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Génération Identitaire, un mouvement décomplexé

Des militants de Génération Identitaire à Nevache, près de Briancon, sur la frontière alpine franco-italienne en 2018. Romain Lafabregue/AFP

La cour d’appel de Grenoble a récemment prononcé la relaxe de trois cadres du mouvement Génération identitaire. Ils avaient été condamnés en 2019 pour avoir construit une frontière symbolique contre les migrants au col de l’Echelle, dans les Alpes.

L’objectif était de condamner l’afflux de migrants en France en formant une « chaîne » composée de barrières en plastique et de militants. L'opération avait fait à l'époque l'objet de nombreuses communications sur les réseaux sociaux, dont les Identitaires ont depuis été « chassés ».

Si plusieurs députés avaient réagi avec véhémence, certains demandent de longue date la dissolution du mouvement.

C'est de nouveau le cas à Lyon, où des militants associatifs (Union Communiste Libertaire) ont été agressés dans une librairie libertaire le 12 décembre et soupçonnent des membres de Génération Identitaire d'être à l'origine de l'attaque.

Un mouvement bien implanté

Génération Identitaire est pourtant bien installée dans le paysage de l’extrême-droite française et, à l’instar des participants de l’action #StopMigrantsAlpes, se veut désormais porter la voix d’une Europe à défendre.

Génération Identitaire puise ses racines dans le groupuscule Bloc Identitaire, renommé depuis juillet 2016 Les Identitaires. Les idées sont les mêmes : le rejet de l’immigration, perçue comme une colonisation (le « grand remplacement »), promotion de la « remigration » (c’est-à-dire le renvoi des migrants dans leurs pays d’origine), défense de l’identité européenne, rejet de l’islam, rejet enfin du racisme « antiblanc ».

Or, ces théories se diffusent non seulement dans la société française, mais trouvent écho un peu partout en Europe. On pense ainsi à Generation Identity, fondé par le jeune Autrichien Markus Willinger, au groupe italien dont des membres étaient présents dans les Alpes et qui se sont déjà manifestés en 2017 lors de l’opération « Defend Europe » en Méditerranée, ou encore à Identitäre Bewegung. Les livres et pensées sont d’ailleurs traduits vers l’anglais par des militants de l’alt-right américaine.

Le vaisseau C-star affrété par des identitaires européens pour patrouiller en mer Méditerranée, au large des côtes libyennes durant l’été 2017. Angelos Tzortzinis/AFP

Au cœur de la rhétorique identitaire, toujours la même idéologie : une conception ethnoculturelle de l’identité. En effet, s’ils défendent la diversité ethnique et culturelle européenne, c’est uniquement parce que celle-ci s’insère dans une unité raciale (la race blanche) et culturelle (la civilisation indo-européenne).

Il s’agit pour Les Identitaires d’en assurer la sauvegarde face au danger que feraient peser l’immigration extra-européenne (xénophobie) et le métissage (mixophobie) sur sa pérennité. Surtout, contrairement aux autres groupuscules d’extrême droite, le groupe use d’une rhétorique victimaire. Il s’agit de se présenter comme un mouvement réactif, portant un discours subversif en lutte contre une supposée « pensée unique » « cosmopolite » et « immigrationniste ».

Recyclage d’idées

Les idées Identitaires ne sont pas récentes. On en retrouve les germes dès les années 1950, dans des groupuscules comme les néonazis du Nouvel ordre européen de René Binet, puis la décennie suivante, dans Europe Action, le groupuscule de Dominique Venner. Ce dernier est d’ailleurs considéré comme une référence importante, au point que son manifeste de 1961, Pour une critique positive. Écrit par un militant pour des militants, a été réédité par la maison d’édition des Identitaires, Idée, en 2013.

Cependant, contrairement aux groupes d’extrême droite dont la mouvance identitaire est issue, l’antisémitisme et l’antisionisme ont été désormais abandonnés au profit d’une idéologie structurée sur le rejet de l’islam, des musulmans et de l’immigration afro-arabe.

