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L'AfricaMuseum de Belgique a un sombre passé colonial : il assume timidement son histoire

Des hommes et des femmes portant des masques se tiennent devant une sculpture en bois représentant deux personnages, l'un aux seins nus, avec des plateaux concaves en haut et en bas. Elle se trouve à l'intérieur d'une vitrine en verre
Le Premier ministre de la RDC, Jean-Michel Lukonde (à gauche), à l'AfricaMuseum de Belgique en 2022. Jasper Jacobs via Getty Images

Des affiches et des récits racistes sont exposés dans plusieurs musées d'Europe occidentale. Il s'agit notamment d'objets grotesques représentant les Africains comme des “sauvages”. Les récits d'un “continent sans histoire” et les fantasmes de supériorité européenne sont encore racontés dans les musées ethnographiques, comme le Humboldt Forum à Berlin et le Musée du quai Branly à Paris.

Ces musées font l'objet de critiques de la part de chercheurs et d'activistes depuis les années 1970. Leur traitement des objets pillés pendant la période coloniale, en particulier en Afrique, est considéré comme un indicateur des relations politiques entre l'Europe et les nations africaines.

Les critiques portent sur l'acquisition illégitime des objets ainsi que sur la représentation souvent raciste du continent africain et de ses habitants. Elles portent également sur le manque de participation des acteurs africains et de la diaspora.

Après une première phase d'hésitation, la Belgique, ancienne puissance coloniale, s'est ouverte au débat sur les réparations, la justice et un avenir commun avec ses partenaires africains à la fin des années 1990.

Ce changement d'attitude a été accéléré par la pression croissante du mouvement Black Lives Matter en Belgique. Les avancées internationales réalisées par d'autres anciennes puissances coloniales comme la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne dans le débat sur la restitution ont également créé un élan.

L’AfricaMuseum, situé à Tervuren, dans la banlieue de Bruxelles, est au cœur de ces débats en Belgique. C'est une institution qui est en train de réparer son histoire troublée.

Un long plan d'un bâtiment beige avec son reflet dans un bassin d'eau.
Le bâtiment principal de l'AfricaMuseum à Tervuren construit dans les années 1900. Wikimedia Commons

En tant que chercheur blanc et privilégié qui se concentre sur la mémoire coloniale, le racisme et les mouvements anticoloniaux en Europe, mon point de vue sur l'AfricaMuseum est partagé. Depuis plus de 10 ans, le musée fait partie de mes recherches en études culturelles. Selon moi, le musée est marqué par un passé sombre et a montré peu de signes d'introspection post-coloniale. Cependant, il y a de sérieux efforts à faire pour changer.

Le pillage colonial

L'ancêtre de l'AfricaMuseum a été créé en 1897 par le roi des Belges Léopold II (1835-1909). Il s'agissait d'un zoo humain colonial dans le cadre de l'exposition universelle de Bruxelles. Un village congolais a été recréé à Tervuren “exposant” 60 résidents congolais. Sept d'entre eux n'ont pas survécu à l'exposition qui a duré plusieurs mois.

Une sculpture d'un homme jouant du tambour tandis qu'un autre brandit une lance prête à attaquer un autre homme allongé sur le sol. Ils sont au centre d'une salle où sont exposés des couteaux et des épées sur les murs.
Représentations racistes des Africains dans le musée dans les années 1920. Wikimedia Commons

En 1910, l'espace ouvre ses portes sous le nom de Musée du Congo belge et présente des collections ethnographiques. L'institution coloniale a d'abord servi à légitimer le régime colonial brutal dans le bassin du Congo. Elle a promu la prétendue “mission civilisatrice” en Afrique auprès de la population belge.

Elle mettait en avant une prétendue supériorité européenne étayée par des méthodes pseudo-scientifiques et une représentation raciste des cultures africaines.

Les objets exposés ont pour la plupart été pillés dans les territoires colonisés par des fonctionnaires belges, des militaires et des particuliers.

Ces injustices matérielles et immatérielles ont été peu connues en Belgique jusqu'à la fin des années 1990. Aujourd'hui encore, certaines positions conservatrices glorifient la période coloniale belge comme une entreprise justifiée et philanthropique.

