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Un soldat patrouille lors d'une fête, en Ouganda. Plutôt que de favoriser le professionnalisme des armées, l’assistance internationale tend à augmenter la capacité des forces de sécurité à réprimer les populations civiles. Shutterstock

Lutte contre le terrorisme en Afrique : des armées mieux équipées contrôlent et répriment les populations

Les États-Unis et les pays européens engagés dans la lutte contre le terrorisme placent beaucoup d’espoirs dans le renforcement des capacités des forces armées des États africains.

Articulée autour de plusieurs instruments comme le financement, le partage d’informations, la formation et l’équipement, la stratégie vise à renforcer la qualité et le niveau d’engagement des forces armées contre le terrorisme. L’assistance traduit un regain d’intérêt pour l’Afrique et s’inscrit dans une dynamique de guerre à distance. Il s’avère moins coûteux et moins risqué pour les puissances de soutenir les pays africains et leurs armées que d’envoyer des soldats combattre les groupes terroristes.

Je m’intéresse à ces questions depuis plusieurs années, travaillant principalement sur les questions politiques, de paix et de sécurité en Afrique. J’ai codirigé l e livre collectif La lutte contre le terrorisme en Afrique paru aux Presses de l’Université de Montréal en 2019.

Améliorer les capacités des forces armées

Le terrorisme qui se réclame de l’islam semble perdre de la vitesse partout dans le monde, sauf en Afrique, où la menace continue de s’étendre.

L’Afrique australe, une région épargnée jusqu’à récemment, fait face au groupe Ahlu Sunna Wal Jamaa (ASWJ) qui sévit au Mozambique. L’action militaire s’avère importante lorsque des groupes terroristes montent en puissance. Cependant, beaucoup de pays africains ont de faibles ressources militaires et comptent sur le soutien extérieur pour améliorer leurs capacités opérationnelles.

À travers ses nombreux programmes d’aide en matière de sécurité et ses bases militaires et de drones, Washington apporte un appui en formation et en équipements aux forces armées de plusieurs États africains. Des ressources financières importantes sont aussi investies. En Afrique subsaharienne, l’aide antiterroriste américaine est passée de 327 millions de dollars entre 2011 et 2014 à 1 milliard entre 2015 et 2018. Washington a aussi alloué 363 millions de dollars à la Force multinationale mixte (FMM) qui combat le terrorisme au Nigeria et dans le bassin du lac Tchad, et doublé son aide aux pays du G5 Sahel, de 60 millions de dollars en 2017 à 111 millions en 2018.

L’Union européenne (UE) est également active pour ce qui est de l’aide en matière de sécurité. Elle assure à la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), qui lutte contre le terrorisme et le crime organisé au Sahel, son plus grand financement (116 millions de dollars). L’UE dispose aussi de trois missions de formation de forces de sécurité dont une au Niger et deux au Mali. La mission militaire au Mali conseille et forme aussi les troupes de la Force conjointe.


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L’assistance internationale peut améliorer les capacités des forces de sécurité. Par exemple, la FC-G5S dépend, au niveau opérationnel, de l’opération française Barkhane. Le soutien extérieur a aussi semblé favoriser l’ascendance de la FMM sur le groupe terroriste nigérian Boko Haram en 2015, même si le lien de causalité s’avère difficile à démontrer. D’autres facteurs comme l’arrivée au pouvoir du président nigérian Muhammadu Buhari et l’amélioration de la coopération régionale ont été déterminants.

Les effets pervers de la stratégie de renforcement des capacités

Après une décennie de renforcement des capacités contre le terrorisme en Afrique, la menace ne cesse de gagner du terrain. Beaucoup de régimes sollicités dans le contre-terrorisme par les puissances extérieures en profitent pour consolider leur pouvoir par des mesures de répression. Les violations des libertés et des droits de la personne par les forces armées sont récurrentes au Cameroun, au Tchad et au Niger, des pays qui ont le plus bénéficié de l’aide financière des États-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme entre 2014 à 2017.

Un véhicule de l’ONU patrouille près de Koukou Angarana, au Tchad. L’assistance internationale y a favorisé la montée en puissance d’une milice ethnique qui sert de garde prétorienne au pouvoir. Shutterstock

Le Cameroun est marqué par les répressions de manifestations, mais aussi par les arrestations arbitraires d’acteurs de la société civile, de journalistes, d’avocats, de syndicalistes, etc. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs été jugés par des tribunaux militaires. Au Tchad, l’assistance internationale a favorisé la montée en puissance d’une milice ethnique qui sert de garde prétorienne au pouvoir avec un bilan désastreux en matière de droits de la personne.

La stratégie de renforcement des capacités privilégie l’approche sécuritaire, qui affecte aujourd’hui plusieurs domaines y compris l’aide au développement. D’importants montants octroyés par Washington dans le cadre du développement servent la sécurité et les intérêts stratégiques des États-Unis, et non le développement des pays visés. La militarisation déjà préoccupante se trouve ainsi renforcée, ce qui empêche les discussions sur les questions sociopolitiques et compromet le développement économique et social des pays.

Davantage de coups d’État

Le renforcement des capacités a aussi une influence sur le comportement des armées bénéficiaires. Un lien a été établi entre les programmes américains de formation de personnel militaire étranger et les coups d’État. Alors que la formation vise à promouvoir le contrôle civil de l’armée, elle renforce l’habileté des militaires entraînés à formuler des revendications et à mener un coup d’État si leurs demandes ne sont pas satisfaites.

Plutôt que de favoriser le professionnalisme des armées pour plus de respect des droits humains, l’assistance internationale augmente la capacité et la volonté des forces de sécurité à s’engager dans la répression et l’escalade de la violence.

Au moins 101 personnes ont été détenues et torturées entre 2013 et 2017 dans plusieurs bases militaires camerounaises gérées par le célèbre Bataillon d’intervention rapide (BIR) et dans des centres de renseignements où des militaires américains étaient régulièrement présents.

Un garde de sécurité patrouille le long du fleuve Niger, au Niger. L’assistance internationale augmente la capacité des forces de sécurité à s’engager dans la répression et l’escalade de la violence. Shutterstock

Certes, les violations des droits humains sont constatées partout où le contre-terrorisme est mené. On sait aussi que des forces de sécurité autre que l’armée peuvent y être impliquées. De plus, même avec des ressources limitées et sans appui extérieur, les forces armées peuvent commettre des exactions contre les civils, comme on le voit en Érythrée. La répression y est quotidienne ce qui lui a valu le nom de « Corée du Nord de l’Afrique de l’Est ». Le pays est sous le coup de sanctions internationales appliquées par les puissances occidentales et la Russie. Pourtant, l’armée se trouve aux avant-postes dans la répression et les arrestations.

Les puissances extérieures ne sont donc pas entièrement responsables et n’ont pas le contrôle de tout ce que font les forces de sécurité partenaires. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles n’ont aucune marge de manœuvre. Ce qui est déploré, c’est l’absence de mesures contraignantes à l’encontre des forces armées qui bénéficient de l’aide pour ensuite s’en servir contre les droits humains.

Enfin, l’assistance en matière de sécurité a donné lieu à une compétition entre puissances comme la France et la Russie, par exemple, sur fond de dispersion des efforts pendant que les groupes armés coopèrent pour coordonner des attaques, comme c’est le cas au Sahel.

La lutte contre le terrorisme nécessite le respect des droits humains, l’appui à la société civile, l’imputabilité et la lutte contre la corruption, y compris au sein des forces de sécurité.


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