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Les politiques monétaires peuvent-elles garantir la croissance économique ?

Le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. MPD01605/Flickr, CC BY-SA

À la suite de la crise financière de 2007-2008, les banques centrales des pays développés ont mis en place des politiques monétaires de relance. Celles-ci visaient principalement à réduire les taux d’intérêts.

Lorsque ces taux sont devenus quasi nuls, l’économie n’étant toujours pas repartie, les banques centrales ont adopté des mesures non conventionnelles, telles que l’assouplissement quantitatif.

Des politiques économiques inefficaces ?

La baisse des taux d’intérêt repose sur l’idée qu’un taux bas devrait permettre de réduire le coût de financement de projets pour les entreprises, les poussant ainsi à investir.

Quant à l’assouplissement quantitatif, il permet aux banques centrales d’acheter des actifs financiers à des entités non bancaires, comme les fonds de pension. L’argent généré par ces achats fait augmenter le prix des actifs financiers, stimulant ainsi l’économie.

Le New York Stock Exchange, plus grande des bourses mondiales, à New York ; la crise financière mondiale de 2007-2008 trouve son origine aux États-Unis, dans la crise des subprimes. Urban~commonswiki/Wikimedia, CC BY-SA

Cependant, neuf ans après la mise en place de ces politiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles, le résultat de leur action reste discutable. Ainsi, malgré les trillions de dollars créés par ces politiques, les banques centrales envisagent de mettre en place d’autres mesures, comme la « monnaie hélicoptère ».

Les politiques adoptées à la suite de la crise financière de 2007-2008 auraient-elles été si inefficaces ?

Ce questionnement soulève en fait deux problématiques. Lorsqu’une économie est stagnante, les banques centrales sont-elles en mesure de générer de la croissance en créant de l’argent ? Quant à la croissance monétaire, implique-t-elle nécessairement une croissance économique ?

De la conquête de l’Ouest et de la Grande Dépression

Le cowboy, figure emblématique de la conquête de l’Ouest. Bibliothèque du Congrès des États-Unis

Considérons, par exemple, la conquête de l’Ouest américain au XIXᵉ siècle. À l’époque, il n’y avait pas de banque centrale des États-Unis, mais des banques locales privées, qui ont fourni des crédits et des billets de banque afin de soutenir les échanges. Les billets de banque ont permis aux immigrants sans ressources d’Europe d’acquérir des terres, de l’équipement, du bétail et des semences. Un bon nombre d’entre eux ont ainsi pu prospérer grâce à l’action des banques.

Mais l’injection d’argent dans le système économique n’a pas toujours fonctionné. De 1930 à 1940, lors de la Grande Dépression aux États-Unis, les politiques de relance de l’économie ont augmenté la masse monétaire de près de 80 %. Cependant, l’économie réelle était tellement dévastée que cette augmentation n’a pas réussi à la sortir de la dépression. Il a fallu que le gouvernement mette en place une politique keynésienne de relance par des investissements dans les infrastructures pour que l’économie reparte.

Cependant, l’injection d’argent dans l’économie par les institutions financières ne signifie pas nécessairement que cet argent ira aux citoyens, ni que ces derniers, s’ils en bénéficient, ne le dépenseront pour acquérir des biens et des services.

Pour comprendre cela, il nous faut saisir le processus de génération et de circulation de l’argent.

Le processus de création d’argent

Entrée de l’hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France, à Paris ; l’institution a été créée en 1800. Mbzt/Wikimedia, CC BY-SA

Dans les économies de marché modernes, l’argent est créé par les banques centrales et les banques commerciales.

Seulement une petite fraction de cet argent est créé directement par les banques centrales, lorsque celles-ci émettent de la monnaie ou achètent des actifs. La majeure partie de l’argent est en fait créé par les banques commerciales, lorsque celles-ci accordent des prêts.

