Menu Close

La jeunesse américaine se détourne de plus en plus de la politique

Bernie Sanders entouré de ses partisans, le 1er février, à Des Moines, dans l'Iowa. Joshua Lott/AFP

La génération Y ne porte pas la démocratie dans son cœur. Une étude présentée récemment par deux universitaires de Harvard, Roberto Foa et Yascha Mounk, montre que les jeunes électeurs américains sont de plus en plus désabusés. Non seulement vis-à-vis de la politique ou des campagnes électorales, mais aussi vis-à-vis de la démocratie elle-même.

Ce phénomène mondial est particulièrement prononcé aux États-Unis. Moins de 30 % des Américains nés depuis 1980 pensent que la démocratie est essentielle. Plus de 20 % de ceux qui sont nés après 1970 estiment que la démocratie américaine est « mauvaise ou très mauvaise » – soit près de deux fois plus que chez les personnes nées entre 1950 et 1970.

J’écris sur la démocratie et le système démocratique depuis des décennies, et j’observe ces tendances depuis presque autant de temps. Les gens comme moi ont poussé un soupir de soulagement quand les jeunes ont voté en masse à l’élection présidentielle de 2008, ravis de les voir participer à notre vie politique. Mais, en 2014, le taux de participation des jeunes électeurs a touché le fond.

Assistera-t-on cette année à un renversement de la tendance ? L’engagement de la jeunesse auprès des « outsiders » de la campagne, Donald Trump et – surtout – Bernie Sanders, est un signe encourageant pour ceux d’entre nous qui s’inquiètent de son désintérêt pour la démocratie. La situation reste toutefois préoccupante.

Les jeunes qui délaissent complètement la politique et ceux qui sont séduits par la campagne de Bernie Sanders sont animés par une grande insatisfaction vis-à-vis de l’immobilisme du système actuel. Dans les deux cas, ce sentiment me paraît justifié.

Comment en est-on arrivé là ?

Ce manque de respect des jeunes à l’égard de la démocratie à l’américaine s’explique par des raisons bien réelles. Le 112ᵉ Congrès (2011-2013) a adopté moins de lois que tous ses prédécesseurs depuis 1947. En termes d’inactivité, le 113ᵉ Congrès (2013-2015) se place juste derrière. Le Congrès actuel, le 114ᵉ, fait à peine mieux. Les jeunes d’aujourd’hui qui approchent ou entrent dans l’âge adulte ne connaissent de la démocratie qu’un système où les responsables politiques passent leur temps à s’invectiver sans changer les choses.

Les élections sont censées nous aider à résoudre ce problème. Mais alors que la cote de confiance du congrès plafonne autour de 10 %, 95 % des élus ont été réélus pour un nouveau mandat en 2014. Malgré le mécontentement généralisé des électeurs, le processus électoral n’induit aucun changement.

Ceci est principalement dû à deux facteurs, qui ne laissent que peu d’espoir aux jeunes électeurs.

Des freins au changement

Tout d’abord, une campagne pour les représentants du Congrès coûte « en moyenne deux fois plus qu’il y a vingt-cinq ans », soit 1,6 million de dollars environ en 2012. Les candidats qui ne disposent pas d’une fortune personnelle sont disqualifiés d’office. En outre, les mécènes ne soutiennent généralement pas les nouveaux venus, à moins qu’ils n’aient de grandes chances de l’emporter.

Ensuite se pose le problème du gerrymandering, ou redécoupage – pratique qui consiste, pour les autorités locales, à redessiner les contours des circonscriptions électorales afin d’assurer la victoire de leur candidat au Congrès. Ce phénomène n’a rien de nouveau, puisque le terme a été inventé au début du XIXe siècle, mais les républicains, qui ont obtenu une victoire écrasante lors des élections de 2010, pratiquent désormais à leur guise le redécoupage dans près de la moitié des États du pays.

Par conséquent, les démocrates se sont retrouvés concentrés dans un nombre extrêmement limité de circonscriptions, tandis que les républicains se partageaient la majeure partie du gâteau. Cela leur a permis de gagner, ou de conserver, davantage de sièges. Mais les premiers bénéficiaires de ce système sont bien les candidats à leur propre succession, qu’ils soient démocrates ou républicains.

Toutefois, le gouvernement ne se contente pas d’être inefficace et peu réactif. Les élus eux-mêmes disent qu’il est malhonnête, voire criminel. Aisi les sénateurs Ted Cruz et Bernie Sanders ne cessent de répéter que la corruption règne en maître à Washington. Pendant l’un des débats républicains récents, à Boulder, dans le Colorado, le gouverneur Chris Christie a par exemple déclaré : « Ceux qui vous dirigent sont des menteurs et des voleurs ! »

Si les élus parlent en ces termes du gouvernement, comment peut-on avoir confiance dans le système qui les a placés là ?

