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Mali : une étude montre que la chicha est un facteur de propagation du tabagisme chez les jeunes

Un homme s'assoit sur une chaise au bord 'une plage en train de fumer de la chicha.
Un Palestinien fume la chicha sur la plage pendant le dernier coucher de soleil, dans la ville de Gaza, le 31 décembre 2022. Photo : MOHAMMED ABED/AFP via Getty Images

Au Mali, la consommation de la chicha gagne de l'ampleur chez les jeunes, alors qu'elle est plus dangereuse que la cigarette. La chicha ou narguilé est une pipe à eau permettant de fumer une préparation de tabac chauffée grâce à un charbon, dont la fumée est refroidie par un passage dans un récipient d'eau avant d'être inhalé. Le tabac peut être utilisé sous forme de tabamel, mélange comportant de la mélasse additionnée d’arômes, qui se consume avec un charbon. La fumée inhalée est comparable à celle de la cigarette et expose potentiellement les fumeurs aux effets du tabac sur la santé.

Originaire du Moyen-Orient, la chicha se compose de plusieurs parties : une cheminée, un foyer (un bol supérieur), un plateau qui sert de cendrier, un vase (un réservoir à eau), un tuyau et une pipe.

La chicha est souvent une activité sociale pratiquée par un groupe de personnes qui partagent un seul dispositif et prennent tour à tour des bouffées de fumée à travers un embout.

Engouement des jeunes

Les premières références de la consommation de la chicha datent du XVème siècle en Perse (actuel Iran) par le physicien Abu’l-Fath Gilani qui en serait le créateur. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 100 millions de personnes dans le monde consomment la chicha aujourd'hui et son usage est très répandu en Amérique et au Moyen Orient, mais aussi en Afrique. Ce sont les jeunes de moins de 25 ans qui en sont les plus friands.

L’engouement pour ce nouveau mode d’intoxication tabagique a motivé quelques études encore parcellaires portant sur les connaissances, attitudes et comportements des adolescents et jeunes dans la capitale malienne sur cette consommation banalisée au vu et au su des parents.

Ces études conduites par l’équipe du chef de service de la pneumologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) du Point G, le Professeur Yacouba Toloba, ont attiré l’attention des plus hautes autorités maliennes sur les dangers de cette pratique.

Une première étude, menée auprès des scolaires des communes 2 et 3 du district de Bamako, la capitale malienne, a mis en évidence l’ampleur du problème. Cette étude qui a concerné 3012 scolaires (lycées et écoles professionnelles) a été conduite entre février et septembre 2021.

Prédominance féminine

Premiers enseignements : la prévalence de la consommation de la chicha est alors de 71,3 %, avec une prédominance féminine 55,8 % (1199 cas). L’âge moyen est de 17, 31 ans avec des extrêmes de 15 et 21 ans. L’effet de mode est le motif le plus cité avec 53,1 % des cas. La majorité – soit 74,8 % – fume la chicha de temps en temps, et le week-end est la période choisie dans 89,2 % des cas surtout le soir (94,6 % des cas).

Dans 80,8 % des cas, des fumeurs de chicha possède leur propre appareil. Le bar à chicha est le lieu où les jeunes préfère fumer à 66,22 % et la menthe est le parfum préféré pour 38,4 % des personnes interrogées. Plus de la moitié des scolaires fumeurs de chicha, soit 58,1 %, savent que le tabac est dangereux. La toux et l’irritation de la gorge sont les symptômes les plus signalés parmi les fumeurs de chicha.

Une deuxième étude transversale à l'aide d'un questionnaire auto-administré via internet (à travers Google form) pré-testé et validé auprès de 364 jeunes de la commune 4 du district de Bamako a été menée par les tabacolgues du CHU du point G et du CHU mère-enfant LUXEMBOURG de Bamako. Dans ce travail, 13 % ne savent pas que la chicha est responsable de maladies respiratoires. Dans cette population, nous avons retrouvé 19,23 % de consommateurs réguliers.

