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Les grippes comme le covid-19 indiquent les phases sombres de la mondialisation

Apollon et Artemis décochent leurs flèches porteuses du fléau aux enfants de Niobe, peinture d'Abraham Bloemaert, 1591. Dedden/Wikimedia

Le Covid-19 a été officiellement déclaré «pandémie» par l'Organisation mondiale de la santé qui désigne désormais l'Europe comme «son épicentre», après avoir longtemps hésité à déclarer la pandémie tant que l’épicentre se situait en Chine.

Précédemment, les virus de grippe aviaire H5N1, H7N9 et H5N8 ont été attentivement surveillés par les autorités sanitaires mondiales qui craignaient leur potentiel pandémique lorsqu’ils se transmettaient de Chine vers le reste du monde.

La notion de « pandémie » permet de discerner, parmi l’ensemble des maladies qui affectent les vivants, celles qui constituent une menace pour l’humanité tout entière et celles qui peuvent faire l’objet d’une gestion plus locale.

Il faut en effet distinguer l’épizootie, qui affecte une espèce animale (non-humaine), de l’épidémie, qui affecte une population humaine à partir d’un foyer, et de la pandémie, qui affecte potentiellement l’humanité dans son ensemble.

Dans la série à succès «The Walking Dead» (2010), une pandémie transforme les humains en zombies déchaînés…

Comment cette idée est-elle apparue, selon laquelle une maladie pourrait affecter l’humanité tout entière et, à la limite, l’amener à disparaître de la planète ?

Fins du monde

Selon l’historien Mark Harrison, le terme pan-demos désignait chez Platon un amour pour les corps au hasard des rencontres, par distinction avec un amour céleste tourné vers les idées. C’est seulement au dix-huitième siècle, lorsque les Européens se sont installés durablement sur les autres continents, que le mot en est venu à désigner des épidémies comme la fièvre jaune en Afrique ou aux Antilles. Il était alors lié à l’explication des maladies par le climat : « pan » désignait tous les éléments de l’environnement dont les mauvaises « influences » faisaient mourir les hommes peu « acclimatés ».

Au dix-neuvième siècle, deux maladies se diffusent à travers le monde, bouleversant les formes de gouvernement colonial que les Européens mettent alors en place. Le choléra affecte les villes en pleine expansion à travers les systèmes de circulation de l’eau, tandis que la peste se répand depuis les ports à travers les rongeurs transportés par les bateaux. Koch isole la bactérie causant le choléra lors d ‘une expédition en Égypte en 1883, et Yersin, élève de Pasteur, découvre le bacille de la peste à Hong Kong en 1894. La révolution bactériologique en Allemagne et en France permet d’espérer un contrôle des épidémies en éradiquant les foyers pathogènes par l’abattage des animaux infectés et la vaccination de la population humaine et animale.

La pandémie de grippe « espagnole », en 1918, déjoue cet espoir. D’abord parce qu’elle n’est pas causée par une bactérie mais par ce qui sera identifié dans les années 1930 comme un virus : impossible, à l’époque, de fabriquer des vaccins ou d’identifier un réservoir animal – cela se produira bien plus tard, à partir des années 1950.

Urgences durant l’épidémie de grippe « espagnole » aux États-Unis, Camp Funston, Kansas. Otis Historical Archives National Museum of Health and Medicine/Flickr, CC BY-SA

Ensuite parce que la grippe « espagnole » se répand si vite dans les corps fragilisés par la guerre qu’il s’avère difficile de lui assigner une origine géographique précise. On suppose aujourd’hui qu’elle a commencé aux États-Unis, et son qualificatif d’« espagnole » vient du fait que l’Espagne, pays neutre, déclarait tous ses cas, tandis que les autres pays occidentaux ne le faisaient pas… de peur de démoraliser les troupes.

La courbe de mortalité durant l’épidémie de grippe « espagnole » de 1918 aux États-Unis et en Europe. National Museum of Health and Medicine/Wikimedia

La pandémie de 1918 est le spectre qui va hanter le vingtième siècle, accompagnant comme sa face sombre les avancées de la mondialisation. Lorsque les États-Unis entrent dans la Seconde Guerre mondiale en 1941, ils créent une commission sur la grippe qui accélère dramatiquement les recherches sur le virus. À la fin des années 1970, alors que le gouvernement américain se remet difficilement de la guerre du Vietnam, une épidémie de grippe tue un militaire à Fort Dix, et des vaccins sont commandés pour toute la population. La campagne est arrêtée lorsqu’on découvre plus d’un millier de syndromes de Guillain-Barré, une dégénérescence nerveuse qui peut résulter de la vaccination.

À partir des années 1970, les États-Unis lancent l’alerte, via l’Organisation mondiale de la santé, sur les maladies infectieuses qui émergent dans les pays du Sud et se diffusent rapidement vers ceux du Nord, comme les fièvres hémorragiques Ebola ou Lassa venues d’Afrique Centrale et Occidentale. La pandémie de sida dans les années 1980, dont les origines liées à des singes d’Afrique Centrale sont découvertes dix ans plus tard, renforce l’alerte. Tout comme les foyers de grippe aviaire H5N1 en 1997 et de SRAS (infection respiratoire) en 2003 dans le sud de la Chine.

La pandémie est alors considérée comme un risque contre lequel doivent être mis en place de nouveaux dispositifs de sécurité, reposant notamment sur l’anticipation à partir de la détection des premiers cas – les patients « zéro » – et de la surveillance des populations sensibles, dites « sentinelles ».

L’expansion de l’humanité : une suite de pandémies

C’est aussi dans les années 1970 que des historiens de l’environnement comme William McNeill, Alfred Crosby, ou Emmanuel Le Roy Ladurie en France décrivent l’expansion de l’humanité comme une suite de pandémies : la peste d’Athènes décrite par Thucydide, la peste de Justinien à la fin de l’Antiquité, la peste du Moyen-Âge décrite par Boccace, la variole décrite par Las Casas chez les populations américaines récemment conquises…

Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille). L’inhumation des cadavres à la Tourette par le chevalier Roze. Michel Serre/Wikimedia

Ces épidémies n’ont pourtant pas été vécues comme pandémiques par les sociétés touchées, même si chacune pouvait avoir le sentiment que c’était la fin de son monde. Car ces communautés n’avaient pas les moyens de montrer que la maladie en question affectait l’humanité tout entière.

Ce qui est nouveau, depuis trente ans, c’est la capacité des systèmes de détection à suivre les mutations des pathogènes sur toute la planète et à anticiper leur potentiel pandémique. L’OMS a pu ainsi couvrir en 2009 une pandémie « en temps réel ». L’institution a même modifié sa définition du terme « pandémie » lorsque le virus de grippe H1N1 s’est déplacé sur trois continents, en affirmant qu’il n’était plus nécessaire qu’un pathogène soit particulièrement virulent pour être considéré comme pandémique. La pandémie de grippe H1N1 de 2009 a ainsi fait moins de victimes que la grippe « saisonnière ».

Mais la nouveauté, c’est aussi et surtout le sentiment d’une vulnérabilité partagée entre l’humanité et les espèces animales constituant les réservoirs de ces pathogènes. Certaines, comme les volailles domestiques, deviennent malades de nos techniques d’élevage industriel, tandis que d’autres, comme les chauve-souris et les pangolins sauvages, sont menacées d’extinction du fait des transformations que nous imposons à leur environnement. La pandémie de grippe ou de coronavirus est le signe que l’espèce humaine peut disparaître, et que les autres animaux, alliés aux microbes qu’ils partagent avec nous, « se vengent » des mauvais traitements que nous leur imposons.


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