Même après l'indépendance de la République démocratique du Congo, le 30 juin 1960, le musée a conservé son concept original sous le nom de Musée royal de l'Afrique centrale. Il dégageait une “nostalgie” coloniale particulière. En 2001 encore, l'anthropologue américain Jean Muteba Rahier décrivait le musée comme un lieu colonial figé dans le temps.

En 2013, le musée a été fermé pour d'importantes rénovations. Il a rouvert ses portes sous le nom d'AfricaMuseum en décembre 2018, le directeur de l'époque, Guido Gryseels, déclarait :

… le musée a pris ses distances avec le colonialisme en tant que forme de gouvernement et accepte la responsabilité du rôle qu'il a joué dans le passé en diffusant des stéréotypes sur l'Afrique.

Aujourd'hui, l'AfricaMuseum possède plus de 125 000 objets ethnographiques. Il possède 300 000 objects géologiques, 8 000 instruments de musique et près de 10 millions de pièces biologiques. Il conserve également des enregistrements sonores et cinématographiques. Quelques restes humains font partie des collections du musée.

Sculptures en bois exposées derrière une vitrine
Sculptures congolaises exposées à l'AfricaMuseum. Julien Bobineau

L'origine et les circonstances exactes de l'acquisition de ces objets restent en grande partie inexpliquées. On peut supposer que la majeure partie de la collection a été illégalement pillée pendant la période coloniale.

Reconnaître le patrimoine africain

La question de la restitution est étroitement liée à celle de la révision de la représentation de l'Afrique et des Africains dans les musées ethnographiques. L'AfricaMuseum a tenté d'y répondre lors de sa rénovation (2013-2018).

Cependant, certains objets restent placés dans un contexte qui permet une vision péjorative de l'Afrique. En témoigne la combinaison de la représentation de la culture congolaise et de l'histoire naturelle de l'humanité dans un même espace.

Après que le président français Emmanuel Macron a relancé le débat sur la restitution lors de sa visite au Burkina Faso en 2017, l'AfricaMuseum s'est concentré sur la question de l'origine de ses objets. La réparation et la représentation des voix africaines et celles de la diaspora sont devenues une priorité.

Cette démarche a été soutenue par des débats politiques au Parlement belge en 2021 et 2022. Ils ont abouti à la formulation de principes éthiques pour la restitution.

Une nouvelle loi qui a été adoptée fournit un cadre pour la restitution des objets pillés. Il s'agit d'un point de départ pour une redéfinition des relations belgo-congolaises.

Premiers résultats

Depuis lors, la Belgique a transmis à la République démocratique du Congo un projet de traité bilatéral de restitution. Il propose, par exemple, une commission mixte pour coordonner les enquêtes scientifiques sur l'origine des objets en possession de la Belgique.

En juin 2021, les droits de propriété de près de 800 objets pillés de l'AfricaMuseum ont été transférés à l'État congolais, mais ils n'ont pas encore été entièrement restitués à Kinshasa.

En février 2022, le Premier ministre belge Alexander De Croo a présenté au Premier ministre congolais Jean-Michel Lukonde une liste de plus de 84 000 objets provenant du Congo. Ces objets sont en possession de la Belgique depuis la colonisation et doivent maintenant être examinés en vue d'une éventuelle restitution.

Prochaines étapes

La restitution des objets pillés dans les anciennes colonies d'Afrique est un élément essentiel de la réparation postcoloniale.

Certains hommes politiques, directeurs de musées et universitaires européens ont mis en avant un prétendu manque d'infrastructures de conservation en Afrique. Cet argument ne devrait pas être pris en compte.

La grande majorité des artefacts ont été saisis dans leur contexte d'origine et n'ont été transformés en “objets d'art” que dans les musées européens. En Allemagne, par exemple, un débat a éclaté cette année pour savoir si les bronzes béninois restitués devaient devenir la propriété privée de la famille royale du Bénin - les propriétaires légitimes - ou être exposés dans les musées nigérians. Cette question ne devrait pas préoccuper l'Allemagne.

Pour mettre en pratique la restitution, quatre choses sont nécessaires aujourd'hui :

  • l'humilité du côté européen;

  • une plus grande volonté de coopération;

  • des fonds;

  • un dialogue transparent et ouvert.

La nouvelle voie belge montre que cela semble possible, même si le chemin à parcourir est encore long.

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