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L’épidémie de Zika, une occasion de promouvoir les droits des femmes ?

En Amérique latine, les femmes les moins favorisées n'ont pas de prise sur leur reproduction. Schneyder Mendoza/AFP

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la concentration de cas de bébés nés avec un crâne anormalement petit, ou microcéphalie, rapportée dans les régions où l’épidémie de Zika flambe actuellement est « une urgence de santé publique de portée internationale ». Il est important de s’interroger aujourd’hui sur ce que cette crise sanitaire nous révèle au sujet des fondamentaux anthropologiques de la santé, des droits sexuels et reproductifs, et plus largement, sur les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine sanitaire.

Troubles neurologiques et malformations néonatales

La très forte suspicion de liens entre l’infection à virus Zika et l’apparition de conséquences neurologiques (comme le syndrome de Guillain-Barré) et obstétricales (enfants nés sans vie et malformations néonatales), le potentiel de propagation géographique du fait du caractère « commun » du moustique vecteur et enfin l’absence de vaccin et de traitement étiologique constituent les données objectives du moment.

Cependant, pour la directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, « l’augmentation de l’incidence de la microcéphalie est particulièrement préoccupante car elle pèse de manière dramatique sur les familles et les communautés ». Tout en rappelant ses conséquences en termes de santé publique, elle souligne aussi l’impact social de la maladie. En effet, l’augmentation des microcéphalies incite à en repenser les conséquences en terme de comportements au sein des structures sociales : familles, communautés, mais aussi institutions nationales.

Un révélateur d’inégalités entre hommes et femmes

La question soulevée par la maladie Zika n’est donc pas, a priori, celle de la vie et de la mort qui concernerait potentiellement toutes les personnes, car en définitive les taux de mortalité liés à l’infection à virus Zika sont relativement faibles comparés à des pandémies comme le paludisme, la tuberculose ou le VIH. Ce sont les enjeux sociétaux de la reproduction qui sont ici convoqués.

En révélant la place différente et structurellement inégalitaire occupée par les deux sexes sur leurs échelles de valeurs, Françoise Héritier nous a familiarisé(e)s avec ce que toutes les sociétés ont toujours organisé, justifié et codifié : le contrôle et la maîtrise du corps des femmes dans son lieu d’origine à la fois réel et fantasmé, c’est-à-dire la reproduction sexuée. Elle écrit ainsi : « Cette capacité de produire du différent, des corps masculins, s’est retournée contre les femmes. Elles sont devenues une ressource nécessaire à se partager. Les hommes doivent socialement se les approprier sur la longue durée pour avoir des fils… Dans cette double appropriation, en esprit et en corps, naît la hiérarchie. Elle s’inscrit déjà dans les catégories binaires qui caractérisent les deux sexes, car elles s’accompagnent nécessairement de dénigrement, de dépossession de la liberté et de confinement dans la fonction reproductive. »

L’infection à virus Zika questionne donc bien plus que d’autres pandémies les enjeux, les postulats, les représentations, les assignations et, in fine les relations de pouvoir entre les sexes.

En posant ouvertement la question des conséquences des microcéphalies sur les familles et les communautés, se pose celle de la capacité de contrôle des femmes sur la reproduction et les injonctions qui leur sont faites par rapport au fœtus qu’elles peuvent porter ou refuser de porter lors d’une infection à Zika. La liberté des femmes en matière de choix reproductifs est en cause. Il n’est donc pas surprenant que cette question mobilise les courants de pensées et les activismes de tous bords.

Droit à la contraception et droit à l’ avortement

Le programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement, au paragraphe 7.3, indique :

« Les droits reproductifs ressortent du droit fondamental de toutes les personnes, célibataires ou en couple de décider librement, sans coercition et de manière responsable d’avoir ou non un/des enfants, du nombre, du moment et du rythme pour le/les avoir.[…] Les droits en matière de procréation correspondent à certains droits de l’homme déjà reconnus dans des législations nationales, des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et d’autres documents pertinents des Nations unies qui sont le fruit d’un consensus. Ces droits reposent sur la reconnaissance du droit fondamental de tous les couples et des individus de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances et de disposer des informations nécessaires pour ce faire, et du droit de tous d’accéder à la meilleure santé sexuelle et de la reproduction possible. Ce droit repose aussi sur le droit de tous de prendre des décisions en matière de procréation sans être en butte à la discrimination, à la coercition ou à la violence, tel qu’exprimé dans des documents relatifs aux droits de l’homme. »

Ce paragraphe renforce l’article 16.e. de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) où, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, ce sont bien « les mêmes droits de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l’espacement des naissances et d’avoir accès aux informations, à l’éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer ces droits » qui sont visés.

