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Le campus d'Appel, à Cupertino, Californie. La firme a investi massivement dans les obligations vertes. Shutterstock

Les obligations vertes, un instrument financier pour défendre l’environnement

La canicule qui s’est abattue sur une grande partie de l’Europe cet été est venue opportunément rappeler l’urgence de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique et, de façon plus générale, de contribuer à réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement.

Pour cela, il va être nécessaire de mobiliser des ressources considérables pour diriger ces activités vers les projets appropriés. Fort heureusement, il existe un outil capable de remplir ce rôle : l’obligation verte (« green bond » en anglais).

Un instrument pour quoi faire ?

À l’instar des obligations classiques, il s’agit d’un instrument permettant de lever des fonds afin de réaliser un projet dont les flux de trésorerie attendus viendront rémunérer les souscripteurs.

L’originalité des obligations vertes est de servir à financer des projets à caractère écologique. Les projets entrant dans cette catégorie sont nombreux. On peut citer par exemple :

  • les entreprises installant des infrastructures permettant de produire une énergie renouvelable. C’est le cas d’EDF qui utilise depuis 2013 des obligations vertes pour financer la construction de parcs éoliens ou de centrales photovoltaïques ;

  • les entreprises qui mettent en place des méthodes de production moins polluantes ou plus économes en ressources naturelles. À ce titre, Apple a levé pour 1,5 milliard de dollars d’obligations vertes en 2017 afin de financer le recyclage de ses vieux appareils et de récupérer des composants dangereux pour l’environnement ;

  • les entreprises développant des technologies permettant de sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Le groupe Tesla, dirigé par l’excentrique Elon Musk, a ainsi émis une obligation verte destinée à financer ses investissements dans des systèmes innovants de production et de stockage d’énergie ;

  • Les entreprises du BTP engagées dans la construction de bâtiments à faible empreinte environnementale grâce à l’incorporation de panneaux solaires et une conception permettant une meilleure ventilation naturelle ;

  • Les collectivités locales cherchant à mettre en place des modes de transport urbain plus écologiques ou des installations permettant le recyclage et la revalorisation des déchets ;

  • Les intermédiaires financiers levant des fonds afin de les redistribuer à des entreprises dont la taille modeste ne leur permet pas d’accéder directement au marché obligataire. C’est ainsi que la Banque Mondiale émet depuis 2008 des obligations vertes servant à financer des projets écologiques dans les pays en développement ;

  • Les États dont l’objectif visé est plus l’impact environnemental que la rentabilité financière. Dans ce registre, la France est à l’origine de la plus grosse émission d’obligations vertes dont le montant a servi à financer un grand nombre d’initiatives comme l’aide à l’isolation thermique d’un million de foyers ou le développement des véhicules de transport du futur.

Un marché en pleine expansion

Le marché des obligations vertes a connu un développement rapide depuis sa naissance il y a maintenant 10 ans. L’an dernier, le volume des émissions s’est élevé à 155 milliards de dollars, ce qui correspond en gros au double de l’année précédente. Avec le renforcement constant des normes de construction, de recyclage ou de rejet de gaz à effet de serre, on peut s’attendre à ce que le marché continue de croître. Les entreprises devront aussi inscrire leurs stratégies dans une perspective de développement durable, ce qui contribuera à étendre le champ couvert par les obligations vertes.

Mais pour l’heure, le marché semble avoir du mal à passer au stade supérieur. Les émetteurs sont essentiellement les États, les entreprises du secteur de l’énergie et les institutions financières. À la limite, l’absence d’obligations vertes ne les aurait pas empêchés de mener à bien leurs projets environnementaux. D’ailleurs, des investissements du même type étaient financés par des moyens classiques avant l’arrivée des obligations vertes.


