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Deux dents : les premiers fossiles de singe trouvés en Serbie. Predrag Radović, Author provided

La découverte de fossiles de singes nous donne des indices sur la vie quand il faisait plus chaud sur Terre

Au lever du soleil, des arbres clairsemés projettent leur ombre allongée au-dessus d’une clairière verdoyante. Éléphants et rhinocéros se regroupent autour d’un paisible point d’eau. Une bande de babouins piaillent en se réveillant alors qu’ils se préparent à affronter la chaleur accablante du jour.

On se croirait en plein milieu d’une scène du Roi lion, sauf que nous ne sommes pas en Afrique mais en Europe de l’Est, à la fin de l’ère pliocène il y a trois millions d’années.

C’est un monde qui est familier à Predrag Radović, paléontologue au Musée national Kraljevo en Serbie. Radovic étudie les fossiles des espèces disparues d’éléphants comme le zygolophdon, un gros mastodonte armé de défenses de trois mètres de long, et du deinotherium, qui ressemble à l’éléphant africain contemporain à l’exception de ses défenses qui lui poussent depuis sa mâchoire inférieure et se recourbent vers le bas.

Radović a identifié les restes d’une baleine remontant à 12,5 millions d’années à l’époque miocène (de 5,3 à 23 millions d’années avant notre ère), alors qu’une grande partie de l’Europe était enfouie sous une mer intérieure. Et Radović est en train de rédiger un rapport sur une dent de stéphanophore, un rhinocéros disparu depuis l’ère glaciaire.

Les dents du singe

Radovic m’a récemment invité à collaborer à son rapport sur un nouveau fossile de dent. Comparée à celle d’un rhinocéros ou d’une baleine, cette dent semblait petite et fort modeste, mais c’est cela qu’elle avait de remarquable: c’était une dent de singe!

Cette dent provient d’un site paléolithique d’une grand richesse situé dans le village de Ridjake, à l’ouest de la Serbie. C’est peu de temps après que des chercheurs du Musée d’histoire naturelle de Belgrade ont découvert une deuxième dent dont l’état de conservation était meilleur et provenait de la même espèce de singe. Nous avons analysé ces dents et les résultats de nos recherches ont été publiés dans le Journal of Human Evolution.

Ces dents proviennent d’unparadolichopithecus, un singe de type babouin qui a vécu durant l’ère pliocène, entre 2,6 millions et 5,3 millions d’années environ avant notre ère. Il s’agit du premier fossile de singe trouvé en Serbie, mais les singes étaient fort présents en Europe durant cette époque. On avait déjà découvert des restes de paradolichopithecus en Espagne, en France, en Grèce ainsi qu’en Roumanie, et jusqu’en Chine. L’étude de ces fossiles nous aide à comprendre le rôle des climats anciens sur l’évolution des primates.

Deux dents de primates découvertes à Ridjake en Serbie, et identifiées comme ayant appartenu à un Paradolichopithecus. Predrag Radović

Au paradis des primates

À bien des égards, l’ère pliocène a été un paradis pour les primates. La température du globe était de deux à quatre degrés centigrades plus chaude qu’aujourd’hui, et le niveau des mers bien plus élevé. On ne trouvait pas de calotte glaciaire au pôle nord, et les forêts boréales s’étendaient jusqu’à l’Arctique.

Les singes européens vivaient dans des forêts humides de type sous-tropicales. Ces températures résultaient en partie de taux plus élevés de gaz carbonique - plus de 400 particules par million, chiffre atteint à nouveau pour la première fois en trois millions d’années. De fait, des chercheurs étudient l’ère pliocène afin d’essayer de comprendre à quoi notre climat pourrait ressembler si nous échouons à ralentir la progression du réchauffement climatique.

Mais en ce qui concerne les singes de l’ère pliocène, c’est un changement climatique différent qui se préparait. Le continent sud-américain, qui dérivait vers le nord depuis des millions d’années, est finalement entré en collision avec le plateau tectonique des Caraïbes, ce qui a provoqué une réaction en chaîne changeant de manière permanente le climat sur notre planète. Une fois soudées les Amériques du Nord et du Sud, le courant entre les océans atlantique et pacifique a été interrompu, ce qui a modifié le sens des courants sur la planète entière.

