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La refonte de l’X : une quatrième occasion manquée en 125 ans ?

Des refontes sont en cours à X. Bernard Bobe, Author provided

Le 15 décembre 2015, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, accompagné d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie et des Finances et de Thierry Mandon, Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur, s’est rendu à l’École Polytechnique, à Palaiseau (Essonne) « dans le cadre de la refonte de l’X annoncée en juin dernier ». C’est une suite donnée au rapport Attali, déjà analysé dans ces colonnes.

Des évolutions sensibles

Les ministres ont annoncé des évolutions importantes et utiles pour l’École Polytechnique notamment en renforçant les liens avec le Ministère de la Défense puisque c’est une école militaire depuis Napoléon I.

Les autres mesures maintiennent un lien étroit avec la haute fonction publique française (formation des futurs hauts fonctionnaires intégrants les « grands corps de l’État »), une diversification des formations, un recrutement de professeurs de haut niveau à l’échelon international, une plus grande ouverture à l’accès par le mérite (internat d’excellence pour des boursiers de classes préparatoires, un accroissement des recrutements « post-licence » pour le cycle ingénieur), la poursuite du rapprochement entre écoles d’ingénieurs françaises (comme avec l’École Nationale Supérieure des Techniques avancées), et surtout une plus grande ouverture sur l’international.

Selon le Président de l’X, « Les orientations retenues comportent des mesures phares : mise en place de cursus sélectifs, payants, en anglais, aux standards internationaux (Graduate degrees dès 2016 et Bachelor au plus tard en 2018), recrutement d’enseignants chercheurs internationaux renommés, tout en modernisant et en renforçant le joyau qu’est le cycle ingénieur polytechnicien ».

Ces principales mesures seront accompagnées d’un plan des travaux de rénovation. L’État apporte 60 millions d’euros sur cinq ans pour un objectif clair, selon le communiqué du ministère de la Défense : « assurer la pérennité de nos acquis les plus précieux, pour notre développement et notre rayonnement international en préservant l’excellence de l’école Polytechnique ».

Dans sa lettre au Président de l’École Polytechnique du 14 décembre 2015, le ministre clarifie les principaux objectifs et les mesures à intégrer dans un plan stratégique rénové. Les relations avec l’Université Paris-Saclay viennent en huitième et dernière position.

L’enseignement supérieur et la recherche français en mouvement

Dans le « grand Paris » des évolutions notables sont en cours, notamment à Saclay comme cela a été analysé par Jean-Claude Thoenig qui qualifie avec raison cette initiative de « projet à la française » le nommant « la méga université de Saclay ». C’est un « cluster » qui rassemble avec des entreprises deux universités existantes (Paris Orsay et Versailles Saint-Quentin), dix grandes écoles et sept organismes de recherche étatiques. L’objectif de cet agglomérat est de rendre la France visible dans le « classement de Shanghai ».

Le véritable enjeu n’est pas là. Le système d’enseignement supérieur et de recherche français a été qualifié récemment de « baroque », au sens de « bizarre et étrange ». « L’exception française est une double dichotomie unique au monde : enseignement supérieur et organismes de recherche étatiques d’une part, universités et grandes écoles d’autre part. Ce système est illisible, incompréhensible et complexe1. Partout en France il est en évolution, car chacun a pris conscience que ces structures sont devenues un handicap pour l’économie et la société françaises ».

La France est le seul pays au monde, pour des raisons historiques et culturelles, à ne pas disposer de « vraies » universités, des établissements assurant quatre fonctions : créer des connaissances scientifiques, diffuser les savoirs, assurer une formation professionnelle, sélectionner les élites. Le système d’enseignement supérieur et de recherche français date de la Révolution avec la création de l’École Polytechnique et de l’École Normale Supérieure, par la Convention, en 1794. Il s’est complexifié au fil des ans par l’ajout de nombreuses écoles d’ingénieurs de petite taille, sans liens avec la recherche, d’universités de taille et de qualité moyennes et d’organismes de recherche étatiques comme le Centre National de la Recherche scientifique ou le Commissariat à l’Énergie atomique.

Quatre initiatives en 125 ans

Plusieurs initiatives ont été prises soit pour doter la France de vraies universités soit pour faire évoluer l’École Polytechnique vers une véritable Université de Technologie au sens, par exemple du MIT afin de pouvoir le faire ailleurs en France.

La première initiative fut prise en 1890 par le Ministre Léon Bourgeois s’inspirant du modèle allemand de W. von Humboldt fondateur en 1810 de l’Awyezlma Mater Berolinensis. Ce modèle correspond à une conception du développement scientifique qui se fait par la confrontation des disciplines, comme l’avait écrit Condorcet. Ce projet échoua, en 1892, devant l’opposition du Sénat qui refusait la décentralisation financière et l’autonomie. Décentraliser c’était défaire la France de la Révolution et de l’Empire. Cette France jacobine et hyper centralisée a bien été analysée par A. de Tocqueville dans « L’Ancien Régime et la Révolution » et plus récemment par P. Rosanvallon2. Analyses encore actuelles ?

