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Lanceur d’alerte et loyauté vis à vis de l’employeur

Manifestation de soutien aux lanceurs d'alerte de Luxleaks : le 29 juin 2016, la justice luxembourgeoise a condamné Antoine Deltour à une peine de 12 mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende et Raphaël Halet à 9 mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende. Le journaliste Édouard Perrin a été acquitté. Mélanie Poulain/Flickr, CC BY

Le parlement a longuement discuté du statut du lanceur d’alerte dans le cadre de l’adoption de la loi « Sapin 2 ». Aux yeux de la société civile, la figure du lanceur d’alerte pose le problème de la loyauté vis-à-vis de son employeur. Or, la loyauté fait partie de ces valeurs universellement partagées dans la mesure où elle concerne le respect des anciens (des parents et de la famille) mais également le respect de la personne qui permet concrètement de se sustenter, à savoir son employeur.

Iatus entre les valeurs

La loyauté d’un salarié est mise à rude épreuve lorsque ce dernier constate un hiatus important entre, d’un côté, ses valeurs et/ou celles de la société et, de l’autre, les valeurs de l’entreprise. Ce hiatus survient pour trois raisons possibles :

  • les valeurs de l’entreprise s’opposent à celles de l’employé qui n’a pas pris conscience, dès son recrutement, que cela lui poserait un problème à terme ;

  • les valeurs de l’entreprise changent et entrent en contradiction avec celles de l’employé ;

  • l’exercice pratique des valeurs de l’entreprise ne correspond pas aux valeurs prônées par cette dernière qui en a conscience (pratique du double discours), ou pas.

D’aucuns ont fustigé le lanceur d’alerte qui se montre déloyal à l’égard de son employeur. En effet, compte tenu de sa position et de ses compétences, l’employé ne peut pas tout savoir ou tout comprendre des implications de la politique générale de l’entreprise. Clairement, l’employeur a ses raisons que l’employé ne connaît pas, ou ne doit pas connaître. Il y a, au sens propre, un acte de foi, sinon un devoir de réserve, qui est exigé de la part de l’employeur vis-à-vis de son employé.

Loyauté employeur ou sociétale ?

Cependant, en se référant à la mission et aux valeurs prônées par son employeur tout comme au cadre légal imposé, le lanceur d’alerte ne peut pas se taire face à des pratiques illégales, illégitimes ou immorales. Sa loyauté s’adresse tout à la fois à la mission de son employeur, comme à la société entière puisque celui-ci ne saurait faire défaut à son engagement pris auprès d’elle.

Les universitaires américaines Near et Miceli ont montré, au cours de leur recherche, que le souci premier du lanceur d’alerte est de voir corriger ce comportement non éthique afin que son organisation puisse poursuivre sa mission. Il n’a pas la volonté de nuire à son entreprise mais plutôt de lui servir.

De fait, percevoir la loyauté professionnelle comme positive revient à considérer que se taire, lorsqu’un employé constate un méfait (illégal, immoral ou illégitime), est un acte de confiance vis-à-vis de l’entreprise. Dans la mesure où l’employé préfère fermer les yeux sur des actions répréhensibles, il fait le pari qu’à terme celles-ci n’auront pas un impact négatif sur l’entreprise ou sur sa réputation. Le comportement dit loyal de l’employé peut alors être considéré comme proprement égoïste et néfaste, sinon funeste, pour son employeur.

D’un autre côté, percevoir la loyauté professionnelle comme négative revient à considérer que la liberté d’expression de l’employé est prépondérante au regard du respect que peut attendre légitimement l’employeur de ses salariés. Or, que se passe-t-il lorsque cette liberté d’expression est mal utilisée, volontairement ou pas ?

Une mise à l’épreuve

Le refus d’être responsable d’un problème peut générer une inflation d’alertes (tout du moins, en interne) de la part de ceux qui ont peur ou refusent de s’engager et qui transfèrent leur responsabilité en même temps qu’ils envoient leurs e-mails. L’existence d’un code déontologique ou éthique interne à l’entreprise peut rapidement entraîner des dérives si les employés ne sont pas formés. Ce faisant, ils répondent à une obligation interne de l’organisation et peuvent (veulent ?) se soustraire à toute responsabilité éthique. D’où la difficulté à gérer cela simplement du point de vue administratif et la nécessité également de constituer des canaux en interne qui drainent au sens propre, c’est-à-dire absorbent et canalisent, les demandes.

Au final, la loyauté du lanceur d’alerte le met à l’épreuve en exigeant qu’il réponde à la fois de ses propres valeurs et qu’il les applique lorsque celles-ci sont mises à mal par son employeur. Ce faisant, il doit encore accorder ses propres valeurs avec celles de la société civile qui en vient parfois à lui reprocher à la fois son ingratitude vis-à-vis de son employeur et son désir de reconnaissance médiatique (1). Le lanceur d’alerte incarne un individu pris dans un dilemme éthique qui s’avère paradoxal, comme l’ont indiqué Charreire Petit et Surply.

(1) Pour aller plus loin, lire le texte publié dans la Revue [Im]pertinences (n°6, été 2016), Revue de l’Académie de l’Ethique, intitulé « Le lanceur d’alerte : entre loyauté et liberté ».

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