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Maladies infectieuses en Inde : ce fléau qui pourrait aider le développement urbain

À Delhi, sur un chantier urbain en construction, les ouvriers respirent les fumigènes anti-moustiques. Manan Vatsyayana/AFP

Si les sociétés humaines ont été au cœur d’une baisse de mortalité relative au recul des maladies infectieuses pendant presque d’un siècle, nous faisons dorénavant non seulement face au maintien de pathologies que l’on croyait en phase de contrôle (maladies diarrhéiques, tuberculose, peste… etc.) tout en observant depuis une trentaine d’années l’émergence de nouveaux virus (virus du sida, Ebola, dengue, West-Nile virus, H1N1, etc.). Par l’ampleur qu’elles prennent, les épidémies mondiales interrogent les territoires desquels elles émergent.

En Inde, les épidémies de dengue et de chikungunya – deux maladies émergentes transmises par le moustique aedes – s’accélèrent. On estime par exemple à plus de 30 millions le nombre de nouveaux cas de dengue par année tandis que le nombre de cas de chikungunya aurait augmenté de 390 % ces trois dernières années. Selon ces récentes estimations, le sous-continent indien serait le pays concentrant le plus de cas de ces deux maladies.

L’émergence de ces maladies infectieuses est très souvent posée en termes de processus biologiques. Cependant, la lecture de ces épidémies ne peut se réduire à cette dimension : si plusieurs facteurs s’associent dans l’émergence mondiale de ce type de maladie nul doute que l’urbanisation croissante, les mutations urbaines et ses multiples déclinaisons y jouent un rôle crucial.

Moustique urbanophile

Or, le moustique qui transmet la dengue, le virus Zika et le chikungunya est particulièrement urbanophile.

L’accroissement constant de l’épidémiologie de ces virus peut donc être directement perçu comme une conséquence directe de la transition urbaine engagée en Inde depuis une trentaine d’années.

Un autre facteur entre également en compte : l’intensité sans précédent des mobilités humaines dans l’espace urbain. Ainsi, quotidiennement, on compte ainsi plus de 7 millions de voyageurs dans les trains reliant Mumbai à sa périphérie et 2,5 millions dans le métro de la capitale, New Delhi.

Le quotidien de millions d’habitants à Mumbai.

Des études réalisées en collaboration par le CNRS, l’Institut Pasteur et le National Institute of Malaria Research montrent que près de 40 % de la population de New Delhi, à été infecté au moins une fois dans sa vie par le virus de la dengue.

Par ailleurs, nous avons pu mettre en avant une épidémiologie de virus qui touche tous les types de quartiers de la ville, quartiers favorisés –traditionnellement plus protégés- comme quartiers précaires.

Au travers des mobilités journalières croissantes, espaces favorisés/défavorisés, urbains/ruraux, centraux/périphériques sont dorénavant hyper connectés et partagent les risques sanitaires.

Cette ubiquité sociale et spatiale constitue une remise en cause d’un modèle géographique qui pose de lourds problèmes de santé publique, puisque l’on ne sait trop comment et surtout où contrecarrer ces nouvelles maladies qui affectent la totalité de la planète.

Densité des cas de dengue recensés à New Delhi en 2008, 2009 et 2010 (Telle et coll., 2016). Olivier Telle, Author provided

Or, si les évolutions urbaines sont la matrice des maladies infectieuses émergentes, on attend également des territoires qu’ils soient résilients vis-à-vis de ces nouveaux virus. Il apparaît ainsi qu’ils n’ont pas pu s’adapter : non seulement la diffusion des pathogènes continue sur les territoires à risques, mais les émergences et la diffusion de nouvelles pathologies ne cessent de s’accélérer.

Se pose donc la question de la gouvernance de ces maladies et les errements ayant conduit à ce manque de résilience avec comme perspective principale les inégalités de gestions de ces maladies.

Comment agir contre une maladie que l’on ne voit pas ?

Les inégalités sont en effet particulièrement criantes au sein même des grandes villes et également entre elles.

New Delhi est officiellement la ville la plus affectée d’Inde parce qu’un système de surveillance d’envergure y a été implémenté. Plus de 35 hôpitaux sentinelles recensent aujourd’hui le nombre de patients atteints par la dengue ou le chikungunya. C’est sept fois plus qu’à Mumbai ou à Chennai – qui sont donc officiellement peu affectées malgré une diffusion du virus soutenue.

