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La Russie va se servir de ses vastes forêts comme monnaie d’échange

La Russie possède beaucoup de gaz, mais a besoin d’autant de chaleur. Ilya Naymushin/Reuters

La Russie est réputée pour être l’un des États les plus difficiles en matière de négociations climatiques, et il ne faut s’attendre à aucun changement lors de la COP21. Après tout, le pays possède de vastes réserves de pétrole et de gaz, subit des hivers rigoureux et défend âprement ses intérêts économiques.

Sa stratégie s’articulera autour de trois axes majeurs. Elle soulignera tout d’abord le rôle prépondérant des forêts dans la régulation du climat, ce qui la placera en position de force pour aborder la réduction des émissions, puisque le territoire russe compte 640 milliards d’arbres. Elle insistera aussi sur la nécessité d’un engagement multilatéral, préambule à tout accord, la Russie étant l’un des plus fervents adeptes du principe de « responsabilité commune mais différenciée » dans les politiques climatiques. Enfin, il est quasiment certain qu’elle ne signera pas un accord susceptible d’entraver son développement économique.

La Russie, qui est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) au monde, était jusqu’à peu dans le camp des pays opposés à un accord mondial sur le changement climatique. Il a ainsi fallu plus de six ans à Moscou pour ratifier le protocole de Kyoto, et permettre enfin au traité de prendre effet.

Ce comportement s’expliquait par des problèmes politiques et économiques qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le climat lui-même. La ratification du traité a notamment été retardée par les négociations concernant l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Aujourd’hui, la détermination des Russes est, en apparence, des plus fermes. Leur « contribution prévue déterminée au niveau national » (CPDN), présentée au mois de mars, les engage à réduire, d’ici à 2030, leurs émissions de GES de 25 à 30 % par rapport à 1990.

En Russie, les centaines de milliards d’arbres peuvent absorber énormément de carbone. Tatiana Bulyonkova, CC BY-SA

Selon la Russie, de telles mesures sont envisageables car le pays s’est affranchi de la corrélation entre développement économique et émissions de GES. La CPDN indique ainsi que le PIB a augmenté de 72,9 % entre 2000 et 2012 tandis que les émissions de GES ne croissaient que de 11,8 %. On considère néanmoins que l’économie russe est très polluante, en raison du niveau élevé d’émission par unité de PIB. Ceci est principalement dû aux hivers rudes et à des bâtiments et infrastructures obsolètes et énergivores.

Néanmoins, la notion de changement climatique a peu à peu intégré les discours publics et officiels du pays. Vladimir Poutine lui-même évoque le sujet ces temps-ci, comme il l’a fait au cours de la dernière assemblée générale des Nations unies. Son engagement récent constitue incontestablement un pas en avant par rapport aux promesses précédentes, comme à Copenhague, où la Russie ne s’était engagée qu’à une réduction de 15 % à 20 % de ses GES. Le plan d’action de lutte russe passe aussi désormais par des décrets présidentiels, une législation nationale, une doctrine officielle sur le climat et même une stratégie énergétique.

Savoir lire entre les lignes

Force est de constater qu’avec la crise économique qui a suivi la dissolution de l’Union soviétique, l’objectif d’émissions basé sur les niveaux de 1990 est bien plus facile à atteindre. Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, l’effondrement de la majorité des industries polluantes du pays a entraîné une chute spectaculaire des émissions de GES, qui n’ont toujours pas retrouvé leur niveau initial. D’ailleurs, pour atteindre ses objectifs, la Russie n’a même pas besoin de réduire ces émissions.

Une grande raffinerie du Bachkortostan, au centre du pays. Le pétrole joue un rôle de plus en plus important dans l’économie russe. Sergei Karpukhin/Reuters

De plus, certaines des stratégies de rendement énergétique susceptibles d’atténuer le changement climatique, telles que la modernisation du secteur de l’énergie ou l’amélioration du rendement énergétique des bâtiments, sont dans l’intérêt économique de la Russie. Il est probable qu’elles auraient été envisagées, indépendamment de toute obligation internationale.

Atouts et inconvénients des ressources russes

Le pays a toujours mis l’accent sur son immense taïga, qui couvre une grande partie de la Sibérie et abrite plus de 70 % des forêts boréales de la planète. La CPDN indique clairement que l’engagement russe est « soumis à la prise en compte maximale des capacités d’absorption des forêts », elles-mêmes censées permettre aux industries de poursuivre leurs émissions. Les experts et les écologistes russes doutent cependant que leur impact sur les émissions soit aussi élevé que le prétend le gouvernement.

L’économie russe repose avant tout sur les vastes réserves de gaz du pays, les plus importantes du monde. Quand elles n’appartiennent pas directement à l’État, les principales compagnies gazières, pétrolières et électriques entretiennent des liens très étroits avec celui-ci. En Russie, énergie et sécurité de l’État vont de pair et les combustibles fossiles sont souvent considérés comme un outil politique essentiel, comme l’ont démontré nombre de conflits relatifs au gaz, avec l’Ukraine ou la Biélorussie, notamment.

Il est donc peu probable que la Russie crée la surprise à Paris. Elle répétera très certainement qu’elle poursuit l’objectif d’une réduction de 25 % à 30 % des émissions de GES, soulignera l’importance de ses forêts et rappellera le principe de « responsabilité commune mais différenciée ». Si engagement il y a, elle aura pris soin de s’assurer qu’il ne viendra pas bouleverser l’équilibre prioritaire qu’elle entend maintenir entre stabilité économique et stabilité politique.


Traduit de l’anglais par Catherine Biros/Fast for Word

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