Les conditions pour que le succès initial se confirme

Aujourd’hui, l’enjeu est que l’ensemble des acteurs économiques se saisit de cet instrument. Rien ne s’y oppose. Au contraire, les entreprises ont tout intérêt à signaler leur engagement en faveur du développement durable en émettant des obligations vertes. Celles qui ne le feraient pas pourraient soulever l’inquiétude des investisseurs et de leurs partenaires industriels. L’incitation est suffisamment forte pour qu’un grand nombre d’entreprises suive l’exemple d’Apple. Pour cela, il faudrait que quelques-unes se lancent pour que la dynamique s’enclenche.

Les investisseurs devraient participer au développement du marché et faire savoir qu’ils contribuent également à la protection de l’environnement. Là encore, ceux qui feront le premier pas mettront sous pression le reste du secteur pour accorder aux obligations vertes une part plus importante au sein de leurs portefeuilles. L’atout de ces obligations réside dans leur simplicité. On comprend facilement ce qui est écologique ou ce qui ne l’est pas. Ce n’était pas le cas de l’investissement éthique ou socialement responsable pour lequel la définition est loin de faire l’unanimité.

Qui supportera le coût des obligations vertes ?

Tout est donc en place pour que l’offre et la demande se rencontrent. Reste encore peut-être la question du coût car la notation des obligations n’est pas gratuite. De plus, l’émetteur est engagé à soumettre des rapports concernant l’avancement de ses projets. Qui supportera ce coût ?

Une première idée est que les investisseurs sensibles aux questions environnementales devront accepter une rémunération plus faible. En réalité, il n’est pas utile de compter sur leur désintéressement.

En démontrant leur engagement en faveur de l’environnement, les émetteurs d’obligation verte devraient bénéficier d’une prime de risque en leur faveur. S’ils devaient choisir d’émettre des obligations classiques, ils avoueraient leurs difficultés à pouvoir continuer de se développer dans une perspective durable. Sachant que les normes environnementales vont être progressivement durcies, les investisseurs seront portés à craindre que l’entreprise ne soit pénalisée, ce qui devrait se traduire par une prime de risque plus élevée en sa défaveur.

Ainsi, les bons élèves seront récompensés tandis que les moins bons trouveront plus difficilement les ressources financières pour continuer à faire les choses comme avant.

Des effets profonds sur la pratique des entreprises

Les obligations vertes ne présenteraient pas un intérêt aussi grand si leurs effets n’étaient pas réels.

D’une part les entreprises financées par des obligations vertes seront tenues de respecter leurs engagements sous peine d’entacher leur crédibilité. Les fonds devront être affectés aux projets décrits et ceux-ci devront faire l’objet d’un audit. S’il s’agit de respecter des normes environnementales plus strictes, il faudra bien que le résultat soit démontré.

Le développement du marché devrait s’accompagner par la montée en puissance d’analystes spécialisés dans les questions environnementales. Ainsi, les entreprises et les investisseurs seront assistés par des experts pouvant orienter leurs stratégies comme ce que font les analystes financiers.

Elles auront par ailleurs un outil de communication efficace pour traduire de manière convaincante leur contribution à la protection de l’environnement. La capacité à valoriser efficacement leurs efforts en ce sens les incitera à faire davantage.

Percée de la Chine

Il est intéressant de noter que les émetteurs chinois ont fait une entrée fracassante sur le marché des obligations vertes. Leur intention est manifestement d’utiliser ce véhicule pour démontrer aux autorités leur engagement en matière environnementale. C’est une stratégie de bon sens, dans un pays où l’écologie a longtemps été sacrifiée dans la course à la croissance et où le public exige désormais de pouvoir respirer un air moins pollué et de vivre dans un environnement moins dégradé.

Par ailleurs, l’évolution des émissions montre qu’en l’espace d’un an, entre 2016 et 2017, des émetteurs plus divers, et notamment plus petits, ont lancé des obligations vertes. Ceci laisse entrevoir une croissante explosive au cours des prochaines années.

Ainsi, cet instrument presque banal pourrait non seulement transformer le marché financier mais aussi accélérer la transition vers un développement durable. On pourra alors dire qu’on aura eu chaud !

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