La deuxième initiative date de la décision en 1961-1963 de déménager l’École Polytechnique de Paris à Palaiseau. Il est question d’associer à l’X ses écoles d’application, et notamment l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Les discussions vont assez loin, mais ce projet est arrêté en 1974. L’École reste elle-même et accueille ses premiers élèves à Palaiseau en 1976.

X en cours de changement. Bernard Bobe, Author provided

Une troisième initiative est prise avec la création de ParisTech qui, à la fin des années 1990 regroupe neuf écoles d’ingénieurs de Paris intra-muros auxquelles s’associe l’École Polytechnique. Le projet est construit dans une optique fédérative par une approche « bottom up ». Ce projet trouva vite ses limites quand les différents ministères auxquels appartiennent ces écoles prirent conscience que les administrations centrales – les grands corps de l’État – perdraient une partie de leur pouvoir. Des voies s’élevèrent chez les anciens pour « ne pas mélanger les torchons et les serviettes ». Le projet fut arrêté de facto par le gouvernement en 2003, même si ParisTech moribond bénéficia du label « Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur » (PRES).

Une quatrième occasion est ce projet de refonte de l’X en 2015. Des responsables ministériels en sont conscients. Emmanuel Macron a déclaré, dans son discours à Palaiseau : La clé de la réussite « c’est que les écoles constituent un pôle d’excellence qui fonctionne avec l’université et que les ingénieurs, qui ont ce rôle fondamental que je viens d’évoquer, puissent travailler de mieux en mieux avec les docteurs et les chercheurs qui sont sur ce site », ajoutant « la transformation économique que nous sommes en train de vivre elle abat les frontières disciplinaires, elle modifie profondément les modes d’organisation, et c’est ce défi que nous devons relever en bénéficiant de toutes les synergies qui sont ici à l’œuvre ».

Ailleurs dans le monde, à Lausanne comme à Zurich, à Munich comme à Berlin, à Shanghai comme en Californie ou à Cambridge, cela se fait dans des universités.

Constituer trois universités à Saclay ?

L’établissement public de Paris Saclay est un « gros machin jacobin » dont chacun sait que la gouvernance sera délicate. En usant de litotes, les trois ministres l’ont dit dans leurs discours. L’imagination devrait être mobilisée à Saclay. Pourquoi, comme à Boston ne pas créer plusieurs universités ? L’une associant l’École Polytechnique avec les écoles qui voudraient la rejoindre et des scientifiques d’organismes de recherche étatiques (CNRS, CEA, etc.) pour constituer une École Polytechnique de Paris (ParisTech). Une autre associant l’École Centrale de Paris, la « rivale de toujours » – désormais fusionnée avec Supelec – avec d’autres écoles (comme l’E.N.S.) et des chercheurs de centres de recherches étatiques qui voudraient aussi la rejoindre. Une autre autour de l’université de Paris Orsay avec, comme l’a dit Thierry Mandon dans son discours à Palaiseau, une « officialisation de la sélection à l’entrée en master ».Il ne peut y avoir d’autonomie sans sélection.

Chacune de ces trois universités pourrait alors avoir, comme d’autres en France (avec des COMUE évoluant vers de véritables universités), une autonomie dans la définition de leurs stratégies incluant la formation, la recherche, l’international et l’entreprenariat. Il faudrait remplacer l’hyper centralisation jacobine par un financement global géré par une structure n’ayant qu’un petit nombre de « chargés de mission » et une évaluation internationale rigoureuse, comme cela se fait dans d’autres pays européens. La fin du mammouth et de l’âge de glace !

Les décisions prises le 15 décembre 2015 conduisent à penser qu’une quatrième occasion est manquée. Le plan stratégique ne concerne que l’École Polytechnique : il donne la priorité à la visibilité internationale, au développement de la recherche et ajoute un zeste de « diversité » ; l’X reste ce qu’elle est. La lettredu ministre de la Défense laisse une porte ouverte : « Vous entreprendrez la constitution d’un regroupement entre écoles d’ingénieurs volontaires au sein de l’université Paris-Saclay ».

Pourquoi ne pourrait-on pas créer de vraies universités à Saclay et ailleurs en France, dans les villes où les acteurs le souhaitent, comme à Marne-la-Vallée et Lyon ou Strasbourg ? La création de vraies universités implique que l’état jacobin accepte la constitution et le développement d’îlots de liberté, des universités autonomes, sans craindre que cela ne remette en cause l’unité de la République. Ce qui n’était pas possible en 1890, en 1974 et en 2000 le sera-t-il en 2016 ? On peut en douter, mais on peut encore espérer, même si Manuel Valls n’en n’a pas parlé, le 14 décembre 2015, dans son discours à la clôture de la conférence de la stratégie nationale de recherche.

(1) Bernard Bobe, « Le baroque universitaire français », Commentaire, No. 151, automne 2015.
(2) Pierre Rosanvallon, « Le Modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours », Seuil, 2004.

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