche scientifique. Nous avons ici à Montréal l’une des plus importantes au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (BCDBC), qui a été fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas.

La BCDBC, qui reçoit plusieurs cerveaux chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens. Son équipe traite chaque année des dizaines de requêtes de tissus provenant de scientifiques du Québec, du Canada, et de l’étranger, préparant ainsi environ 2 000 échantillons pour la recherche.

Ces efforts ont permis, au cours des 40 dernières années, un nombre considérable de découvertes sur différentes maladies neurologiques et psychiatriques.

Professeur titulaire au Département de psychiatrie de l’Université McGill, chercheur au Centre de recherche Douglas et directeur de la BCDBC depuis 2007, je travaille en étroite collaboration avec le Dr Gustavo Turecki, codirecteur de la BCDBC et responsable du volet consacré aux maladies psychiatriques et au suicide.

hémisphère cérébral
La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui reçoit plusieurs cerveaux à chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens. (Naguib Mechawar), Fourni par l'auteur

Une petite histoire de la recherche sur le cerveau humain

Ce n’est que vers la seconde moitié du XIXe siècle que les scientifiques commencent à identifier les éléments microscopiques qui composent le cerveau.

À cette époque, on le conserve pour la première fois dans le formol, une solution qui préserve les tissus biologiques afin de pouvoir les manipuler plus facilement et de les garder à long terme.

Parallèlement, on développe des instruments de précision et des protocoles permettant d’examiner les caractéristiques microscopiques du tissu nerveux.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, on se contente surtout de conserver des cerveaux de patients, prélevés à l’autopsie, dans le but d’identifier de possibles changements macroscopiques ou microscopiques en lien avec leurs symptômes neurologiques ou psychiatriques.

C’est notamment ce que fait le neurologue allemand Alois Alzheimer, qui analyse le cerveau d’une de ses patientes atteintes de démence. En 1906, il décrit alors, pour la première fois, les lésions microscopiques qui caractérisent la maladie portant aujourd’hui son nom.

Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, de nombreuses collections de spécimens de cerveaux conservés dans le formol se bâtissent dans des milieux hospitaliers, un peu à la façon des anciens cabinets de curiosités.

Vers la fin du XXe siècle, les approches expérimentales permettant l’analyse à haute résolution de cellules et de molécules au sein de tissus biologiques se multiplient.

Il devient alors nécessaire de recueillir et de conserver des cerveaux humains, obtenus grâce au consentement de la personne ou de sa famille, dans des conditions compatibles avec les techniques scientifiques modernes.

On se met à congeler l’un des hémisphères cérébraux afin, notamment, de pouvoir en mesurer les différentes composantes moléculaires. L’autre hémisphère est fixé dans le formol pour des études anatomiques macroscopiques et microscopiques.

C’est dans ce contexte que fut créée la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada.

Les locaux de la BCDBC
À Montréal se trouve l’une des plus importantes banques de cerveaux au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui fut fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas. (Naguib Mechawar), Fourni par l'auteur

De nouvelles approches expérimentales qui portent fruit

Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches. Cela inclut, il va sans dire, plusieurs équipes québécoises.

C’est ainsi que le Dr Judes Poirier, du Centre de recherche Douglas, affilié à l’Université McGill, et son équipe ont découvert que le gène APOE4 constitue un facteur de risque de la maladie d’Alzheimer. Plus récemment, l’équipe du Dr Gilbert Bernier, professeur au Département de neurosciences de l’Université de Montréal, a découvert que les lésions caractéristiques de cette maladie sont associées à une expression anormale du gène BMI1.

Du côté des maladies psychiatriques, et plus particulièrement de la dépression, des progrès importants ont été réalisés tout récemment par le Groupe McGill d’Études sur le Suicide.

Ainsi, en utilisant des méthodes de pointe permettant d’isoler et d’analyser les cellules du cerveau humain, l’équipe du Dr. Turecki est parvenue à identifier précisément les types de cellules dont la fonction est affectée chez des hommes ayant souffert de dépression majeure, puis de découvrir que les types cellulaires en cause dans cette maladie diffèrent entre les hommes et les femmes.

Ces approches expérimentales donnent lieu à des ensembles de données gigantesques pouvant être interrogés dans le cadre d’études subséquentes. C’est le cas, par exemple, de travaux menés dans mon laboratoire et ayant identifié des signes de changements persistants dans la neuroplasticité au sein du cortex préfrontal de personnes ayant un historique de maltraitance infantile. En effet, les études citées ci-dessus nous ont permis de découvrir au moins un des types cellulaires impliqués dans ce phénomène.

En somme, les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions.

Hémisphères cérébraux conservés dans le formol
Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches. (Naguib Mechawar), Fourni par l'auteur

Identifier, prévenir, dépister et traiter

C’est grâce au travail acharné et au dévouement de toute l’équipe de la BCDBC, ainsi qu’au soutien indéfectible de tous ses partenaires, de mécènes (souvent anonymes) et d’organismes subventionnaires, et particulièrement le FRQS et son Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés, que cette ressource inestimable a non seulement réussi à survivre, mais à se développer et à se hisser au rang des plus importantes banques de cerveaux au monde.

Il est permis de croire que la BCDBC aura dans les années à venir un rôle important à jouer dans l’identification de plus en plus précise des causes biologiques des maladies du cerveau, et donc de nouvelles cibles en vue de meilleures approches de prévention, de dépistage et de traitement.

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