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Macron en Afrique : un revirement cynique pour réparer les préjudices liés au passé colonial tout en gardant une mainmise sur le continent

President Emmanuel Macron (G) et Umaro Sissoco Embalo, president du Guinée Bissau (D). Photo by Ludovic Marin/AFP via Getty Images

Fin juillet 2022, le Président français Emmanuel Macron a achevé sa tournée au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Il effectue actuellement une visite en Algérie du 25 au 27 août.

À première vue, difficile de comprendre pourquoi il a choisi ces pays apparemment très différents : trois anciennes colonies françaises – le Cameroun, le Bénin et l’Algérie, et une ancienne colonie portugaise – la Guinée-Bissau.

Néanmoins, dans l’ensemble, les visites de M. Macron révèlent que la France se repent de ses crimes coloniaux tout en essayant de conserver l’influence découlant du colonialisme.

Ces deux thèmes sont également apparus lors du Nouveau Sommet France-Afrique organisé en octobre 2021 à Montpellier. Macron y a promis d’investir dans des start-ups technologiques africaines afin d’étendre l’influence des entreprises privées françaises, tout en faisant la promotion du rapport de l’universitaire Achille Mbembe sur les nouvelles relations entre la France et l’Afrique.

Le Président français a eu une autre occasion de montrer les bonnes relations qu’il entretient avec les dirigeants africains, lors du Sommet Union européenne-Union africaine de février 2022, qui a été organanisé conjointement par Macron – la France assurait alors la présidence de l’Union européenne – et par le Président du Conseil de l’UE, Charles Michel.

Les efforts de repentance ont été mis en scène lors de chacune de ses récentes visites de pays. Lors d’une conférence de presse avec le président camerounais Paul Biya, Macron a déclaré que les archives de la France sur la domination coloniale au Cameroun seraient ouvertes « dans leur intégralité ». Il a dit espérer que les historiens des deux pays travailleraient ensemble pour faire la lumière sur les “moments douloureux”.

Au Bénin, le Président français a accompagné le président béninois, Patrice Talon, lors de la visite d’une exposition consacrée aux trésors royaux d’Abomey, dérobés par la France il y a 139 ans et restitués en novembre 2021. En Guinée-Bissau, il a annoncé l’ouverture d’une école française et la mise en place d’un programme d’échanges sportifs, conformément à l’importance accrue qu’il accorde à la diplomatie culturelle.

Les efforts fournis lors de ces trois visites pour préserver l’influence de la France étaient également évidents. Compte tenu de la diminution de la présence des troupes françaises au Mali, Paris cherche de nouvelles options militaires et espère les trouver auprès des hôtes de Macron. Au Bénin, le président français a donc parlé de sécurité, tandis qu’à Yaoundé il a réaffirmé que la France restait attachée à la sécurité du continent.

En Guinée-Bissau, Macron a déclaré que la France devait « contribuer à la lutte contre le terrorisme partout dans la région ».

De mon point de vue, Macron se sert de la demande de plus en plus pressante des sociétés africaines pour une décolonisation plus fondamentale comme d’un prétexte pour continuer à exercer une influence sur le continent.

Corriger les erreurs de l'histoire coloniale

Le projet de justice décoloniale a récemment été évoqué par d’autres anciennes puissances coloniales pour redorer leur image en Afrique. La Belgique a récemment restitué une dent de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo, 61 ans après avoir autorisé son assassinat.

Corriger les erreurs commis pendant la colonisation est devenu un moyen populaire pour les gouvernements du Nord de mettre en pratique leur diplomatie en Afrique. Dans le passé, des appels étaient lancés en faveur de nouvelles relations et de l’oubli du passé colonial. Aujourd'hui, les chefs d’État affichent leur volonté d’assumer les crimes coloniaux. Le Secrétaire d’État américain Antony Blinken, par exemple, a souligné la nécessité de devenir « des partenaires égaux » et de reconnaître qu'il existe

des générations d’Africains dont le destin a été forgé par les puissances coloniales.

