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L’évolution est plus rapide qu’on ne le pensait chez les animaux sauvages

La phalène du bouleau : un exemple d'adaptation rapide. Siga/Wikimedia, CC BY-SA

Quelle est la vitesse de l’évolution ? L’évolution adaptative se produit quand la sélection naturelle cause des changements génétiques favorisant la survie et la reproduction des individus.

Charles Darwin, le découvreur de ce phénomène, pensait qu’il était tellement lent qu’on ne pouvait l’observer que sur des échelles de temps géologiques. Cependant, au cours du siècle dernier, plusieurs exemples d’évolution adaptative se produisant sur seulement une poignée de générations ont été documentés. Ainsi, la phalène du bouleau, un papillon a changé de couleur en quelques décennies quand la pollution de l’air a noirci les murs et l’écorce des arbres. Ce papillon, qui était le plus souvent blanc, est rapidement devenu noir à cause de la sélection due aux prédateurs. En effet, les papillons noirs étaient mieux camouflés sur les surfaces salies, et les gènes produisant des papillons noirs sont devenus de plus en plus communs. Dans un autre exemple, la fréquences des éléphants sans défenses a augmenté en réponse au braconnage, les braconneurs tuant en priorité les animaux avec des défenses.

Cependant, il reste difficile de dire à quelle vitesse l’évolution adaptative se produit actuellement. Pourrait-elle être suffisamment rapide pour influencer la réponse des populations confrontées aux changements environnementaux actuels ? Jusqu’à maintenant on supposait plutôt que la réponse était non, sans toutefois avoir de données précises sur le sujet.

Pour mesurer la vitesse d’évolution adaptative dans la nature, nous avons étudié 19 populations d’oiseaux et de mammifères sur plusieurs décennies. Nous avons constaté qu’elles évoluaient deux à quatre fois plus vite que les travaux antérieurs ne le suggéraient. Cela montre que l’évolution adaptative peut jouer un rôle important dans la façon dont les traits et les populations d’animaux sauvages changent sur des périodes de temps relativement courtes.

Les outils du biologiste de l’évolution : maths et jumelles

Comment mesurer la vitesse de l’évolution adaptative ? Selon le « théorème fondamental de la sélection naturelle », énoncé par R.A. Fisher en 1930, la variance (une mesure des différences) génétique dans l’aptitude à survivre et à se reproduire entre les individus d’une population est égale au taux d’évolution adaptative de la population.

Ce « théorème fondamental » est connu depuis 90 ans, mais il est difficile à appliquer. Les tentatives d’utilisation du théorème dans les populations sauvages ont été rares et souffrent de problèmes statistiques.

Nous avons travaillé avec 27 instituts de recherche pour assembler les données de 19 populations sauvages qui ont été suivies pendant de longues périodes, certaines depuis les années 1950. Parmi les oiseaux et mammifères étudiés, on peut citer des mésanges bleues en Corse, des mouflons au Canada, des hyènes en Tanzanie ou encore des babouins au Kenya. Des générations de chercheurs ont recueilli des informations sur la naissance, l’accouplement, la reproduction et la mort de chaque individu de ces populations.

Au total, ces données représentent environ 250 000 animaux et 2,6 millions d’heures de travail sur le terrain. L’investissement peut sembler exorbitant, mais les données ont déjà été utilisées dans des milliers d’études scientifiques et le seront à nouveau.

Les statistiques à la rescousse

Nous avons ensuite utilisé des modèles de génétique quantitative pour appliquer le « théorème fondamental » à chaque population. Au lieu de suivre les changements dans chaque gène, la génétique quantitative utilise des statistiques pour capturer l’effet total résultant de changements dans des milliers de gènes.

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Nous avons également développé une nouvelle méthode statistique qui s’adapte mieux aux données que les modèles précédents. Notre méthode capture deux propriétés clés de la répartition inégale de la survie et de la reproduction entre les populations sauvages.

Premièrement, la plupart des individus meurent avant de se reproduire, ce qui signifie qu’il y a beaucoup d’individus avec aucun succès reproducteur. Deuxièmement, alors que la plupart des adultes se reproduisent peu, quelques-uns donnent naissance à un très grand nombre de descendants, ce qui conduit à une distribution asymétrique.

La vitesse de l’évolution adaptative

Parmi nos 19 populations, nous avons constaté qu’en moyenne, le changement génétique en réponse à la sélection était responsable d’une augmentation de 18,5 % par génération de la capacité des individus à survivre et à se reproduire.

Cela signifie que la progéniture est en moyenne 18,5 % « meilleure » que ses parents. Autrement dit, une population moyenne pourrait survivre à un changement environnemental qui réduit la survie et la reproduction de 18,5 % à chaque génération.

Compte tenu de cette vitesse, nous avons constaté que l’évolution adaptative pouvait expliquer la plupart des changements récents dans les caractéristiques des animaux sauvages (tels que la taille ou le moment de la reproduction). D’autres mécanismes sont également importants, mais ce résultat indique que l’évolution doit être considérée parallèlement à d’autres explications.

Un résultat enthousiasmant pour un avenir incertain

Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ? À une époque où les environnements naturels changent radicalement partout dans le monde, en raison du changement climatique et d’autres forces, l’évolution aidera-t-elle les animaux à s’adapter ?

Malheureusement, c’est là que les choses se compliquent. Notre recherche n’a estimé que les changements génétiques dus à la sélection naturelle, mais dans le contexte du changement climatique, d’autres forces sont en jeu.

Premièrement, il existe d’autres forces évolutives (telles que les mutations, le hasard et la migration).

Deuxièmement, le changement environnemental lui-même est probablement un moteur plus important de la démographie de la population que le changement génétique. Si l’environnement continue de se détériorer, la théorie nous dit que l’évolution adaptative sera généralement incapable de compenser entièrement.

Enfin, l’évolution adaptative peut elle-même modifier l’environnement vécu par les générations futures. En particulier, lorsque les individus sont en compétition pour une ressource (comme la nourriture, le territoire ou les partenaires), toute amélioration génétique entraînera une plus grande compétition au sein de la population.

Notre travail seul est insuffisant pour formuler des prédictions. Cependant, il montre que l’évolution ne peut être ignorée si l’on veut prédire avec précision l’avenir proche des populations animales.

Malgré les défis pratiques, nous sommes émerveillés d’assister à l’évolution darwinienne, un processus autrefois considéré comme extrêmement lent, agissant de manière observable au cours de nos vies.

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