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Publish or perish.

La course d’obstacles des « publis »

La rédaction d’un article scientifique constitue l’aboutissement naturel de tous les travaux de recherche. Les contributions soumises aux revues primaires passent par une étape dite de relecture et révision par les pairs ; c’est-à-dire que d’autres chercheurs du domaine, sous une garantie d’anonymat et en l’absence de conflit d’intérêt, se portent garants que les travaux proposés à la publication respectent les standards de qualité attendus par la communauté scientifique.

Le processus de révision par les pairs n’est pas parfait, mais les chercheurs, les acteurs du monde socio-économique et une partie croissante de l’opinion publique reconnaissent son importance pour la bonne marche de la science et son intégration dans les décisions politiques.

La révision par les pairs n’est cependant qu’une étape dans le long processus qui transforme une hypothèse de recherche en un article scientifique publié. Comment tout cela se passe-t-il ?

Upfront rejection : le premier obstacle à la publication

Tout chercheur souhaitant voir son travail publié dans une revue à comité de lecture doit préalablement l’organiser dans un document formaté selon les instructions de la revue qu’il a ciblé, et le soumettre pour considération et évaluation en utilisant une plateforme web dédiée. À ce stade, les éditeurs et les services éditoriaux effectuent une évaluation préliminaire des soumissions. Certaines, parmi elles, seront envoyées dans le circuit de la révision par les pairs. D’autres seront retournées directement aux auteurs. En anglais, cette deuxième possibilité du processus prend le nom d’upfront rejection. On peut la traduire par « rejet de l’article en amont du processus de publication ».

Dossier incomplet… ijarbs.com, CC BY

Une telle décision de rejet ne juge pas (nécessairement) de la qualité scientifique d’une soumission. Elle se préoccupe avant tout de vérifier au préalable qu’elle soit en phase avec les attentes des lectrices et lecteurs du journal sollicité. De ce fait, certains articles peuvent être refusés sans révision par les pairs, simplement pourquoi ils ne rentrent pas dans les objectifs et les champs d’intérêt de la revue en question.

D’autres raisons éditoriales pour un tel refus sont aussi valables. Par exemple, un article avec un niveau d’anglais trop mauvais (la langue anglaise étant la plus communément utilisée dans les revues internationales) ne pourra pas être correctement évalué pour son contenu scientifique. De plus, cette pratique d’upfront rejection peut décourager certaines pratiques scientifiquement discutables telle que le salami slicing (on divise un travail scientifique dans deux ou plusieurs contributions) ou les articles multiples (la répétition d’un même travail avec des changements minimes, par exemple de modèle biologique ou de contaminant). La pression pour publier rapidement le plus grand nombre de travaux possible peut en effet inciter les auteurs à se laisser tenter par ces pratiques afin d’augmenter (ou plutôt, enfler) leur productivité et leur index-h (il s’agit d’une mesure du nombre de citations des travaux d’un auteur dans d’autres publications).

Au final, l’upfront rejection préserve le temps des réviseurs (qui sont aussi des chercheurs donnant volontairement et gratuitement une partie de leur temps) : il s’agit en effet de leur laisser du temps pour les soumissions davantage susceptibles d’apporter de nouvelles connaissances.

Attention aux dérives

Hormis les raisons scientifiquement fondées discutées ci-dessus, des articles expliquent aussi aux auteurs comment éviter une upfront rejection en choisissant « des titres attrayants » ou encore de « raconter une histoire (scientifique) excitante et convaincante ». Ces types de recommandations relèvent de la communication plutôt que de la science proprement dite. L’attirance de certains éditeurs pour ces aspects journalistiques (la connotation n’est ici pas négative) de l’écriture scientifique découle, du moins en parti, du désir (ou peut-être de la nécessité) de maintenir ou augmenter le facteur d’impact d’une revue scientifique.

