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Le Vaudou, miroir des luttes politiques haïtiennes

Dans une rue de Port au Prince en 2004. Wikimedia

Partenaire du Forum « Guerre et politique », organisé à Paris le mois dernier par l’Université d’Auvergne et l’EHESS, The Conversation France publie toute cette semaine une série de textes issus de ces travaux qui mettent en perspective les nouveaux visages de la guerre.

Le vaudou haïtien n’est pas uniquement un fait religieux. Il est associé à la lutte d’indépendance et à l’identité historique et culturelle d’Haïti. À ce titre, il est un symbole tantôt honoré, tantôt stigmatisé comme cause de sous-développement et vestige obscurantiste, voire satanique. Pratiqué mais souvent renié par les élites locales, diabolisé par les Occidentaux jusqu’à récemment, le vaudou est le miroir d’une lutte politique commencée en 1791 lors de l’insurrection anticoloniale. Il est paradoxalement à la fois l’allégorie des fractures sociales haïtiennes qui plongent le pays dans des crises récurrentes, et un rempart culturel aux tentatives d’ingérence politique extérieure.

Un climat de conflit permanent

Si l’histoire d’Haïti ne se résume pas à celles des coups d’État et des révoltes populaires, force est de constater que l’arène politique au sens large y est souvent tumultueuse. Mais au-delà d’un résumé des crises et des régimes despotiques, Haïti n’a finalement pas connu de longue guerre civile au XXe siècle. L’épisode de celle qui a précipité et accompagné le second exil de Jean-Bertrand Aristide en 2004 aura duré 5 mois en tout et pour tout, de septembre 2003 à février 2004.

La permanence de cette situation de tension depuis les tous premiers moments de l’Indépendance invite à se demander si derrière ces éruptions ponctuelles de violence ne se cache pas un climat de conflit permanent. Ce dernier n’emprunte pas la forme d’une lutte armée ouverte entre factions mais plutôt celle d’une guerre civile dont les prémisses ont été posées par le système colonial et perpétuées par les présidences qui se sont succédées après la guerre d’Indépendance de 1791 à 1804.

Le système esclavagiste était basé sur une double distinction de classe et de race, dans lequel la seconde prédominait sur la première : un esclave affranchi et devenu propriétaire terrien restait socialement inférieur à un propriétaire blanc. Arrivés au pouvoir après la guerre d’Indépendance, les nouveaux dirigeants, noirs et mulâtres, anciens esclaves ou nés libres, ont perpétué un système dans lequel ils trouvaient finalement leur compte.

La conséquence aujourd’hui est la distinction qui subsiste entre noirs et métis, distinction qui, manipulée par les dirigeants successifs, est devenue presque équivalente à celle entre « peuple » et élites, bien que cela ne se vérifie pas avec une telle rigueur dans les faits.

Un symbole de résistance

De cette hiérarchisation stylisée de la société haïtienne découle une typologie simple mais, semble-t-il, assez largement acceptée comme un lieu commun : le « peuple noir » serait plus proche de l’héritage culturel africain, tandis que les « élites mulâtres » seraient nécessairement orientées vers l’Occident comme modèle culturel. Bien que trompeur comme toutes les simplifications abusives, ce filtre a néanmoins servi d’instrument de manipulation politique, que ce soit dans une veine élitiste ou populiste – qui finalement tendent souvent à se confondre en une même stratégie.

Associé étroitement à cette distinction, le vaudou est une religion syncrétique issue de la rencontre des croyances animistes et du catholicisme, mais née parmi les esclaves. Souvent réprimé tout au long du XIXe siècle et jusqu’à la présidence des Duvalier à partir de 1957, le vaudou fait figure de symbole de la résistance à l’imposition forcée de la culture européenne. La révolution haïtienne de 1791 a commencé par une cérémonie vaudou.

Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc » (ici en 2011). Marcello Casal Jr/Wikimedia, CC BY-SA

Cette part de la culture haïtienne a été considérée comme une pensée « sauvage » selon les termes des chroniqueurs du XVIIIe siècle, ou un obstacle au développement à l’époque contemporaine, ou encore à une pratique satanique par les Églises évangéliques d’origine américaine. Renvoyer le vaudou à ces différents statuts est une autre manière de remettre en cause le bien-fondé de l’émancipation haïtienne vis-à-vis de la tutelle coloniale d’hier ou de la sphère d’influence occidentale et en particulier américaine aujourd’hui.

Une religion officielle depuis 2003

Analyser la manière dont cet élément culturel central, en tant qu’univers symbolique commun aux Haïtiens de toutes les confessions religieuses, dépasse le cadre d’une religion particulière et influence largement les interactions sociales, permet de décrypter les tensions qui s’accumulent dans la société jusqu’à générer des crises politiques de grande envergure, éclatant parfois en de véritables guerres civiles.

Né durant l’esclavage, le vaudou est un emprunt de problématiques liées à ses origines : les sorciers peuvent voler et vendre des âmes, suscitant une peur réelle parmi la majorité d’Haïtiens croyant au surnaturel. Ces croyances ont permis une manipulation du vaudou comme outil de répression politique. Duvalier père en a particulièrement fait usage afin de s’attirer les votes populaires dans le cadre du « noirisme » –- une forme de populisme totalitaire – par opposition à l’élite économico-politique mulâtre à laquelle il prétendait s’opposer. Jean-Bertrand Aristide fera de même en reconnaissant le vaudou comme une des religions officielles d’Haïti en 2003.

Manipulé à l’intérieur du pays, le vaudou est également attaqué de l’extérieur comme un archaïsme dont il conviendrait de débarrasser la société haïtienne. Cette approche est, en particulier, le fait des États-Unis depuis l’occupation de 1915. Depuis cette époque, les Églises évangéliques américaines se sont données pour mission de concurrencer voire d’extirper la pratique du vaudou, stigmatisant les vaudouisants et dénonçant cet héritage africain préservé par les esclaves fondateurs de la première République noire de l’Histoire.

Un rempart aux forces centrifuges

Instiller la honte d’une spécificité culturelle unique semble un procédé efficace pour amener une nation à accepter de s’acculturer à un modèle dominant. Toutefois, et malgré l’influence indéniable des États-Unis dans sa vie politique et économique, Haïti a témoigné de son ancrage africain en demandant à s’intégrer à l’Union africaine en 2012, signe que l’américanisation d’Haïti est loin d’être un processus inévitable.

L’identité culturelle forte d’Haïti agit donc encore comme un rempart aux multiples forces centrifuges menaçant constamment la cohésion de la société haïtienne. Cette situation explique certainement la permanence de conflits limités, au lieu de véritables guerres civiles, dans un pays pourtant soumis à des tensions considérables.

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