Retweet depuis le compte de Romain Espino, porte-parole de Génération identitaire, dont le commentaire (« au revoir et ne reviens plus ») a choqué sur les réseaux sociaux. Et a été retiré très rapidement de son compte officiel. Twitter

En ce sens, l’idéologie identitaire est une rupture des thèmes de sa famille nationaliste-révolutionnaire originelle. Le Bloc identitaire est en effet né de l’interdiction en 2002 d’Unité radicale, à la suite de la tentative d’assassinat ratée de Jacques Chirac, alors président de la République, par le militant Maxime Brunerie. Unité radicale était lui-même un groupuscule fondé en 1998 par d’anciens membres du GUD, de Jeune Résistance et de militants de L’Œuvre française. Son discours était antisioniste, antisémite et anti-américain, mais également anticapitaliste et plutôt pro-arabe, au nom du combat contre l’« axe américano-sioniste ».

Suite à cette interdiction, une partie des cadres dirigeants d’Unité radicale décident de créer une nouvelle structure, l’association Les Identitaires en décembre 2002. Elle est suivie par la création du Bloc identitaire–Mouvement Social Européen en avril 2003, affirmant déjà une volonté d’action pan-européenne.

Il faut voir dans le choix de ce nom l’un des effets majeurs de la reconfiguration alors à l’œuvre au sein des droites radicales européennes, suite aux attentats du 11 septembre 2001. La mouvance identitaire naissante passe, entre 2001 et 2003, d’un discours fustigeant « l’impérialisme américain » en tant qu’ennemi principal au combat contre l’islamisme et l’immigration musulmane, sans pour autant abandonner le premier, qui passe au second plan.

Le happening

Pour promouvoir ces idées, les membres du Bloc identitaire ont créé rapidement une structure de jeunesse, Une autre jeunesse, qui fut un échec. Elle était dirigée par Philippe Vardon, aujourd’hui membre du Rassemblement national, Adrien Heber, Gaëtan Jarry et Jean‑David Cattin. L’échec, par le manque d’attrait des jeunes pour ce mouvement, a cependant donné lieu à un second essai : le Bloc identitaire lance en 2012 Génération identitaire avec l ‘occupation du site de la future mosquée de Poitiers. Cette organisation aurait aujourd’hui environ 3 000 membres, mais seule une grosse centaine est active.

Ces happenings seront sa marque de fabrique.

Parallèlement, la structure met en ligne un clip, « Nous sommes la génération identitaire » très bien fait, remettant en cause les « maux » et travers de Mai 68 et des générations passées et soulignant l’échec du « vivre ensemble ». Ce clip s’adresse en outre aux militants européens et américains avec son sous-titrage en anglais.

Clip de lancement de Génération identitaire, 4 avril 2013.

Ces excellents communicants se dotent d’autres outils. Utilisant le phénomène des prières de rue, ils avaient investi le quartier de Barbès/la Goutte d’Or à Paris pour y condamner l’islam et défendre des produits de « nos terroirs » : le vin et les produits charcutiers. Ces « opérations pinard-saucisson » bien que très médiatisées, ont été en réalité peu suivies.

Cependant, elles ont fait émerger et, dans une moindre mesure légitimer, dans l’espace public l’idée de racisme culturel, faisant du musulman et de la musulmane une personne incapable de s’adapter aux valeurs occidentales.

Les positions identitaires contribuent, en outre, au rejet grandissant de la société multiethnique et multiculturelle.

Production des contre-discours

Les débats sur l’identité nationale, voulus alors par le président Nicolas Sarkozy, ont laissé des traces importantes dans une société fracturée, traumatisée par les différents attentats – et ce particulièrement depuis le 11 septembre 2001-, comme nous l’avons montré Nicolas Lebourg et moi-même. La communication des Identitaires a beaucoup joué sur la confusion intellectuelle de certains pans de la société : le rejet de l’Autre se renouvelle dans les marges, en particulier des marges intellectuelles qui produisent des contre-mémoires et des contre-discours, puis s’épand dans les autres secteurs de la société…

Si les idées identitaires prennent aujourd’hui, c’est parce que les techniques de communication des Identitaires sont efficaces : leur objectif est de faire parler d’eux. Ainsi, ils n’hésitent pas à inviter des journalistes afin de médiatiser leurs actions. Pour augmenter leur audience, ils diffusent leurs happenings et les retours de la presse via Novopress, leur agence de presse, et leur site. Des « informations » qui sont largement reprises par les structures identitaires européennes.

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