À l’échelle intra-urbaine, ce réseau de surveillance est principalement orienté dans le cœur du tissu urbain. Les maladies infectieuses sont ainsi beaucoup mieux gérées à New Delhi que dans les autres municipalités périphériques pourtant totalement prises dans le tissu métropolitain (Gurgaon, Noida, Faridabad).

Par ailleurs, les petites villes et villes moyennes restent exclues de ce système de surveillance alors qu’elles émergent comme des espaces d’habitation importants (40 % de la population urbaine réside dans des villes de moins de 100 000 habitants).

Le Dr. Santanu Sen, CDC Global, conduit un entretien en 2013 avec des habitants du Jharkhand, une région à majorité tribale du centre-est de l’Inde, où les épidémies de malaria sont fréquentes. Santanu Sen, CC BY-SA

Les territoires et les maladies infectieuses se trouvent ainsi prises dans une forme de « mondialisation locale » impliquant une remise en cause des frontières, une hypermobilité, une diffusion de modèle de ville particulière, etc.

Ce processus s’oppose à une gestion efficace des épidémies : plus les maladies deviennent universelles, plus leurs gestions sont fragmentées, dépendante de l’intégration des territoires et des populations dans les politiques sanitaires nationales, régionales et urbaines.

Adaptabilité et réduction des inégalités : les clefs d’une résilience à long terme

Cette question de la gouvernance des maladies infectieuses est pour l’instant relativement absente des études de santé, d’autant plus quand on les approche au niveau des municipalités.

Si ces administrations sont en première ligne quand il s’agit de contrôler la diffusion des maladies infectieuses, elles sont pourtant complètement délaissées par les scientifiques ou les organismes internationaux lorsqu’il s’agit de mettre en place des solutions viables.

Or, si l’émergence de ces nouvelles maladies est le produit de phénomènes complexes (hausse des mobilités locales/mondiales, réchauffement climatique, évolutions virales…), la résilience des territoires se situe précisément dans leur capacité à maintenir une relative équité spatiale et sociale vis à vis de ce type de maladie.

Des patients atteints de la dengue attendent leur traitement dans un hôpital surpeuplé de Siliguri, au nord du Bengal (est de l’Inde), en novembre 2017. Diptendu Dutta/AFP

En effet, les inégalités de gestions conduisent inexorablement à une diffusion accrue des virus, et ce à n’importe quelle échelle (locale, régionale et mondiale), même dans les espaces a priori les moins vulnérables. Le premier défi majeur de l’Inde et l’ensemble des pays faisant face à ces risques nouveaux sera ainsi de rendre visibles les maladies dans des espaces pour l’instant invisibles.

À l’échelle internationale, seules des coopérations pérennes permettront d’endiguer les épidémies auxquels nous faisons face. L’autre défi de taille est scientifique. Après avoir étudié l’ensemble des facteurs qui agissent sur la maladie – dans une perspective évidemment pluridisciplinaire, il s’agit en effet de proposer des modalités de contrôle adapté à la complexité des villes : dans les mégalopoles, on ne peut agir partout.

Innover avec les villes

En Inde, un projet soutenu par le CNRS et le Center for Policy Research associant virologues, entomologues, géographes et politologues- propose ainsi une double action. Il s’agit dans un premier temps de proposer des modalités de contrôle du moustique innovant utilisable par les services municipaux.

En analysant dans un second temps les mobilités de millions de citoyens (grâce aux big data) et en les comparant avec la diffusion des virus, il s’agira ensuite de pointer les espaces à contrôler. En localisant au mieux ces dispositifs, il est possible qu’ils aient un impact au-delà du niveau local. Pour autant, ces modalités de contrôle n’apparaissent viables qu’à court terme.

En effet, pour contrôler durablement ces maladies, il faudra replacer la santé des habitants au cœur du développement urbain. C’est-à-dire reformer la gouvernance des maladies et donc des centres urbains, développer les infrastructures urbaines dans une perspective plus équitable, et surtout développer la ville pour tous. Bref, investir.

La tâche et le coût sont d’envergure, mais en proposant une nouvelle approche et de nouveaux programmes – la smart cities, ou la ville durable par exemple- peuvent favoriser le contrôle de ces épidémies.

Il s’agira pourtant de s’assurer que ces programmes ne soient pas concentrés aux territoires les plus favorisés, au risque de n’avoir qu’un impact modéré. Considérons ces épidémies comme un fléau, mais aussi comme une chance : dans un contexte ou celles-ci ne reconnaissent plus de frontières administratives et surtout sociales, il est possible que ces maladies infectieuses puissent finalement impacter positivement le développement urbain vers la ville pour tous.

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