Contrairement à la représentation de monsieur Tout-le-Monde, les billets de banque ne possèdent pas de valeur propre : ils sont une monnaie fiduciaire, imprimée par les banques centrales et distribuée par les banques commerciales aux « individus ». En 2013, en Grande-Bretagne, les billets de banque ne représentaient que 3 % du total des fonds en circulation, le reste se constituait de dépôts auprès des banques.

Les dépôts sont créés comme une paire de prêt-dépôt. Ainsi, lorsque les banques ouvrent un compte pour des individus ou des entreprises, elles créent de l’argent.

De cette façon, bien que l’argent créé lors du prêt-dépôt élargisse la masse de monnaie en circulation et serve directement pour l’échange de biens et de services, la somme de la richesse financière créée par la banque commerciale apparaît dans son bilan comme étant nulle.

Mais ce processus de génération et de distribution d’argent est-il contrôlé ?

Pas directement. En fait, les banques commerciales ne sont pas contraintes par leurs réserves. Ainsi, lorsqu’elles ne disposent pas de réserves suffisantes, elles empruntent auprès d’autres banques commerciales, ou bien auprès de la banque centrale.

Seulement, le montant des prêts effectués par les banques commerciales est influencé par les taux d’intérêts fixés par les banques centrales. Ainsi, lorsqu’une banque centrale met en place une politique de taux d’intérêt faibles, les prêts deviennent rentables pour les banques commerciales. En jouant avec les taux d’intérêts, les banques centrales contrôlent donc, en partie, la quantité d’argent disponible dans une économie.

Les taux d’intérêts sont contrôlés par les banques centrales via des « opérations d’open market », où elles achètent des titres d’État auprès des banques commerciales afin d’augmenter leurs réserves.

Cependant, le cadre du champ bancaire et financier a été profondément modifié à la suite de la crise financière de 2007-2008.

Ruée bancaire des clients de la banque Northern Rock, particulièrement touchée lors de la crise financière de 2007-2008 ; elle sera nationalisée temporairement. Dominic Alves/Flickr, CC BY

Achat d’action, monnaie hélicoptère : vers de nouvelles politiques ?

Pour répondre à la crise financière, les banques centrales ont abaissé les taux d’intérêt à pratiquement zéro et, afin d’injecter de la liquidité, ont commencé à acheter des actifs à des institutions financières non bancaires.

L’objectif de cette politique d’assouplissement quantitatif était d’encourager ces institutions à rééquilibrer leurs portefeuilles et à acheter des actifs à plus hauts risques (dont des actions). Cela afin d’augmenter la capacité d’investissement des entreprises et donc de stimuler l’économie.

Afin de soutenir l’économie japonaise (ici, la capitale du pays, Tokyo), la Banque du Japon a acheté de nombreuses actions d’entreprises. noface/Wikimedia

Au Japon, un programme d’achat d’actions a ainsi été mis en place par la banque centrale japonaise. Celle-ci est devenue l’un des plus grands investisseurs de la Bourse de Tokyo et pourrait, d’ici la fin 2017, devenir l’actionnaire principal de 55 entreprises de l’indice boursier Nikkei 225.

Cependant, cette politique n’a pas donné les résultats escomptés. Pour y remédier, les banques centrales envisagent d’autres mesures non conventionnelles, comme la monnaie hélicoptère.

Cette politique implique que les banques centrales distribuent de l’argent « libre » a tous les individus, afin que ces derniers consomment et relancent ainsi l’économie.

La monnaie hélicoptère peut-elle fonctionner ? C’est discutable. Incertains quant à leur avenir, les individus peuvent choisir d’économiser cet argent. De plus, s’ils choisissent de le dépenser, il est probable qu’une partie de leurs achats iront vers des produits fabriqués à l’étranger.

Enfin, en créant une plus grande masse monétaire, l’argent hélicoptère peut résulter en une méfiance généralisée par rapport à la monnaie, ce qui serait désastreux pour l’économie.

Vers une nouvelle crise financière ?

Mais au fond, comment expliquer l’échec des politiques non conventionnelles ?

