Menu Close
Critiqué notamment par sa propre égérie Jane Birkin, Hermès a lancé sur le marché des produits végans comme d’autres grands noms du luxe. Shutterstock

Luxe : les produits végans semblent surtout plaire… aux non-végans

Fondée sur des piliers tels que la tradition et l’exclusivité, la dynamique de l’industrie du luxe la distingue de toutes les autres. Les attentes élevées des consommateurs et leur volonté de payer pour la qualité augmentent le niveau d’exigence dans les processus de production : les marques situées au sommet de la chaîne se doivent d’offrir à leur public ce que l’argent peut acheter de mieux. Montres, parfums, chaussures, sacs, vêtements, lunettes… le client attend d’avoir le sentiment de posséder quelque chose de supérieur et d’exclusif, capable de les placer à un niveau social supposément plus élevé.

Les firmes capables de répondre aux attentes sont récompensées par des bénéfices fabuleux et une croissance vigoureuse. Ce n’est pas un hasard si certains des plus grands conglomérats industriels du monde sont actuellement constitués d’un ensemble de marques du secteur, LVMH, de Kering, ou de Richemont, pour ne citer qu’eux.

Ces entreprises n’ont toutefois pas le luxe de pouvoir ignorer les grandes tendances de la société moderne, et notamment les exigences de durabilité. Les pressions qu’elles reçoivent pour adapter leurs produits et leurs processus de production afin de minimiser leur impact environnemental semblent de plus en plus fortes : remplacement des matériaux, réduction de l’utilisation d’emballages, délocalisation d’usines… Pas toujours évident pour des entreprises plutôt conservatrices et réticentes aux changements.

Davantage qu’une simple curiosité

Plusieurs épisodes ont notamment mis sur le devant de la scène la question du bien-être animal, le débat par exemple autour des élevages d’alligators et de crocodiles qui fournissent une grande partie du cuir utilisé par la société française Hermès. Selon l’organisation non gouvernementale People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), des fermes au Texas et du Zimbabwe élèveraient les animaux dans des conditions épouvantables, les confinant dans des espaces exigus et inappropriés. Les reptiles seraient abattus de manière cruelle à un très jeune âge.

L’impact des images, diffusés notamment par la BBC a conduit l’actrice et chanteuse franco-britannique Jane Birkin à demander que son nom ne soit plus utilisé par Hermès alors qu’elle l’avait donné à un des modèles les plus emblématiques de la marque.

De nombreux consommateurs ont alors commencé à se sentir mal à l’aise avec le fait que leurs sacs à main, par exemple, étaient fabriqués dans pareilles conditions. De nombreuses entreprises du luxe se sont donc retrouvées obligées de proposer des solutions à ces nouvelles demandes, par besoin marketing sinon par conviction morale. Les alternatives les plus courantes sont les matériaux fabriqués à partir de champignons et de fruits comme les pommes et les ananas. Les « cuirs » végans sont ainsi de plus en plus utilisés, et, davantage qu’une simple curiosité exotique, ils deviennent une matière première recherchée.

D’un point de vue opérationnel, le remplacement du cuir animal représente un changement radical dans les processus de production établis depuis des décennies, voire des siècles. En plus d’adapter les équipements et de former les employés, les nouveaux matériaux amènent les entreprises du luxe à reprogrammer le design de certains de leurs produits classiques, ainsi qu’à réaliser des tests de résistance approfondis pour s’assurer que les cuirs végans ne compromettront pas la qualité de leurs produits. À cela s’ajoute la nécessité de développer de nouvelles relations avec les fournisseurs de cuir non animal, qui dans de nombreux cas en sont encore à un stade précoce de développement.

Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».

Abonnez-vous dès aujourd’hui

Cette complexité fait que quelques entreprises du secteur restent réfractaires aux cuirs végans, préférant la fidélité aux matériaux d’origine animale, quelles que soient les questions éthiques qui les entourent. Les professionnels du marketing et les chercheurs tentent donc de comprendre les effets de l’introduction d’alternatives véganes du point de vue des consommateurs, en identifiant comment les différents segments réagissent à cette question.

Contre-intuitif

Une division importante du marché du luxe est précisément celle qui sépare les consommateurs végans et non végans. Intuitivement, on pourrait s’attendre à ce que le premier groupe accueille favorablement l’introduction d’alternatives végans, dans la mesure où ces initiatives correspondent à leurs valeurs. On pourrait attendre moins d’enthousiasme de la part des non-végans et peut-être parfois même du mépris.

Pour le vérifier, nous avons mené une expérience afin de capturer les réactions de consommateurs végans et non-végans face à pareil changement. Et contrairement à nos attentes, les consommateurs végans se sont montrés généralement peu motivés voire même mécontents. L’autre groupe a lui été plus réceptifs aux alternatives aux produits animaux. Autrement dit, ce qui a été observé, c’est une meilleure acceptation des produits végans par les consommateurs non végans.

Comment l’expliquer ? Parmi les raisons possibles, il y a l’avancée du débat sur le véganisme dans la société contemporaine, un nombre croissant de personnes étant sensibilisé à la souffrance animale. Des produits qui ne sont associés à aucune forme de cruauté se voient dotés, de même que les produits respectueux de l’environnement, d’une sorte de supériorité morale.

Du côté des consommateurs végans, il est probable que l’introduction d’alternatives au cuir animal soit interprétée comme une mesure extrêmement modeste, loin de satisfaire leurs désirs d’élimination totale de l’utilisation du cuir. Ces mesures ne pourraient d’ailleurs à leurs yeux n’être rien d’autre qu’une façade hypocrite cachant les véritables pratiques des entreprises.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now