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Le théâtre du XVIIIᵉ siècle, plus vivant que jamais

Modélisation 3D de l'intérieur d'un théâtre de marionnettes à la Foire Saint-Germain vers 1762. Paul François - VESPACE, Author provided

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Qui connaît encore les théâtres de la foire ? Ils constituent pourtant un pan passionnant de l’histoire culturelle française. Au XVIIIe siècle, tandis que la Comédie-Française détient le monopole des représentations, certaines troupes tentent néanmoins de donner des spectacles lors des deux grandes foires saisonnières de Paris, la foire Saint-Germain (en hiver) et la foire Saint-Laurent (en été).

La foire Saint-Germain. Wikipédia

Le projet Vespace (virtual early-modern spectacles and publics, active and collaborative environment) a pour objectif d’immerger aussi bien les chercheurs que le grand public dans l’atmosphère des théâtres de la foire. Il ne s’agit pas seulement de proposer une visite passive d’un environnement bâti, mais de revivre les interactions sociales et culturelles qui s’y déroulaient en créant un nouveau type d’expérience numérique entre jeu vidéo, outil de recherche et restitution historique.

Vespace résulte de la collaboration entre le Centre d’étude des théâtres de la foire et de la Comédie-Italienne (Cethefi), l’Institut d’études avancées de Nantes (IEA), le Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N) et le département de French studies de la Louisiana State University (LSU). Il est soutenu par le RFI Ouest Industries Créatives et l’École Centrale Nantes.

En immersion dans un théâtre de la foire

Aujourd’hui, assis dans le confortable fauteuil de velours d’une salle de théâtre, plongé dans le noir et le silence pendant une représentation, comment imaginer l’animation qui régnait à l’époque pendant une représentation ? Partout dans le théâtre, les spectateurs pouvaient boire, manger, chanter, crier, se livrer à des jeux de séduction, voler ou se faire voler… Des spectacles très divers étaient proposés : marionnettes, pantomimes, opéras-comiques, pièces par écriteaux, autant de dispositifs scéniques et littéraires employés alors pour contourner les interdits et s’assurer le succès auprès du public.

L’idée d’une immersion dans un théâtre de la foire est née de la rencontre entre des chercheurs en histoire culturelle et des chercheurs en sciences numériques. L’outil numérique, notamment grâce à la formidable vitrine qu’est le jeu vidéo, a paru d’emblée un excellent moyen pour recréer les espaces et les ambiances associées aux théâtres de la foire Saint-Germain. Il faut dire qu’il ne subsiste plus rien des lieux de spectacle de cette époque : rasée au début du XIXe siècle, la foire qui attirait des marchands de l’Europe entière n’a pas survécu aux mutations de la ville de Paris. L’emplacement est aujourd’hui occupé par le Marché Saint-Germain et son Apple store.

Miniature de Louis-Nicolas von Blarenberghe montrant un petit théâtre de marionnettes, foire Saint-Germain, circa 1762. METMuseum

Dans l’expérience Vespace, vous choisirez votre avatar de spectateur lors d’une soirée à la foire Saint-Germain : vous pourrez incarner une femme noble avec son imposante robe à panier ou un laquais accompagnant son maître. Vous constaterez alors comment le monde de l’époque réagit à votre classe sociale et apprendrez par vous-même, grâce aux regards et aux commentaires des avatars vous entourant, les bonnes manières de l’époque. Alors que vous aurez acheté votre billet, vous faufilant parmi les spectateurs, vous pourrez par exemple observer la manière dont les gens se saluent où s’évitent en fonction de leur rang. Mais si vous avez malheureusement bousculé le limonadier et provoqué la ruine du costume de votre voisin, il vous faudra alors montrer que vous savez les bonnes manières en usage. L’interaction avec les autres avatars dépendra des milliers de phrases et de gestes qui nourrissent l’intelligence artificielle spécifiquement conçue pour ce projet par les spécialistes du XVIIIe siècle.

