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Des drones larguent des pesticides dans un champ de thé. La majorité des études concernant les pesticides sont financées par ceux qui les produisent et les vendent. Shutterstock

La science des pesticides doit être indépendante, plaide un chercheur

Il ne faut pas croire les vendeurs lorsqu'ils affirment que leurs produits sont les meilleurs sans bien s’informer.

La même logique doit s'appliquer lorsqu'il est question des pesticides. La science les concernant est incertaine, tout comme la source de certaines études. Il est difficile de naviguer dans les méandres des recherches qui semblent parfois dire une chose et son contraire.

Pour un agriculteur, des différences de production au champs de l'ordre de 10% auront un énorme impact sur le bilan financier. Pourtant, les variables que l'on retrouve dans les tests agricoles présentent des erreurs encore plus grandes.

Il faut donc être particulièrement vigilant quand on prépare des tests. Les résultats de rendement sur le terrain pour une production dépendent du cultivar (la sorte spécifique de semences utilisée), des engrais utilisés (autant la sorte, les quantités, que les modes d’application), du travail du sol, du drainage, de la gestion des mauvaises herbes, des insectes nuisibles, des maladies, des variations météorologiques, et j’en passe. Toutes ces variables tendent donc à produire des résultats qui sont souvent peu concluants ou contradictoires et donc d’une interprétation difficile.

Des pommes de terres contaminés par des insectes. Une mauvaise analyse des risques peut avoir des effets désastreux sur une production. Shutterstock

Je fais de la recherche sur les contaminants dans l'environnement depuis 25 ans, focalisant sur les situations où des produits chimiques sont présents au-delà des concentrations perçues comme normales. Comment peut-on départager la présence d'un composé étranger qui ne devrait naturellement pas être là mais qui n'a pas d'impact, et le seuil de concentration à partir duquel il a des impacts significatifs ? Et si ces impacts sont avérés, qu'on puisse réglementer et prévenir pour empêcher des effets nuisibles sur la santé humaine ou sur l'environnement ?

Des recherches vraiment fiables ou téléguidées?

La façon de concevoir une expérience scientifique, son design expérimental, tel que mis en place par le chercheur, a une énorme influence sur les résultats escomptés et peut grandement « aider » à démontrer une influence bénéfique ou « prouver » qu’une telle approche est inutile.

Par exemple, je fais un petit test préliminaire sur un certain nombre de fermes choisies réellement au hasard. Je pourrai après ma première saison déterminer les sites où ce que je veux démontrer varie le plus (ou le moins, selon mon objectif).

L’année suivante je prépare une étude approfondie, avec une rigueur exemplaire pour mon design expérimental. Si je sélectionne mes sites de façon aléatoire, les biais seront vraiment dû au hasard. Mais si j’ai parcimonieusement choisi certains types de sites pour obtenir un résultat plus clair sans le mentionner, j’aurai induit un biais systématique qui pourrait être très difficile à déceler lors d'une révision par les pairs.

Je produirai alors une étude scientifique qui semble parfaitement valable mais dont j’aurai tenté de téléguider les résultats.

De la difficulté de mener des études neutres

La majorité des études disponibles sur les pesticides sont financées par ceux qui les produisent, souvent selon leur design expérimental. Certains rapports d’étude sont plutôt mis de côté tandis que d’autres résultats sont très largement diffusés.

Épandage de pesticides dans un champ. La majorité des études sur les pesticides sont financées par les producteurs de produits chimiques. Shutterstock

De façon générale, les chercheurs qui produisent des résultats utiles pour l’industrie ont beaucoup plus de facilité à financer leurs travaux alors que ceux qui travaillent sur les moyens de réduire l’usage de pesticides ou sur le bénéfice des approches agronomiques alternatives aux pesticides devront se limiter au financement gouvernemental pour financer leurs travaux.

Pire, certains chercheurs qui travaillent sur l’impact environnemental des pesticides risquent de subir des attaques menées par l’industrie sur leur crédibilité scientifique, leur éthique, voire leur vie personnelle. On n'a qu'à voir à ce sujet les déboires de Tyrone Hayes. Ses travaux sur l'atrazine incommodait Syngenta qui a mis en place une stratégie systématique pour le discréditer et ainsi tenter d'invalider ses publications.

De la dangerosité variable du pesticide

Ensuite, il faut bien reconnaître qu’un pesticide est conçu et utilisé pour éliminer une « peste » quelconque. Il est donc par définition nocif – au moins pour la cible. Les herbicides visent à diminuer les mauvaises herbes (sans trop affecter les plantes qu’on veut produire), les insecticides veulent contrôler les insectes nuisibles sans affecter les pollinisateurs et autres insectes bénéfiques. Enfin les rodenticides ciblent les rongeurs nuisibles.

Les criquets pèlerins détruisent les fermes horticoles et causent des dégâts aux agriculteurs. Shutterstock

Malheureusement, tous les pesticides ont le potentiel de nuire aux plantes utiles, aux poissons, aux insectes, aux oiseaux. Certains affectent particulièrement les prédateurs en fin de chaîne alimentaire (par exemple, les oiseaux de proie, mammifères marins, ours polaire).

