Menu Close
La Symphonie n° 9 représente l'apogée de la carrière de Beethoven. Boston Public Library/Flickr, CC BY

La « Neuvième » de Beethoven a 200 ans : pourquoi c’est une œuvre révolutionnaire

Au début de l’année 1824, 30 membres de la communauté musicale de Vienne envoient une lettre à Ludwig van Beethoven, demandant au grand compositeur de reconsidérer son projet de créer sa dernière œuvre à Berlin et d’inaugurer la symphonie à Vienne.

Beethoven vivait à Vienne depuis 1792, date à laquelle il a quitté sa ville natale de Bonn, en Allemagne, pour poursuivre sa carrière de compositeur. Il a alors atteint une renommée mondiale, mais dans les années 1820, il tombe en disgrâce auprès des mécènes viennois qui, à l’époque, étaient attirés par les sonorités et les styles des compositeurs italiens.

Beethoven ne s’était pas produit à Vienne depuis une douzaine d’années, mais, touché par la lettre, il a accepté d’y présenter sa nouvelle œuvre, la Symphonie n° 9 en ré mineur. La première a lieu le 7 mai 1824, au théâtre Kärntnertor.

Les promoteurs du concert ont assuré au public que le légendaire – et légendairement antisocial – compositeur serait présent lors de ce concert. En effet, pendant toute la durée de la représentation, Beethoven était sur scène, dos au public, comme le décrit Maynard Solomon dans sa biographie du compositeur.

Une salle de concert à l’époque de Beethoven
Symphony No. 9 premiered at the Kärntnertor Theater in Vienna. De Agostini G Dagli Orti/Getty Images

Le compositeur avait insisté pour diriger la symphonie, à partir d’un pupitre de chef d’orchestre. Le chef d’orchestre officiel du concert, Michael Umlauf, avait demandé aux musiciens – un orchestre et un chœur viennois – d’ignorer Beethoven, qui était complètement sourd et qui, théoriquement, ne pouvait pas suivre le rythme.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

La représentation a été interrompue à plusieurs reprises par les applaudissements nourris des quelque 2 000 personnes présentes, mais Beethoven n’a pas pu entendre ces réactions. Selon des témoins oculaires, le compositeur « se jetait en avant et en arrière comme un fou » et a pris plusieurs mesures de retard dans sa « direction d’orchestre ».

L’accueil enthousiaste réservé à la première représentation de la symphonie présageait de sa réception dans la communauté musicale européenne, à l’échelle mondiale et de son succès à travers le temps.

Un attrait mondial

La Symphonie n° 9, parfois appelée la Symphonie chorale, a été le point culminant de l’extraordinaire carrière de Beethoven. Au cours des 200 années qui ont suivi sa création, la symphonie est devenue une composition essentielle du répertoire orchestral et est souvent citée comme le couronnement de la musique classique occidentale.

Si la symphonie est accessible à un large public, c’est notamment grâce à l’incorporation par Beethoven du poème de 1785 « An die Freude », ou « Ode à la joie », de Friedrich Schiller, un auteur, historien et philosophe allemand de premier plan. Associé à une mélodie mémorable dans le quatrième mouvement, ce texte – avec son sentiment exaltant et humaniste – a contribué à faire de la symphonie un hymne.

Largement interprété comme le plaidoyer de Beethoven pour une « fraternité » mondiale, le quatrième mouvement a été incorporé dans des cérémonies parrainées par des organisations internationales telles que l’Unesco, les Jeux olympiques, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Étant donné la célébrité de l’œuvre, l’Ode à la joie a également été employée à des fins de propagande par des partisans du nazisme, du bolchévisme, du maoïsme et d’autres idéologies.

Une composition révolutionnaire

La Symphonie n° 9 est extraordinaire à bien des égards, selon Teddy Abrams, directeur musical de l’Orchestre de Louisville et chef d’orchestre lauréat d’un Grammy Award.

Elle n’était pas le premier long morceau de musique de l’époque, mais les autres étaient généralement construits en enchaînant de nombreuses séquences plus courtes. En revanche, Beethoven a conçu la Neuvième symphonie – une œuvre de 74 minutes – à partir de seulement quatre longs mouvements. « Les proportions à elles seules sont stupéfiantes », m’a dit M. Abrams lors d’une interview pour cet article.

Chacun des quatre mouvements de la Neuvième est une déclaration musicale unique et cohérente. Selon M. Abrams, c’est cet aspect, plus que l’innovation que constitue l’utilisation d’un chœur dans une symphonie, qui a rendu la Neuvième de Beethoven révolutionnaire.

Au début du dernier mouvement, Beethoven reprend des éléments des trois mouvements précédents. Cette « citation » était une technique très inhabituelle à l’époque, selon M. Abrams. C’est à partir de ces « souvenirs » musicaux qu’émerge le thème intemporel de l’Ode à la joie », m’a-t-il indiqué.

Énergie et dynamisme

La symphonie a influencé des artistes dans tous les domaines de la culture, y compris dans divers genres musicaux modernes et d’avant-garde. Le compositeur britannique Gabriel Prokofiev, petit-fils du célèbre compositeur russe Sergei Prokofiev, a été chargé par un orchestre français en 2011 de créer une nouvelle œuvre, Beethoven9 Symphonic Remix, qui interprète la symphonie en fusionnant la musique classique et la musique électronique.

Interrogé dans le cadre du documentaire « Beethoven’s Ninth : Symphony for the World », réalisé en 2020, Prokofiev a déclaré : « Beaucoup de techniques utilisées par [Beethoven], en particulier ses finales en apothéose et ses codas, ainsi que son sens du drame et du dynamisme, se retrouvent partout, en particulier dans la musique de danse et la musique électronique. »

Depuis plus d’un siècle, la Symphonie n° 9 joue un rôle emblématique dans l’industrie du disque. Compte tenu de la popularité constante de l’œuvre de Beethoven, les maisons de disques cherchent, depuis 1923, à publier des enregistrements de cette symphonie en particulier. Les premiers enregistrements ne pouvaient cependant pas contenir l’intégralité de la symphonie.

Puis, vers 1980, deux maisons de disques – Sony et Philips – ont négocié la durée du nouveau format de disque compact numérique à un peu plus de 74 minutes par CD. Selon Joop Sinjou, ingénieur de Philips qui a joué un rôle clé dans le développement de la technologie, le président de Sony, Akiyo Morita et sa femme ont insisté pour que le nouveau format soit conçu pour contenir l’intégralité de la Symphonie n° 9. Cependant, il existe des variantes de l’histoire, et il n’est donc pas certain que la décision des sociétés de fabriquer des CD capables de contenir plus d’une heure de musique ait été prise spécifiquement pour la Neuvième de Beethoven.

Message de paix

Le quatrième mouvement de la symphonie contient un message de paix qui trouve un écho particulier au XXIe siècle. Dans une section de ce mouvement, Beethoven a incorporé une « Marche turque » mettant en scène deux instruments associés à la Turquie : la cymbale et la grosse caisse. Selon Prokofiev, à l’époque de Beethoven, les Européens discriminaient les Turcs.

La Symphonie n° 9 de Beethoven a été interprétée en 2006 par le West-Eastern Divan Orchestra, un ensemble composé de jeunes musiciens israéliens et arabes. Cette interprétation s’inscrivait dans le cadre d’une campagne en faveur d’une résolution pacifique du conflit au Moyen-Orient.

Les vidéos de cette interprétation ont été visionnées par des millions de personnes. La symphonie de Beethoven continue d’inspirer la vision d’une humanité unie.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,400 academics and researchers from 4,982 institutions.

Register now