La contraception et l’avortement sont les symboles le plus fondamentaux et les plus représentatifs de ces droits, celui de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Les développements dramatiques récents de la maladie à virus Zika en Amérique latine sont apparus dans des pays où le poids et l’influence des valeurs religieuses de l’Église catholique (40 % des catholiques dans le monde vivent en Amérique latine) mais aussi des divers mouvements évangélistes – très souvent encore plus radicaux dans leurs enseignements – sont bien ancrés et déterminent très fortement les conduites ou les assignations à conduites des personnes.

Les doctrines officielles et/ou dominantes y limitent et y proscrivent les droits à la contraception et à l’avortement, relayées par des corpus juridiques répressifs. Ainsi, au Brésil, alors que l’accès à la planification familiale est un droit constitutionnel mais peu appliqué en raison de la pauvreté et du manque d’information, le droit à l’avortement est extrêmement restreint : il est légal exclusivement dans les cas de complications mettant en danger la vie de la mère, de viol, ou de présence d’un fœtus anencéphale (avec absence partielle ou totale de crâne et de cerveau).

Dans la réalité, une étude récente a montré qu’une Brésilienne sur cinq de moins de 40 ans a eu recours au moins une fois à un avortement, dans la très grande majorité des cas en totale illégalité et de ce fait, dans des conditions sanitaires non sécurisées ayant comme conséquence d’accroître la mortalité et la morbidité maternelles. Seules les femmes riches pouvant prendre en charge les coûts d’un avortement sécurisé. Or, l’écrasante majorité des femmes confrontées aux avortements à risques sont des femmes de couleur, jeunes et pauvres, vivant dans les régions les moins développées du pays et confrontées à des violences sexuelles récurrentes.

Dans de telles conditions de pauvreté, de violence sexuelle rampante, de déni d’accès ou de criminalisation des soins de santé en matière de reproduction, il apparaît que la crise sanitaire ne saurait être résolue par les conseils donnés aux femmes « d’éviter une grossesse ou de la différer », tant ces conseils ignorent – ou veulent ignorer ? – une réalité : les femmes et les filles ne sont pas en mesure de décider si, quand et dans quelles circonstances elles veulent être enceintes.

Les droits humains au cœur des enjeux de santé globale

L’infection à virus Zika agit comme le révélateur des inégalités sociales et des inégalités femmes/hommes, voire des inégalités climatiques amplifiées par les dégradations de l’environnement sur le vecteur pathogène (El Niño, déforestations massives) à l’œuvre dans les sociétés des pays en développement d’Amérique latine, d’Asie, d’Océanie et d’Afrique orientale.

Mais la pandémie, dans ses spécificités « genrées » est aussi un moment nécessaire pour rappeler qu’une réponse globale à ces enjeux de santé publique ne pourra ignorer la nécessité et l’urgence de rendre effectifs les droits humains par l’intégration des produits et services de santé sexuelle et reproductive, de l’éducation à la sexualité, de la santé maternelle et de l’avortement sécurisé dans les cadres juridiques nationaux.

La crise sanitaire actuelle doit amener à des solutions dans le champ de la médecine (recherche d’un vaccin et d’un traitement, amélioration des systèmes de soins et de santé en matière de prévention et de traitement), c’est là une évidence. Ce qui l’est moins, c’est que cette crise sanitaire, tout comme celle du VIH, devra trouver d’autres solutions dans la complexité même du monde et des forces qui le constituent, c’est-à-dire des rapports de pouvoirs politiques, économiques, sociaux et de genre qui ont favorisé des systèmes d’assignations et d’exclusions.

Or il n’est pas d’assignation et d’exclusion plus manifestes et plus insupportables que celles qui refusent à tous, et en particulier à toutes dans le cas présent, le droit de réaliser toutes les potentialités de leur esprit et de leur corps.

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