À mon avis, c’est une façon intelligente d’inverser le scénario mis au point par les Russes et les Chinois qui soulignent qu’ils n'ont jamais colonisé ce continent, un argument déjà avancé dans les années 1960 lorsque Zhou Enlai et Leonid Brejnev ont visité l’Afrique.

Dans sa tentative de réécrire ce récit, Macron est allé jusqu’à désigner la Russie comme « l’une des dernières puissances coloniales impériales » pour son invasion de l’Ukraine.

Tout cela fait partie du revirement cynique de Macron sur la décolonisation, sa version tendant à réparer les préjudices du passé tout en faisant reculer la cause de la décolonisation par l’intervention.

Un intérêt renouvelé pour l’Afrique

Ce qui différencie la France des États-Unis et de la Belgique, c'est que l’Élysée tente de contrebalancer une position militaire en déclin au Mali. Ses troupes quittent le pays et sont remplacées par des mercenaires russes, le fameux groupe Wagner.

La France est intervenue dans le nord du Mali en 2013 avec l’Opération Serval. Paris a également fait appel aux capacités et aux formations supplémentaires des nations comme la Belgique et la Suède avec pour objectif de repousser les combattants islamiques au Sahel.

La logique de guerre froide qui a été imposée à ce voyage est, toutefois, beaucoup trop simpliste. Elle ne tient pas compte de la politique régionale de l’Afrique de l’Ouest, où la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ressent de plus en plus le besoin de prendre des mesures contre les coups d’État qui ont frappé la région : le Mali en août 2020 et mai 2021, la Guinée en septembre 2021, le Burkina Faso en janvier 2022 et la tentative ratée de coup d’État en Guinée-Bissau en février 2022.

Bien plus que l’intervention en Ukraine, les coups d’État en Afrique de l’Ouest expliquent également ce qui a amené Macron en Guinée-Bissau, le pays qui a accédé à la présidence tournante de la CEDEAO en juillet. Cette organisation a par ailleurs levé ses sanctions lorsque la junte malienne a promis d’organiser des élections en février 2024.

La CEDEAO a également réussi à trouver un accord avec la junte militaire du Burkina Faso sur un calendrier de transition vers la démocratie. Le retour à un régime civil est prévu pour juillet 2024.

En faisant la double promesse à la Guinée-Bissau d’augmenter les investissements culturels et de lui fournir des armes, Mcron cherche à s’immiscer dans l’organisation régionale, en dépit du fait que la France a « toujours respecté » la position de la CEDEAO sur les questions régionales. Il s’agit simplement pour l’Élysée de couvrir l'Afrique de l'Ouest sans avoir à faire la navette sur le plan diplomatique entre différentes capitales ouest-africaines, lorsqu’il faut protéger un intérêt vital.

Maintenir l’attention sur l’Ukraine et sur la mission de Lavrov était donc dans l’intérêt du président français, qui a par ailleurs été opportunément interrogé sur les raisons pour lesquelles les pays africains n'avaient pas reçu de livraisons d’armes aussi facilement que l’Ukraine. Celles-ci pourraient alors être présentées comme quelque chose de positif, plutôt que comme une politique désastreuse qui ne fonctionne pratiquement jamais.

Comme toujours, ce sont les gens ordinaires qui en paieront le prix, car ils sont contraints de vivre dans des sociétés de plus en plus lourdement armées. Le soulèvement dans le nord du Mali en 2013, que Macron s’efforce maintenant de gérer par le biais de la CEDEAO, était la conséquence de l’intervention militaire de 2011 de la France et de ses alliés en Libye et du renversement ultérieur du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.

Cela pourrait retarder de plusieurs années le développement de ces pays, les empêchant de rejoindre les économies des “Lions d’Afrique” – l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Mozambique, le Nigéria et l’Afrique du Sud – tous évités par Macron.

This article was originally published in English

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