Le tout nouveau Gulf Stream a alors dirigé ses eaux chaudes directement vers l’Europe du nord, et en s’évaporant est retombé sous forme de pluie et de neige, en diluant suffisamment les eaux salées de l’océan arctique pour leur permettre de geler. C’est ainsi que la calotte glacière a commencé à se former il y a trois millions d’années, précipitant le climat vers une ère glaciaire.

Le dernier des primates

En Europe continentale, l’environnement humide sous-tropical a commencé à s’assécher. Le paradolichopithecus a été capable de s’adapter plutôt bien à ce nouveau climat: les fossiles les plus anciens trouvés en Roumanie provenaient d’un environnement humide et sylvestre, alors que les fossiles plus tardifs découverts en France et en Espagne indiquent que les animaux ont été capables de s’adapter aux conditions plus sèches des pâturages.

Mais quand l’ère pliocène a cédé sa place à l’époque pléistocène il y a 2,6 millions d’années, l’ère glaciaire s’est emparée de la planète. Le climat a débuté un cycle de glaciation et de périodes interglaciaires au cours desquelles les plaques de glace géantes se sont alternativement étendues et rétrécies sur la plus grand surface des continents nordiques. L’ère pléistocène a sonné le glas de toutes les races de primates en Europe - sauf une.

Homo, le genre humain, est apparu en Afrique autour du début de l’ère pléistocène et s’est rapidement propagé à travers le Vieux Monde. Les premier êtres humains ont fait preuve d’adaptation à des environnements auxquels les autres primates ne pouvaient survivre, en inventant des outils, des stratégies alimentaires tenant compte des saisons, et en maîtrisant le feu. Vers le milieu du Pléistocène, plusieurs espèces humaines peuplaient l’Afrique, l’Asie et l’Europe.

De toutes les espèces exotiques étudiées par Radović, celle-là est la plus intéressante. L’équipe internationale dont je fais partie et qui est dirigée par Dušan Mihailović, professeur d’archéologie auprès de l’Université de Belgrade et par Mirjana Roksandic, anthropologue à l’Université de Winnipeg, a contribué à identifier les premiers vestiges néandertaliens de Serbie et des Balkans.


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Un refuge balkanique

La région des Balkans est essentielle à la compréhension de la réaction des humains et autres mammifères aux changements climatiques durant la période pléistocène, car ils ont servi de refuge durant les périodes glaciaires. Alors que les banquises s’étendaient sur la partie nordique de l’Europe, les populations se sont réfugiées dans les vallées et les plaines alluviales du centre des Balkans, où ils se sont trouvés obligés de s’adapter à de nouveaux environnements sous peine d’extinction.

Le village de Ridjakke, en Serbie occidentale, où ont été découvertes deux dents de singe. Predrag Radović, Author provided

En fin de compte, l’Homo a succombé face à l’ère pliocène. Quand s’est achevé le dernier cycle de glaciation, et qu’a débuté l’ère holocène, toutes les espèces humaines ont disparu, sauf une.

Il serait tentant de penser que nous sommes des êtres d’exception, ce qui nous aurait permis de survivre alors que d’autres périclitaient, mais il s’agit probablement d’un simple coup de chance. L’histoire des primates de l’ère plio-pléistocène sert de rappel de l’importance des changements climatiques sur l’évolution des hommes et des primates, et de la fragilité de notre relation au climat.

PBS: Quand la planète se réchauffait.

Les humains sont les animaux de l’ère glaciaire. La calotte arctique n’a jamais fondu depuis ses origines il y a trois millions d’années. Mais si les changements climatiques provoqués par l’humain se poursuivent, nous serons catapultés dans un monde inconnu de nos gènes. L’étude de nos cousins de l’ère pliocénique peut nous offrir un aperçu de ce à quoi notre univers pourrait ressembler.

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This article was originally published in English

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