Miniature de Louis-Nicolas von Blarenberghe montrant deux entrées de théâtre dans la foire Saint-Germain, circa 1762. Wallace Collection

L’usage des technologies d’informatique de pointe (recours massif aux bases de données, entre autres), a déjà fait ses preuves pour l’étude du théâtre. À Nantes, le Cethefi a obtenu deux projets ANR permettant la construction de la base de données Theaville (theaville.org) qui regroupe 200 parodies d’opéra et 2000 airs de vaudevilles, source d’analyses nouvelles, et du projet Recital (recital.univ-nantes.fr), plate-forme de crowdsourcing pour intégrer les données des nombreux registres de comptes de la Comédie-Italienne.

Des avatars réalistes

Ce nouveau projet d’humanités numériques, Vespace, ajoute la dimension multi-sensorielle liée, entre autres, aux avatars, ces spectateurs virtuels qui vont entendre, voir, et se toucher. Pour réaliser des avatars historiquement renseignés, il est indispensable d’étudier la morphologie des gens du XVIIIe siècle, la couleur de leur peau (le bronzage est proscrit dans l’aristocratie), leur manière de se maquiller, de se tenir… mais également leurs coiffures et leurs costumes. Dans ce contexte, nous avons fait appel à l’atelier de costumes d’Angers-Nantes Opéra, qui depuis des décennies produit des costumes historiques et détient un savoir-faire unique dans ce domaine. La restitution implique ainsi une grande variété de disciplines : costumiers, architectes, historiens, littéraires, musicologues, marionnettistes, acteurs, ingénieurs, game-designers et bien d’autres sont amenés à partager leur expertise dans le projet.

Représentation schématique de la diversité des thématiques et des disciplines convoquées dans le projet Vespace. Paul François et Françoise Rubellin/Vespace

Il s’agit de produire un outil non seulement de recherche pour la communauté scientifique, grâce aux possibilités de simuler des hypothèses, mais également de découverte pour le grand public. Ce double objectif est envisagé non pas comme deux faces d’une même application, mais bien comme un continuum permettant d’aborder des questions aussi bien génériques qu’extrêmement spécifiques en fonction des attentes de chacun.

Le grand public, qui découvre l’existence de ce contexte fascinant, pourra expérimenter les mœurs du XVIIIe siècle, découvrir les échanges entre scène et spectateurs dans certains genres littéraires, ou ressentir comment l’espace du théâtre est propice à des jeux de pouvoir et de séduction. Les plus curieux pourront aussi bien expérimenter les interactions sociales que visualiser les données qui ont permis de modéliser l’espace dans lequel ils sont immergés et y faire des commentaires ou des annotations. Dans un premier temps, cette démarche permettra d’abord d’améliorer l’expérience elle-même, puis à terme de tester des hypothèses architecturales et/ou comportementales.

Un projet en devenir

Toutes ces possibilités nécessitent de mettre en place des modalités d’interaction, d’extraction de données, d’annotation qui n’existent pas ou n’en sont qu’à leurs balbutiements dans le domaine de l’immersion en réalité virtuelle. Dans le cadre de la collaboration internationale liée au projet Vespace, un des aspects clés est donc de pouvoir s’appuyer sur les compétences des laboratoires de chaque côté de l’Atlantique.

Alors que le projet n’en est qu’à ses balbutiements, puisque les visiteurs ne parcourent pour le moment qu’un espace sans vie, il est incontestable que nous connaissons mieux les théâtres de la foire Saint-Germain à ce jour que lors du lancement du projet. Les découvertes viennent avant tout des opportunités qu’offre le travail dans des équipes multidisciplinaires, où de nouveaux angles d’attaque d’une problématique donnée sont abordés régulièrement.

Plus largement, le projet entend démontrer que, tout en abandonnant les formes purement discursives, on peut avancer et défendre une hypothèse scientifique avec autant de force que dans le cadre plus traditionnel d’ une monographie ou d’un article. On peut également s’appuyer sur un support visuel et auditif immersif, mais aussi sur la performance imprévisible du joueur. Si cette approche soulève des questions aussi bien d’ordre méthodologique qu’épistémologique, sur la validité des résultats que l’on pourra tirer d’une telle expérience, elle a le mérite d’intégrer très en amont l’objectif de vulgarisation tout en se voulant un terrain privilégié pour le décloisonnement des recherches.

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