Une éducation civique incomplète ou inadaptée

La question n’est pas uniquement de savoir ce que les responsables politiques ont appris à la jeune génération, mais ce que celle-ci n’a pas appris durant ses études. En clair, beaucoup de jeunes Américains ne savent pas comment s’engager politiquement.

Depuis les années 1990, nombre d’académies ont remplacé les cours traditionnels d’instruction civique par des « travaux d’intérêt général ». Une manière, à leurs yeux, d’inculquer aux élèves la notion de communauté en leur donnant l’occasion d’aider à nettoyer leur quartier ou à organiser des soupes populaires.

Et cela a fonctionné. La génération Y est manifestement extrêmement généreuse et dotée d’une véritable conscience sociale. Mais ces travaux d’intérêt général n’ont suscité aucun engouement pour la politique.

D’ailleurs, parce que tant d’établissements scolaires se concentrent sur ces travaux d’intérêt général, nombre d’élèves n’ont pas appris à faire le lien entre la politique et la résolution des problèmes auxquels fait face leur communauté : par le vote, la mobilisation et le lancement de pétitions. En restant passif face à cette aversion dont font preuve les élèves vis-à-vis de la politique, le système scolaire ne leur donne pas les moyens de comprendre pleinement ce que signifie la notion de citoyenneté, renforçant et finalement approuvant cet état d’esprit.

Cela n’a rien d’un accident

En définitive, les républicains ont contribué à exclure les jeunes du jeu politique. Selon le Brennan Center de New York University, au moins 22 États ont adopté, entre 2010 et 2014, des lois compliquant l’accès au vote des citoyens. Certaines de ces restrictions – horaires restreints d’ouverture des bureaux de vote, nouvelles pièces d’identité à fournir, etc. – visent spécifiquement les étudiants et, plus généralement, les jeunes gens de leur âge.

Les jeunes électeurs ayant tendance à voter démocrate, ces lois permettent effectivement, et de manière très certainement intentionnelle, aux républicains de rester au pouvoir. Bien entendu, certains des jeunes concernés refusent de baisser les bras – personne ne les empêchera de faire leur devoir de citoyen –, mais pour ceux qui sont déjà mal déconnectés du système politique, ces nouvelles mesures constituent une raison supplémentaire de ne pas aller voter.

Ainsi, par nos paroles et nos actions, nous avons convaincu nombre de jeunes Américains que la politique ne les concernait pas, et que la démocratie était un miroir aux alouettes. Malheureusement pour nous tous, ils ont retenu la leçon.

Et ensuite ?

Pourtant, la campagne actuelle incite à penser que la génération Y n’est peut-être pas perdue pour la démocratie. Son rejet de cette forme de gouvernement explique son intérêt prononcé pour Donald Trump et surtout Bernie Sanders. Chez les électeurs de moins de 45 ans, Sanders fait plus de deux fois mieux qu’Hillary Clinton.

Face aux multiples preuves de l’inefficacité du gouvernement et aux accusations de corruption, la jeunesse américaine se tourne vers les outsiders pour sortir du statu quo. Que ces derniers l’emportent ou non, elle risque néanmoins d’être déçue par les changements radicaux qui pourraient survenir après l’élection. Quoi qu’il en soit, l’une des clés de la popularité de ces candidats s’explique par leur capacité à exploiter au mieux le désamour profond des jeunes électeurs vis-à-vis du système démocratique, telle qu’il est.

Les candidats devraient s’adresser davantage à la jeunesse, et surtout formuler des propositions pour tenter de répondre à son insatisfaction. Les jeunes ont besoin que les responsables politiques reconnaissent qu’ils les ont laissés tomber, et qu’ils expliquent concrètement ce qu’ils comptent faire pour les réconcilier avec la démocratie.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter de miser sur des personnalités charismatiques pour inciter les étudiants à s’éveiller à la politique. Il faut entreprendre un travail de fond pour restaurer la confiance des jeunes dans le jeu démocratique. Il convient surtout de restaurer un solide cursus d’instruction civique.

Comme le disait Jefferson : « Les compétences requises pour accéder à l’autonomie politique ne sont pas innées. Elles sont le fruit de l’habitude et d’un long apprentissage ». Pour aider les jeunes à se préparer à leur rôle de citoyen, nous devons les aider à comprendre comment prendre part à la vie politique. Ce n’est qu’une fois que nous aurons pris nos responsabilités que nous pourrons juger de leur incapacité à en faire de même.


Traduit de l’anglais par Bamiyan Shiff/Fast for Word

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,700 academics and researchers from 4,947 institutions.

Register now