Or, bien qu’un article bien écrit soit sûrement plus agréable à lire, les scientifiques ne possèdent pas toujours une facilité d’écriture dans une langue autre que la leur. De plus, des résultats scientifiques solides et importants doivent recevoir toute l’attention qu’ils méritent pourvu qu’ils soient communiqués de façon intelligible. Ce type d’exigences de la part des éditeurs peut conduire les auteurs à choisir pour leurs travaux des titres attractifs qui, souvent, exagèrent ou, pire, déforment la portée des résultats. Ceci dans le seul but de faire une impression favorable sur les éditeurs et de pouvoir passer à l’étape de révision par les pairs.

Le rejet d’une soumission suite à un non-respect des instructions de format doit aussi être l’objet de débat puisqu’il revient à transférer une partie du travail des sociétés de publications (le plus souvent des organisations commerciales à but lucratif ; même dans le domaine de l’accès ouvert) sur les auteurs. Or, ces derniers travaillent dans les institutions de recherche qui paient déjà pour l’accès aux contenus de ces mêmes revues… La compétition accrue pour l’espace disponible pour les publications oblige aussi les auteurs à respecter des limites de nombres de pages très strictes (sinon, ils risquent une upfront rejection ou des frais supplémentaires de publication). Hélas, des travaux d’envergure et des interprétations approfondies des résultats (deux aspects très appréciés, aussi bien par les éditeurs que par les lecteurs) demandent inévitablement plus d’espace.

Au-delà de ces points de vigilance, la plus mauvaise raison pour une upfront rejection a été formulée de la façon suivante (ma traduction à partir de l’anglais) : « Des contributions ayant peu de probabilité d’être citées seront retournées aux auteurs sans révision par les pairs même si elles constituent des bons exemples de recherche ».

L’intrusion du marché dans le processus de publication

Un article scientifique sur le rejet. AMS

En d’autres mots, le potentiel de marché (c’est-à-dire le nombre de citations attendu) d’un travail peut déterminer s’il faut investir du temps et de l’énergie pour le rendre disponible à la communauté scientifique. Cette situation est extrêmement regrettable étant donné que le potentiel de marché d’un travail dépend aussi des modes, transitoires, dans la recherche, et des politiques éditoriales des revues elles aussi, périodiquement révisées.

Malgré le manque de fondements scientifiques pour certaines décisions d’upfront rejection, il faut aussi souligner que certains chercheurs envoient systématiquement leurs contributions aux revues avec le plus fort facteur d’impact possible. Cette stratégie (scientifiquement non éthique) repose sur l’espoir qu’une contribution puisse passer à travers les mailles du processus de révision par les pairs en apportant davantage de prestige aux auteurs et à leurs institutions. Les personnes s’adonnant à ces pratiques font normalement de la recherche de bonne qualité, mais elles cèdent à la pression d’essayer de « vendre leur travail à de revues avec les facteurs d’impact les plus élevés » au lieu de soumettre directement leur travail à un journal plus approprié. Ceci est un abus qui occupe le temps des éditeurs et aussi des auteurs qui, à chaque refus avant ou après révision par les pairs, doivent préparer à nouveau une soumission pour un autre journal.

Auteurs et éditeurs ensemble pour des « publis » de qualité

Au vu de ces considérations, cet instrument d’upfront rejection est carrément une étape importante dans le processus de la publication scientifique. Les éditeurs (qui sont aussi souvent des scientifiques donnant gratuitement de leur temps) ne doivent pas être critiqués trop durement pour les erreurs de jugement qu’ils peuvent commettre. D’autre part, la communauté scientifique doit maintenir une certaine pression sur l’industrie de la publication pour en limiter les dérives possibles. Il s’agit de garantir que des raisons de marché (comprendre une évaluation (subjective) du nombre potentiel de citations qu’un article pourrait attirer), des questions de format et de style, ou encore la capacité des auteurs de présenter leur recherche ne soient pas utilisés comme critères pour présélectionner la recherche qui est soumise à l’évaluation par les pairs en vue de sa publication.

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