La tranche d’âge de 15 à 20 ans et celle de 25 à 30 consomment le plus avec respectivement des taux de 62,86 % et 30 %. Ils consomment davantage dans les bars et clubs de chicha (46 %). Les effets ressentis sont les vertiges (21,43 %), l’irritation de la gorge (15,71 %), la toux (14,29 %) et la dyspnée (5,71 %). Plus de la moitié des jeunes pensent que l’eau du réservoir filtre les substances toxiques et ne savent pas que la chicha est plus dangereuse que la cigarette.

Près de 25 % affirment avoir utilisé les boissons alcoolisées à la place de l’eau dans le réservoir. L’embout n’est pas changé et est partagé avec les autres consommateurs dans 95 % des cas. Or la moitié des consommateurs ne savent pas que cet embout est pourvoyeur de la transmission de certaines maladies : herpès, hépatite, tuberculose, Covid-19, etc.

Ignorance des dangers

Ces enquêtes ont mis en évidence une connaissance limitée des jeunes de Bamako sur les dangers liés à la consommation de la chicha. Elle constitue un véritable fléau pour la santé des jeunes et des adolescents. Elle est dangereuse par ses effets sur la santé de façon générale.

Il est important de rappeler que lors de la combustion de la chicha, comme celle de la cigarette, près de 4000 substances chimiques sont émises dont la nicotine, le goudron, le monoxyde de carbone, le cobalt, le chrome et le plomb. Beaucoup de ces substances sont cancérigènes. La consommation de la chicha a plusieurs risques sur la santé notamment : les maladies respiratoires (la bronchite chronique, la bronchopneumopathie chronique obstructive, le cancer du poumon); les maladies cardio-vasculaires, etc.

Tirant les leçons de ces études, depuis le 15 août 2022, les autorités maliennes ont interdit l'importation, la distribution, la vente et l'usage de la chicha sur toute l’étendue du territoire.

L'arrêté dispose ce qui suit :

Toute personne qui se rend coupable de la production ou l'importation de la chicha ou tout autre appareil similaire est punie d'un emprisonnement de 1 à 10 jours et d'une amende de 300 à 18 000 francs CFA (0,5 à 29 dollars US).

Par ailleurs, toute personne reconnue “coupable de la commercialisation de la chicha ou tout autre appareil est punie d'une amende de 300 à 10 000 francs CFA (0,5 à 16 dollars)”. De plus, tout individu qui se rend coupable de l'usage de la chicha ou tout autre appareil est puni d'un emprisonnement de 1 à 10 jours et d'une amende de 300 à 10 000 francs CFA.

Aujourd’hui, l’Office central des stupéfiants (OCS) est à pied d’œuvre pour le respect strict de l’arrêté interministériel sur l’interdiction de la chicha. Dans ce cadre, beaucoup de commerçants, des responsables de bar et des consommateurs ont été arrêtés et sanctionnés selon la réglementation en vigueur. Ces arrestations prouvent que la consommation de la chicha continue de manière clandestine.

Avec l’arrêté interministériel et l’implication de l’OCS, ensemble, nous pensons vaincre ce fléau sur le territoire malien. D’autres études sont envisagées pour évaluer l'impact de la décision d'interdiction de la consommation de la chicha.

Par ailleurs, les études menées à Bamako ont permis de formuler les recommandations suivantes :

  • l'organisation régulière de campagnes de lutte contre la consommation de chicha;

  • le suivi scrupuleux de l’application des dispositions de la loi 033 du 12 juillet 2010 portant sur la restriction de la publicité et de l’usage du tabac au Mali.

Les résultats de nos travaux prouvent à suffisance que ce mode de consommation banalisée du tabac constitue un véritable problème de santé publique et sa prévalence est non moins importante dans la population juvénile.

Un décret présidentiel a fixé les modalités de restriction de la publicité et de l’usage du tabac au Mali. En plus de ce decret, le Mali a ratifié en 2005 la Convention-cadre de l'OMS, le premier traité anti-tabac négocié sous les auspices de l’Organisation mondiale de la Santé.

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