Depuis les années 1980, l’économie s’est de plus en plus financiarisé. Katrina.Tuliao/Wikimedia, CC BY

La première explication possible est que l’argent nouvellement créé ne soit pas arrivé dans l’économie réelle, mais soit resté sur les marchés financiers.

Ne voyant pas l’opportunité de nouveaux investissements, les acteurs de l’économie réelle ont peu emprunté ; au contraire, les marchés financiers, en utilisant l’effet de levier financier, ont eu un grand besoin de liquidités pour financer l’achat d’actions.

Ainsi, aux États-Unis, de mars 2009 à septembre 2016, le S&amp ;P 500 (l’indice boursier des 500 entreprises représentatives de l’économie américaine) est passé de 730 à 2 175 – cette augmentation correspondant à un gain annuel de 18 %.

Sur la même période, la valeur nominale du Produit national brut américain est passé de 14 500 à 18 879 milliards de dollars, ce qui correspond à un gain annuel de 3,5 %. Quant au revenu médian des familles américaines, il est resté pratiquement constant depuis 1999, à environ 70 000 $ annuels.

L’argent créé par les banques centrales est donc resté sur les marchés financiers, ce qui a peut-être créé les conditions d’une prochaine crise financière. Ainsi, les prêts n’ont pas été justifiés par des profits réels, mais par l’augmentation de la valeur des actifs.

Une explication plus fine de l’échec des politiques non conventionnelles réside dans le fait que les économies avancées soient devenues de plus en plus complexes. D’ailleurs, cette raison explique peut-être le manque d’efficacité des politiques visant à créer de la demande intérieure ; la faiblesse de cette dernière fragilisant fortement la croissance des économies développées.

Des structures économiques devenues trop complexes

La richesse des nations serait désormais de plus en plus liée à la complexité de leur structure productive. C’est ce que concluent les chercheurs Hidalgo et Huberman de l’Observatory of Economic Complexity du Massachusetts Institute of Technology (MIT), dans leur étude « The Building Block of Economic Complexity ».

La production de voiture s’est complexifiée par le biais de l’électronique et du numérique. Tecnalia/Flickr, CC BY-NC-ND

Prenons un exemple. Lorsque nous achetons un ordinateur portable, un téléphone mobile, ou une voiture, nous consommons de plus en plus une forme de complexité économique. Ainsi, l’électronique représenterait 40 % du coût d’une voiture haut de gamme fonctionnant au pétrole ou au diesel, et jusqu’à 75 % du coût d’une voiture électrique.

L’Observatory of Economic Complexity publie un classement par pays, en fonction de la complexité de leurs structures productives. Dans celui-ci, les pays qui détiennent les structures les plus complexes se classent parmi les nations avec le PNB par habitant le plus élevé.

Dans cette situation, que peuvent faire les pays industrialisés pour relancer leurs économies ?

Continuer à injecter de l’argent via des politiques monétaires ne relancera pas l’économie réelle. Notamment parce que la complexification de nos économies nous dépasse et ne nous permet pas de développer une compréhension de ce que nous entendons par « croissance économique », et par la façon dont nous pouvons y parvenir.

La robotique, l’industrie 4.0 et le numérique permettront-ils aux pays développés de retrouver une certaine croissance ? WorldSkills UK/Flickr, CC BY

Ainsi, dans les économies modernes, la croissance économique réelle ne peut plus être mesurée en soustrayant le taux d’inflation (que nous ne savons de toute façon pas vraiment mesurer) par le taux de croissance nominal.

Pour que nos pays développés puissent retrouver une certaine croissance économique, il nous faudrait stimuler la demande intérieure. C’est d’ailleurs pour cette raison que les politiques de réduction des salaires et de précarisation de l’emploi ne fonctionnent pas.

Plutôt que de chercher à effectuer des gains financiers toujours plus importants et à réduire les coûts de production en délocalisant, il nous faudrait réindustrialiser nos économies et produire des produits complexes à haute valeur ajoutée.

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