Le défi de l’incertitude est de déterminer, pour chaque espèce qu’on veut protéger, la dose limite qui aura un effet nuisible. On ne cherche pas vraiment la dose létale qui va tuer tous les organismes, mais bien la plus petite dose qui aura un impact significatif sur un nombre suffisant d’individus ou d’organismes. Les seuils spécifiques où on considérera un impact comme significatif sont variables et relèvent plus d’un choix sociétal que scientifique.

Des incertitudes dans les estimations de risques

Quand un nouveau pesticide est mis sur le marché, un certain nombre d’études produites par le fabricant doivent avoir démontré une innocuité contre une gamme de cibles potentielles. Ces études toxicologiques (pour l’humain) et écotoxicologique (pour l’environnement) serviront à déterminer des doses à ne pas dépasser et des critères seuils pour préserver la qualité de l’environnement, incluant l’eau potable.

Cet exercice tend à déterminer la plus grande concentration possible qui pourrait être permise et qui n’aura pas d’effet significatif sur la santé humaine ou l’environnement. Il doit absolument être fait en se basant sur des études scientifiques de qualité, produites sans conflit d’intérêt.

Ça n'est pas toujours le cas. On apprend cette semaine que des travaux présumés objectifs sur le glyphosate, une substance classée comme un « cancérogène probable », selon une agence de l'OMS, ont été révisés secrètement par le géant de l'agrochimie Monsanto.

Il y a toujours une part d’incertitude dans ces estimations de risque. Si on adopte une approche de preuve des risques, les critères seront beaucoup moins stricts qui si on intègre le principe de précaution. Dans le doute, par précaution, on resserrera les seuils pour éviter de causer des torts difficilement réparables.

Il est donc important de comprendre que plus on fait d’études, plus on a de chances de trouver un organisme biologique non ciblé particulièrement sensible, ou des conditions spécifiques qui aggravent la toxicité d’un pesticide. Dans la majorité, sinon la quasi-totalité des cas, les critères de qualité pour la santé et l’environnement évoluent toujours dans le temps pour un resserrement progressif – au fur et à mesure que les études s’accumulent pour démontrer les impacts.

On peut aussi observer la même tendance avec l’interdiction de certains pesticides. Par exemple, il y a un siècle, on utilisait de l’arséniate de plomb jusqu’à la mise en marché du DDT, un nouveau pesticide moderne qui s’annonçait comme efficace sans les risques associés à l’arsenic (on s’inquiétait moins du plomb à ce moment).

On a ensuite banni le DDT qui tuait les aigles, les faucons et qui affectaient certainement aussi les humains. On a donc transféré ensuite vers les pesticides organophosphorés, qui n’avaient pas les risques du DDT, mais qui sont neurotoxiques et affectent nos enfants même avec à de très faibles concentrations.

On vaporise encore du DDT dans des villages, en Thaïlande. Le produit tue les moustiques responsable du paludisme, de l'encéphalite, de la dengue et du Zika. Mais il comporte des risques avérés pour la santé. Shutterstock

Aujourd’hui, nous utilisons des néonicotinoïdes (certaines de nouvelles générations remplaçant ceux qui commencent à être bannis) ainsi que le glyphosate, actuellement l'herbicide le plus utilisé au monde.

Radio-Canada vient de révéler que plus du tiers des échantillons testés par l'Agence canadienne d'inspection des aliments entre 2015 et 2018 contenaient des résidus de glyphosate.

Au fur et à mesure que les études vont s’accumuler, on resserrera les règles et l’industrie va s’adapter en proposant des alternatives.

Attention aux dogmes

Il faut aussi être vigilant de ne pas tomber dans une approche dogmatique qui refuse tout apport chimique.

Certaines règles de la culture biologique sont plutôt apparentées à une croyance ou une religion, sans fondement scientifique. Par exemple, si un produit chimique est « naturel » et peut être fourni en broyant de la roche, le produit est éligible, mais si le même produit est généré par chimie de synthèse, il sera interdit.

Il faut arriver à départager dans quels cas un usage modéré et minimisé de pesticides peut être bénéfique sans causer d’impact significatif sur la santé humaine ou l’environnement.

Il faut aussi être à l’écoute des approches agronomiques alternatives qui permettent de réduire la dépendance aux pesticides. Les informations offertes aux producteurs, et qui les guident dans leurs décisions, ne doivent pas être fournies par des intervenants dont le gagne-pain dépend de la vente de pesticides. Et qui nous disent que c’est économiquement impossible de modifier notre façon de faire l’agriculture.

La recherche scientifique indépendante nous informera sur les meilleures approches agronomiques et sur les impacts potentiels sur la santé et l’environnement. Les réglementations environnementales et les conseils agronomiques ne peuvent dépendre des intérêts commerciaux qui produisent et vendent les pesticides.

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