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Vue aérienne de Saint-Denis.
Vue aérienne de Saint-Denis (93). Les communes de Saint-Denis et Pierrefitte-sur-Seine vont fusionner et former la deuxième ville d'Île-de-France. Shutterstock

Les communes nouvelles, un frein à la parité en politique ?

Le 30 mai 2024, Eric Woerth, alors député de l’Oise, remet à Emmanuel Macron un rapport intitulé « Décentralisation : Le temps de la confiance » dans lequel il propose de « Relancer le processus de création de communes nouvelles ». Un bilan de cette politique de fusions de communes semble nécessaire alors que celle-ci fait aussi l’objet d’un « Comité de réflexion sur les communes nouvelles pour amplifier le mouvement » lancé par l’Association des Maires de France en avril 2024 et que certaines fusions font particulièrement parler d’elles, comme récemment Pierrefitte et Saint-Denis.

En France, la nécessité de diminuer le nombre de communes est une idée (discutable) ancienne et répétée à plusieurs reprises. Cela se traduit, depuis 2012, par la fusion d’environ 2 600 communes (qu’on peut appeler « historiques » ou « fusionnantes ») en un peu plus de 800 communes nouvelles. Ce statut a été créé en 2010 et a été modifié à plusieurs reprises. De nombreuses thématiques sont à traiter pour faire le bilan de ce mouvement de fusions : économiques, politiques, sociales, budgétaires, d’aménagement du territoire, etc. Un point mériterait sans doute de ne pas être négligé : la question du genre des maires. Les statistiques publiques parlent de « sexe » mais nous préférons ici le terme de genre puisque nous nous intéressons aux constructions sociales, le genre étant défini par l’Organisation mondiale de la santé comme « les rôles, comportements, activités, fonctions et chances qu’une société, selon la représentation qu’elle s’en fait, considère comme adéquats pour les hommes et les femmes ».

Différentes lois (et en particulier celle du 6 juin 2000) favorisent la parité en politique en France et le nombre de femmes élues a connu une augmentation ces dernières décennies passant de 17 % à 42 % d’élues aux élections municipales entre 1989 et 2020, même si les dynamiques ont parfois tendance à se ralentir.

Dans quelle mesure l’émergence des communes nouvelles pourrait-elle remettre en cause la répartition genrée des mandats ? Y a-t-il davantage de femmes ou d’hommes chez les maires des communes fusionnantes ? Le processus de fusion donne-t-il une place plus importante aux unes ou aux autres ? Pour apporter des réponses à ces questions, nous avons étudié les communes ayant fusionné entre 2014 et le 1er janvier 2019. Cela concerne 96 % des communes fusionnantes et 95 % des communes nouvelles créées entre 2012 et 2024. Nous analyserons leurs résultats avant 2014 (soit avant la fusion), en 2019 (soit après la fusion mais avant le renouvellement des conseils municipaux) puis après les dernières élections municipales (qui se sont tenues en 2020).

Une modification des équilibres de genre ?

La décision de créer une commune nouvelle est prise par les conseils municipaux des communes concernées. Lorsque plusieurs communes ont décidé de fusionner et que cette décision a été actée par la préfecture, les conseils municipaux sont eux-mêmes fusionnés et doivent élire un nouveau (ou une nouvelle) maire pour la commune nouvelle.

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Le conseil municipal de la commune nouvelle reste en place jusqu’à son renouvellement normal (pour les cas que nous avons étudiés, la quasi-totalité des conseils municipaux ont été renouvelés en 2020). Les élections suivantes se font alors sur le périmètre de la commune nouvelle entière. Des dispositions spécifiques, transitoires, peuvent s’appliquer pour éviter de réduire trop brutalement le nombre de personnes élues au conseil municipal, mais l’élection du maire se déroule ensuite classiquement, par le vote du nouveau conseil municipal, donnant généralement la victoire à la tête de la liste étant arrivée première aux élections.

Si on compare les communes fusionnantes aux communes inchangées (tableau ci-dessous), on observe d’abord qu’il y a légèrement moins de femmes maires dans les communes fusionnantes. En revanche, ce résultat est peu voire pas significatif d’un point de vue statistique. Concrètement, les communes fusionnantes ne sont pas significativement différentes des autres communes françaises du point de vue du genre des maires.

Le genre des maires des communes françaises en 2014. Author provided (no reuse)

Si le fait de fusionner ne laisse pas apparaître une importante différence genrée, les conditions de cette fusion font intervenir cette variable différemment. En effet, les femmes sont bien moins souvent maires des communes qui deviennent chef-lieu, c’est-à-dire de la commune fusionnante qui accueillera désormais le siège de la commune nouvelle (voir tableau ci-dessous) avec, dans ce cas, une relation statistique très significative. Cela peut être mis en relation avec les études sur les carrières politiques des femmes élues pour lesquelles on observe que les postes de pouvoirs sont plus fréquemment occupés par des hommes. Lors des fusions, on observe donc que ce sont plus fréquemment des hommes qui se retrouvent au centre du jeu politique. Dans la longue histoire de la parité en politique, les échelons du pouvoir locaux méritent que l’on s’intéresse à eux.

