« Les mots peuvent redéfinir le monde » affirmait l’activiste du climat Briana Fruean en novembre 2021 lors de la COP26. Et si c’était vrai ? Les questionnements scientifiques mais aussi l’éventail des actions requises afin de réduire les émissions de CO₂ (reconnues comme étant la cause principale de ce phénomène) font de la crise climatique un sujet complexe. Pour favoriser une bonne compréhension des risques et des moyens dont nous disposons pour enrayer cette crise, les mots que nous utilisons pour parler du climat doivent être accessibles à toutes et tous.
Cependant, certaines interventions politiques montrent que cette communication peut aussi être biaisée et ne laisser percevoir qu’une représentation réductrice du phénomène. De tels biais peuvent alors générer un discours climatosceptique questionnant l’objectivité scientifique (argument qui peut se retrouver notamment dans les discours de Donald Trump, alors Président des États-Unis)
Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a établi plusieurs « stratégies » et « principes » de communication, tout comme les Nations unies qui ont publié « un guide pratique de communication », et récemment, en France, l’Assemblée Nationale a formé « un groupe de travail sur le traitement médiatique » de l’urgence climatique.
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Communiquer à propos d’un phénomène aussi hétérogène que la crise climatique (sécheresse, inondations, mais aussi inégalités sociales face à la crise) peut s’avérer particulièrement difficile. A cette fin, les métaphores peuvent être un outil redoutable pour assurer une meilleure réception du discours climatique de la part du public.
Nous avons toutes et tous déjà entendu des expressions telles que « effet de serre » ou « empreinte carbone ». Un peu à la manière d’une comparaison, les métaphores permettent de représenter un sujet complexe (comme l’impact de la pollution carbone) en invoquant l’image d’un objet plus concret (comme une empreinte de pas). Elles peuvent donc simplifier le sujet à des fins pédagogiques, mais cette simplification, lorsqu’elle est produite à des fins politiques, peut aussi avoir des répercussions concrètes sur la société.
Ecoterrorisme et écocide : de simples métaphores ?
En juin dernier, la dissolution du mouvement Les Soulèvements de la Terre, dans un contexte de crise démocratique, a réveillé des débats concernant le risque « d’écoterrorisme », terme fustigé par les personnalités politiques de gauche qui soulignaient alors le contraste entre violences terroristes et violences observées lors des manifestations.
Ces débats et les décisions politiques qui en découlent ne sont que le résultat d’une surenchère d’arguments faisant intervenir de nombreuses métaphores promulguant ou contestant une représentation de la crise climatique en tant que crime climatique.
Tandis que la représentation du crime climatique ne sous-tend en rien une interprétation métaphorique – il existe bel et bien un lien de causalité %2C %20said,ground %20for %20radicalization %20and %20recruitment.) entre crise climatique et hausse de la criminalité –, les arguments qui y sont associés puisent dans l’imagerie du crime, en représentant ce « crime » climatique comme un crime plus facilement identifiable pour le public.
Cette imagerie peut notamment se retrouver dans les discours scientifiques décrivant des preuves « incriminantes » de la responsabilité humaine, les discours médiatiques attribuant une intention « meurtrière » à des évènements météorologiques, ou encore les discours des mouvements écologiques identifiant des « prisonniers » de « l’injustice » climatique.
L’un des exemples les plus frappants de cette représentation métaphorique du crime climatique est sans nul doute le bain de faux sang déversé par les activistes d’Extinction Rebellion sur la place du Trocadéro à Paris en mai 2019, symbolisant « les morts humaines et animales, présentes et à venir, causées par la catastrophe climatique ».
Le crime climatique est alors perçu sous la forme d’un bain de sang, ces activistes ayant choisi une représentation simplifiée, limitée, mais toutefois saisissante des divers impacts du réchauffement.
Une étude linguistique des métaphores argumentatives observées dans les communications publiées en anglais par l’association de protection des droits humains et de l’environnement Les Amis de La Terre a révélé une forte prévalence de l’imagerie criminelle afin de promouvoir la « justice » climatique. Cette imagerie a aussi été observée dans les discours produits par les mouvements écologiques tels que FridaysForFuture ou les discours des activistes du climat, comme Greta Thunberg.
Cette argumentation métaphorique visant à définir la notion de crime climatique a fini par se matérialiser en plusieurs affaires politiques et judiciaires, notamment « l’Affaire du Siècle », à l’issue de laquelle la France a été condamnée à réparer les conséquences de son inaction climatique. On peut aussi noter la pétition visant à faire reconnaître l’écocide. Cette notion reprend explicitement des images liées aux génocides-féminicides dans le contexte environnemental et l’accole à l’idée de « crime international ».
Ainsi, la mise en garde concernant un éventuel « écoterrorisme » reprend cette imagerie liée au crime climatique afin de promouvoir des contre-arguments : « l’inaction climatique » du gouvernement est perçue comme criminelle par les activistes tandis que la « radicalité écologiste » des activistes est perçue comme criminelle par le gouvernement.
Promouvoir un dialogue international
Dans d’autres contextes, les arguments métaphoriques ne sont pas toujours associés aux controverses telles que celles présentées ci-dessus. Lors des sommets internationaux sur le climat, l’utilisation de métaphores est le plus souvent nécessaire pour soutenir les récits relatant les diverses expériences climatiques vécues par des communautés provenant des quatre coins du monde.
Afin de partager une représentation concrète des phénomènes climatiques (et de leurs conséquences sociales et culturelles) se déroulant parfois à plusieurs milliers de kilomètres, les locuteurs et locutrices recourent à des imageries plus parlantes pour les communautés internationales. L’activiste Ougandaise Hilda Flavia Nakabuye s’adresse ainsi à la communauté internationale lors de la COP25 en 2020 :
« Je suis la voix des enfants mourants, des femmes déplacées, et des personnes souffrantes sous l’emprise de la crise climatique créée par les pays riches. »
Cette allocution permet à l’activiste de se transformer, via la métaphore, en une simple « voix ». Cette métaphore insiste sur le caractère polyphonique de son récit : ce n’est pas son expérience personnelle de la crise climatique que nous devons écouter mais bien les diverses épreuves traversées par les diverses communautés directement touchées par la crise.
Les populations indigènes se servent aussi des métaphores afin de partager leur propre perception de la nature et dispenser leurs savoirs afin d’aider les communautés internationales à vivre plus en harmonie avec l’écosystème :
« Les peuples indigènes sont en première ligne de l’urgence climatique. Laissez-nous mettre fin à cette pollution de paroles creuses et laissez-nous nous battre pour notre futur et notre présent. »
Cette déclaration est de Txai Suruí, activiste du climat au Rondônia lors de la COP26 en 2021.
Ce dialogue international, enrichi par ces imageries métaphoriques, représente aussi une opportunité pour les communautés – et notamment les MAPA (« Most Affected People and Areas » – « Personnes et régions les plus touchées ») – de promouvoir un partage de connaissances et de valoriser les solutions mises en place par les populations directement touchées par la crise climatique. Ces solutions incluent notamment la valorisation des ressources naturelles et l’accès à l’éducation pour toutes et tous.
En conclusion, bien que les métaphores puissent générer de fortes polarités au sein de la société, elles peuvent aussi permettre un dialogue visant à promouvoir la solidarité internationale afin de mieux maîtriser les effets de la crise climatique.