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La sécurité du Japon à l’épreuve du pouvoir de Donald Trump

Shinzo Abe et Barack Obama à Pearl Harbor, le 27 décembre 2016. Nicholas Kamm / AFP

La visite du premier ministre japonais Shinzo Abe à Pearl Harbor les 26 et 27 décembre 2016 en miroir de celle effectuée par Barak Obama à Hiroshima en mai n’a pas eu pour unique objet de conjurer les fantômes de la Grande Guerre du Pacifique. Au-delà de la relation Washington-Tokyo, l’archipel tente en effet d’imposer une nouvelle image d’acteur responsable de la sécurité régionale face à une Chine expansionniste dont l’agressivité inquiète en Asie, et au-delà.

La victoire du Parti libéral-démocrate du Japon (PLD), en décembre 2012, et la désignation de Shinzo Abe comme premier ministre avait alors été largement interprétée comme un virage à droite et suscité quelques commentaires alarmistes sur le regain de nationalisme de l’archipel. En cinq ans, Shinzo Abe a imprimé sa marque et doté le Japon d’une défense proactive dans le cadre d’une alliance nippo-américaine rénovée. Cette dernière survivra-t-elle à l’ère Obama ?

Une normalisation sur fond de « menace chinoise »

Soucieux d’achever la normalisation des Forces d’autodéfense japonaises (FAD), l’objectif de Shinzo Abe reste la réforme de la Constitution dite pacifiste de l’archipel. Celle-ci, imposée en 1947 par le général Douglas MacArthur à un Japon défait, voit son article 9 interdire le recours aux armes et consacrer le principe de non-belligérance. Si au regard de la loi « Peacekeeping Operations » (PKO), votée en 1992, l’archipel peut prendre part à des opérations des Nations unies, il a longtemps dû se cantonner à une fonction logistique hors des zones de combat faute d’être capable d’assurer sa propre protection.

L’alliance de sécurité signée avec les États-Unis en 1951 et renégociée en 1960 est asymétrique : elle maintient le Japon dans une posture d’assisté. C’est pourtant le souhait américain d’un plus grand partage du fardeau qui permettra au Japon de s’émanciper.

Les orientations de défense nippo-américaines de 1997, puis de 1999, ouvrent la voie à un partenariat stratégique plus équilibré. Engagés sur de multiples terrains, les États-Unis attendent un soutien plus « opérationnel » du Japon. De son côté, celui-ci s’alarme de la montée en puissance économique et militaire du grand voisin chinois.

Solder le « régime de l’après-guerre », et après ?

Dans un contexte de tensions maritimes croissantes avec la Chine, et sous la menace du programme d’armes de destruction massive nord-coréen, Shinzo Abe en est venu à autoriser une réinterprétation de l’article 9 permettant à l’Archipel, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de venir en aide à un allié s’il est attaqué. Ce droit à l’autodéfense collective permet aux forces japonaises d’intervenir sur des théâtres d’opérations extérieures.

C’est une évolution doctrinale majeure qui sera officialisée par la modification de la législation des FAD, en septembre 2015, avec un vote parlementaire à une large majorité (148 voix sur 242). Le champ des opérations menées par les FAD est étendu. Il englobe un soutien aux forces militaires des pays engagés dans des activités qui contribuent à la sécurité du Japon mais aussi un appui à la sécurité internationale, et notamment aux opérations de maintien de la paix.

C’est ainsi que le 18 novembre 2016, le gouvernement japonais a autorisé ses forces déployées au Soudan du Sud à défendre des positions et des travailleurs des Nations unies en cas d’attaque par des groupes armés.

Deux soldats des forces d’autodéfense japonaises à l’entraînement. US Air Force Airman 1st Class Jonathan Snyder/Wikimedia

Ces mesures continuent toutefois de soulever de fortes critiques de l’opposition et de l’opinion publique japonaises, attachées à l’identité pacifiste de l’archipel. L’article 9 et son interprétation demeurent ainsi au cœur de débats récurrents.

La mutation de la posture stratégique de l’Archipel s’est accompagnée d’une diplomatie subtile en direction de l’Asie du Sud-Est – notamment des Philippines et du Vietnam alarmés devant l’expansionnisme maritime chinois –, mais aussi de l’Inde et de l’Australie avec qui Tokyo a su nouer des liens de confiance étroits.

La participation du Japon à la lutte contre la piraterie dans l’Océan indien depuis 2008 a favorisé le développement de relations avec l’Union européenne et l’OTAN. Elle a également permis à l’archipel d’établir sa première base logistique outre-mer, à Djibouti. Enfin, un rapprochement a été ébauché avec la Russie pour tenter de faire évoluer la situation des Territoires du Nord (les îles Kouriles, selon la terminologie russe).

Un Japon sans l’Alliance est-il possible ?

Les Forces japonaises sont désormais technologiquement parmi les plus avancées d’Asie et disposent d’un des premiers budgets de défense mondial, soit 41 milliards d’euros pour 2017. Mais il est bien en deçà des centaines de milliards d’euros des budgets de la Chine et des États-Unis, par ailleurs puissances nucléaires.

Rapidement mobilisables les FAD peuvent – sous certaines conditions – être envoyées outre-mer et apporter un soutien significatif à tout pays bénéficiant d’« une relation proche » avec le Japon. Elles pourraient, par exemple, apporter leur concours à un bâtiment de la marine américaine attaqué et ceci où que ce soit. Arrimées par nécessité depuis 1945 à une alliance militaire américaine constituant leur seule garantie de sécurité, les FAD pourraient trouver avec l’avènement de Donald Trump une opportunité de s’émanciper davantage. Mais y ont-elles intérêt ?

Elles peuvent y être poussées par l’incertitude politique et le risque accru de compétitions militaires et de frictions diplomatiques que connaît actuellement l’Asie du Nord-Est. Si la présidence républicaine qui s’annonce attend de ses alliés une plus grande participation à leur défense, le Japon n’aura d’autre choix que de poursuivre le renforcement de son outil militaire.

Deux aéronefs de l’armée japonaise (Mitsubishi F EJ Kai Phantom II). Cp9asngf/Wikimedia, CC BY-SA

Un principe de réalisme tempéré devrait pourtant inciter le nouveau Président américain élu à nuancer sa vision du futur des alliances en Asie à l’aune des intérêts de Washington dans la zone et de la définition de sa politique chinoise. Car si la future administration républicaine peut envisager de réduire sa présence militaire et revisiter le « pivot asiatique » de la présidence Obama, elle peut difficilement dénoncer un système d’alliance sans remettre en cause des équilibres asiatiques, certes précaires, mais jusqu’à présent exempts de crises majeures.

Shinzo Abe a été l’un des tout premiers dirigeants étrangers reçus par Donald Trump, le 17 novembre 2016. 内閣官房内閣広報室/Wikimedia, CC BY

Tant la crédibilité stratégique de la Corée du Sud, autre partenaire clef de Washington dans la région, que celle du Japon seraient sérieusement entamées si les États-Unis venaient à minimiser leurs engagements de sécurité. Le signal envoyé enhardirait une Corée du Nord déjà prompte à franchir les lignes rouges. Au-delà du face-à-face de plus en plus tendu entre la Chine et le Japon en mer de l’Est, la prise de distance de Washington rendrait plus difficile encore la situation de certaines nations d’Asie du Sud-Est en conflit avec Pékin en mer de Chine méridionale.

A l'occasion d'une visite en France, Tomomi Inada, ministre de la Défense du Japon, prononcera une conférence sur la politique de sécurité de l’Archipel le Vendredi 6 janvier 2017 (à partir de 09H00) à l’Ecole militaire.

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