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Le « tuto » beauté du duc de Saint-Simon pour une grâce très XVIIIᵉ siècle

Laurent Mosnier, portrait de femme. Renaud Camus/Flickr, CC BY

Les mémoires du duc de Saint-Simon constituent un témoignage intéressant et inattendu pour qui s’intéresse de près ou de loin aux cosmétiques et/ou aux techniques esthétiques. Les critères de beauté en vigueur au XVIIIe siècle y sont évoqués au détour de portraits à l’emporte-pièce.

Un maquillage en deux couleurs

Les techniques de maquillage n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Le blanc et le rouge sont les couleurs à la mode. Difficile dans ces conditions d’obtenir un résultat « naturel ». Les fonds de teint « nude » si recherchés de nos jours sont alors parfaitement inconnus. Saint-Simon pointe du doigt la corruption qui existe à tous les niveaux de la cour. Alors que l’on est à la recherche d’une dame d’honneur pour la Princesse, la duchesse de Lude est loin d’être la favorite. « Bon ! dit le Roi, voilà le meilleur choix du monde pour apprendre à la Princesse à bien mettre du rouge et des mouches ». Il ajouta : « des propos d’aigreur et d’éloignement ».

La fameuse duchesse ne semble pas la plus indiquée pour cette fonction ; c’est pourtant elle qui remportera la charge à grand renfort d’écus sonnants et trébuchants. « Vingt mille écus comptants » est-il précisé. Si les teintes de maquillage sont limitées, il existe cependant des règles à respecter ; ces règles pourtant observées par Mme de Montauban sont jugées sévèrement par le mémorialiste qui estime que trop c’est trop. « C’était une bossue tout de travers, fort laide, pleine de blanc, de rouge et de filets bleus pour marquer les veines, de mouches, de parures et d’affiquets, quoique déjà vieille, qu’elle a conservés jusqu’à plus de quatre-vingts ans qu’elle est morte ».

Les rousses ou l’histoire d’une réussite étonnante

Saint-Simon accorde une importance toute particulière au teint. Le phototype I, manière actuelle, pour le dermatologue, de désigner la peau rousse, bien qu’affichant un teint pâle, n’est pas mis à l’honneur, bien au contraire. L’expression « rousse comme une vache » est utilisée pour désigner la fille de Mme d’Alègre qui est également surnommée La blonde (sic) ou Vaque-à-tout. « Fort peu contrainte par la vertu », elle réussit un double exploit (sans doute grâce à sa grande libéralité) : être dame d’honneur de Marie Leszczynska et marier sa fille « rousse et cruellement laide » au fils unique du duc de Gramont. Saint-Simon est étonné qu’une telle réussite se transmette de mère en fille.

Un teint admirable, oui, mais…

Le portrait de la Dauphine « Régulièrement laide, les joues pendantes, le front trop avancé, un nez qui ne disait rien, de grosses lèvres mordantes, des cheveux et des sourcils châtains bruns fort bien plantés, des yeux les plus parlants et les plus beaux du monde, peu de dents et toutes pourries, dont elle parlait et se moquait la première, le plus beau teint et la plus belle peau, peu de gorge, mais admirable, le cou long, avec un soupçon de goitre qui ne lui seyait point mal, un port de tête galant, gracieux, majestueux, et le regard de même, le sourire le plus expressif, une taille longue, ronde, menue, aisée, parfaitement coupée, une marche de déesse sur les nuées : elle plaisait au dernier point »… a de quoi surprendre. Cette jeune personne qui apparaît laide à faire peur en début de description tire son épingle du jeu grâce à un teint parfait et finit par être comparée à une véritable déesse dont la mort engendrera des « ténèbres » qui « couvrirent toute la surface de la cour ».

Un teint mat est jugé très sévèrement. Melle Choin est ainsi habillée pour l’hiver. « Ce n’a jamais été qu’une grosse camarde brune, qui, avec toute la physionomie d’esprit et aussi le jeu, n’avait l’air que d’une servante ». Le mot est lâché ! La peau hâlée signe l’appartenance à la classe inférieure.

Des recettes efficaces pour conserver un teint pâle

Afin d’obtenir le plus beau teint qui soit, différentes recettes sont proposées. On peut, comme la maréchale de Clérambault, protéger son visage des intempéries à l’aide d’un masque (« Toujours masquée en carrosse, en chaise, à pieds par les galeries : c’était une ancienne mode qu’elle n’avait pu quitter […]. Elle disait que son teint s’élevait en croûtes sitôt que l’air le frappait ; en effet elle le conserva beau toute sa vie qui passa quatre-vingts ans, sans d’ailleurs avoir jamais prétendu en beauté ». La maréchale de Clérambault ne désapprouverait sûrement pas la mode actuelle des crèmes antipollution, présentées comme créant une barrière efficace entre la peau et l’atmosphère polluée.

On peut aussi recourir à un régime adapté mis au point par Mme de Soubise, elle-même. La maîtresse de Louis XIV « avait passé toute sa vie dans le régime le plus austère pour conserver l’éclat et la fraîcheur de son teint : du veau et des poulets ou des poulardes rôties ou bouillies, des salades, des fruits, quelques laitages, furent sa nourriture constante, qu’elle n’abandonna jamais, sans aucun autre mélange, avec de l’eau quelquefois rougie ; et jamais elle ne fut troussée comme les autres femmes, de peur de s’échauffer les reins et de se rougir le nez ».