Le genre des maires des communes devenant chefs-lieu en 2014. Author provided (no reuse)

Les enjeux de la gouvernance interne

Cela pose, dans un second temps, la question de la gouvernance de la commune nouvelle. Il est en effet possible d’y maintenir une forme de reconnaissance des périmètres communaux historiques en créant des communes déléguées, impliquant la désignation d’une ou un maire délégué (aux pouvoirs très limités).

Or, la manière de percevoir cette place de maire subalterne a fait l’objet de débats intenses. Au moment des discussions autour de la loi de 2019, se pose la question d’autoriser, ou non, une même personne à être maire à la fois de la commune nouvelle et d’une commune-déléguée (généralement celle devenant chef-lieu).

C’est un homme, Philippe Gosselin, député LR de la Manche, qui défendra cette possibilité en formulant, le 3 juillet 2019 à la Commission des lois puis le 10 juillet en séance plénière qu’il faut éviter qu’il y ait « deux crocodiles dans le même marigot ». Remarque qui dénote tout au moins une forme de concurrence entre les édiles.

Inversement, lors des Assises nationales des communes nouvelles organisées par l’AMF en juin 2023, c’est une femme, Sylvie Sourisseau, maire divers droite de Brissac Loire Aubance qui considère au contraire que c’était une erreur de garder la casquette de maire-déléguée de la commune chef-lieu en même temps que celle de maire de la commune nouvelle, car cela faisait courir le risque de manquer de hauteur dans les prises de décision à l’échelle de l’ensemble de la commune.

Il existe des modes de gouvernances possibles plus ou moins verticaux dans les rapports entre les maires et les maires délégués, dans les rapports de force entre la commune historique siège du chef-lieu et les autres. Mais une hypothèse à creuser pourrait être que cela recoupe également parfois une différence de genre. Pourrait-on aller jusqu’à dire que les hommes et les femmes ne pensent pas les communes nouvelles de la même manière ? Ou qu’ils ne pensent pas, de la même manière, la question du cumul des mandats (question au cœur du rapport d’Éric Woerth) ?

Un léger rééquilibrage lors des élections ?

Le fait est, qu’après la fusion, la différence entre les communes nouvelles et les autres communes se fait aussi du point de vue du genre des maires. Les maires de 2022, c’est-à-dire après les élections, sont plus fréquemment masculins à la tête des communes nouvelles (tableau ci-dessous), avec un écart significatif du point de vue statistique.

Le genre des maires des communes en 2022.

Les électeurs dans leur ensemble conduisent néanmoins à des répartitions moins genrées que lorsque le choix est laissé aux conseils municipaux au moment des fusions (oserait-on dire que certains ont des pratiques davantage sexistes que d’autres ?). En effet, les données en 2019 (tableau ci-après), disponibles alors qu’une grande partie des communes nouvelles ont été créées mais que la personne devenant maire a été choisie par le conseil municipal), montrent une proportion de femme encore plus faible, comme si elles avaient davantage été évincées au moment de la fusion mais reprenaient en partie leur place lors des élections suivantes.

Le genre des maires des communes en 2019. Fourni par l'auteur

Cette première approche du genre des maires par le biais des équilibres globaux pose donc de manière très nette la question de la répartition genrée des mandats locaux. Alors que la question du genre est peu significative dans le profil des communes fusionnantes, la fusion en elle-même agit comme un révélateur d’inégalités et, globalement, d’une tendance à la sous-représentation des femmes dans les postes de pouvoir, à savoir la position de maire de la commune nouvelle. Dans une perspective de réflexion générale sur les liens entre genre et politique, ces enseignements ne devraient pas être négligés.

Il est possible de terminer sur une note légèrement optimiste puisqu’entre 2022 et 2024, les très légers changements qui ont eu lieu ont plutôt été dans le sens d’une augmentation du nombre de femmes en tant que maires, dans les communes nouvelles comme dans les communes inchangées.

Le genre des maires des communes en 2024. Author provided (no reuse)

La démarche présentée ici s’inscrit dans le cadre d’un travail de doctorat sur les communes nouvelles. Un des enjeux de ces recherches est de participer à une dynamique de science ouverte. Dans cette optique, les données utilisées (et leurs sources), le code ayant permis de les analyser et les résultats davantage détaillés sont accessibles sur cette archive ainsi que sous forme de vignette. Dans un autre registre, ces données ouvrent la possibilité d’analyser également les mandats au prisme de la sociologie des maires (les professions étant par exemple renseignées), ce que nous n’aborderons pas ici. Toutes les statistiques présentées ici sont issues des bases publiques.

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