Anne de Rohan Chabot Princesse de Soubise. Studio of the Beaubrun brothers/Wikipedia

Ce régime est, toutefois, difficile à suivre lorsque l’on est dans l’entourage du Roi. Celui-ci aime voir les femmes qui l’entourent manger, et même « manger à crever ».

Pour aseptiser la peau et éviter tout bouton disgracieux, l’eau de Hongrie, un alcoolat de romarin alors très en vogue à la cour est sûrement utilisé. On dit que durant l’hiver 1709, « l’eau de la reine de Hongrie » et divers élixirs et liqueurs gelèrent et provoquèrent l’éclatement de leur contenant. Beauté rime alors avec forte constitution car les temps n’étaient pas à l’amollissement pour cause d’excès de chauffage.

Une hygiène parfois plus que douteuse

Le duc de Vendôme, peinture commandée par Louis-Philippe pour le musée historique de Versailles. Jean Gilbert Murat/Wikimedia

L’hygiène n’est abordée que discrètement dans ces mémoires. Il y a ceux qui se refusent d’ailleurs énergiquement à toute règle stricte de propreté. C’est le cas du duc de Vendôme. « Sa saleté était extrême, il en tirait vanité […]. Une de ses thèses était que tout le monde en usait de même, mais n’avait pas la bonne foi d’en convenir comme lui (il avouait, en effet, partager son lit avec ses chiens et chiennes) ; il le soutint un jour à Mme la princesse de Conti, la plus propre personne du monde et la plus recherchée dans sa propreté ». Ses habitudes sont pour le moins curieuses. Il reçoit sur sa chaise percée et une fois ses besoins effectués, fait passer le bassin « sous le nez de toute la compagnie pour l’aller vider, et souvent plus d’une fois. Les jours de barbe, le même bassin dans lequel il venait de se soulager, servait à lui faire la barbe ».

C’est également le cas de Mme la Princesse Anne de Bavière, femme du Prince de Condé, chez qui l’on déplore des effluves prononcés provenant de ses aisselles : « Elle était également laide, vertueuse et sotte ; elle était un peu bossue, et avec cela un gousset fin qui se faisait suivre à la piste, même de loin ».

Le roi Louis XIV donne, quant à lui, l’exemple avec un protocole immuable. Réveillé à huit heures, son premier médecin et son premier chirurgien lui font une toilette sèche. Ils le « frottaient et souvent lui changeaient de chemise parce qu’il était sujet à suer ». Déodorants en roll-on, en stick, en spray font visiblement défaut dans ce monde qui, bien que raffiné, néglige les règles d’hygiène les plus élémentaires. Le roi avançant en âge et ne supportant plus les parfums qui lui donnent maux de tête et « vapeurs », il n’est plus question pour les courtisans d’utiliser ce moyen simple de masquer les odeurs corporelles.

Les fanatiques des bains sont jugés sévèrement. C’est le cas de Mme de Saint-Hérem, « la créature du monde la plus étrange dans sa figure et la plus singulière dans ses façons. Elle se grilla une fois une cuisse au milieu de la rivière de Fontainebleau où elle se baignait : elle trouva l’eau trop froide ; elle voulut la chauffer, et pour cela elle en fit bouillir quantité au bord de l’eau, qu’elle fit verser tout auprès d’elle et au-dessus, tellement qu’elle en fût brûlée à en garder le lit, avant que cette eau pût être refroidie dans celle de la rivière ». Ah, les joies du chauffage central !

Des seins, des fesses… nécessaires à la vraie beauté

Saint Simon. Jean-Baptiste van Loo/Wikipedia

La marque de cosmétiques productrice des produits Wonderfess crème sculptante spécifique fesses et Décolleté 3D+ repulpeur de seins, aurait fait fureur au XVIIIe siècle. Saint-Simon classe définitivement toute femme ne possédant aucun de ces attraits dans la catégorie des femmes laides. « Mme de Castries était un quart de femme […] et aurait passé dans un médiocre anneau : ni derrière, ni gorge, ni menton ; fort laide […] »

On ne manquera pas de s’étonner de la description du Dauphin : « Il avait les plus belles jambes et les plus beaux pieds qu’après le Roi j’ai jamais vus à personnes (sic) ». Cet éloge est d’autant plus étrange que l’on apprend que le prince en question est boiteux !

Les règles d’or de Saint-Simon pour une beauté parfaite

En résumé, Saint-Simon nous propose un tutoriel en quatre règles pour une beauté très XVIIIe siècle :

  1. User du blanc et du rouge avec parcimonie, et ce d’autant plus que l’on avance en âge. Attention au ridicule !

  2. User de cosmétiques, de régimes, de tout ce qui vous plaira… une seule contrainte, un teint diaphane.

  3. L’hygiène, oui, mais avec précaution, l’essentiel est de ne pas heurter ses voisins par des effluves trop prononcés. Attention au parfum si l’on souhaite approcher le Roi !

  4. User de cosmétiques et de vêtements appropriés pour faire ressortir seins et fesses.

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