Le Mexique a franchi une grande étape en élisant une première femme à la présidence. Dans une société à qui l’on doit le mot « machisme », il s’agit d’un changement tectonique.
La présidente désignée, Claudia Sheinbaum, hérite d’une charge difficile. Car les cartels de la drogue, l’influence croissante de la narcopolitique et la montée en flèche de la violence envers les femmes menacent la deuxième économie au sud du Rio Grande.
Depuis cinq ans, le nombre de meurtres dépasse les 30 000 annuellement. Et depuis la création d’un registre des disparitions en 1962, leur nombre excède les 100 000 — une estimation sans doute conservatrice.
Ils sont nombreux à croire que cette spirale de violence doit beaucoup au non-interventionnisme en matière de sécurité du président sortant, Andrés Manuel López Obrador. Son message de réconciliation — mettre fin aux effusions de sang par un accord avec certains des cartels les plus puissants et les plus violents — n’a donné aucun résultat tangible.
En fait, cette politique aurait plutôt permis aux groupes criminels de renforcer leur emprise sur la société. Jamais n’avaient-ils joué un tel rôle dans une élection — à l’approche du scrutin de dimanche, ils ont assassiné plusieurs dizaines de candidats, ainsi que des membres de leur famille et de leur équipe de campagne. Deux personnes ont même été tuées en plein bureau de vote.
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Mais c’est toute la population qui a subi des niveaux record de violence et de crime — et de manière disproportionnée, les femmes. Elles sont les premières victimes d’une idéologie ambiante de masculinité toxique et de machisme.
Or , cette idéologie aurait été légitimée et exacerbée par le manque d’intérêt de l’administration du président López Obrador en matière de violence sexiste, contre laquelle il a consacré fort peu de ressources.
Durant son mandat, le président a souvent suscité la colère des groupes féministes en émettant de fréquents commentaires sexistes. En 2020, il avait réagi à un mouvement national féminin créé pour dénoncer la situation en les accusant de servir de simple façade à ses opposants « conservateurs ».
Chaque année, plus de 3 000 Mexicaines sont assassinées. Un quart de ces meurtres sont considérés comme des féminicides (c’est-à-dire qu’elles ont été tuées parce que femmes), mais elles comptent également pour le gros des enlèvements, des disparitions et de la traite des personnes au Mexique. Et leur nombre est sans doute beaucoup plus élevé en raison du nombre important de cas non signalés ou négligés par la police.
L’impunité générale vient aggraver une situation où les auteurs de féminicides savent qu’ils ont peu de chances d’être traduits en justice. En 2018, par exemple, 93 % des crimes commis dans le pays n’avaient fait l’objet d’aucun signalement ou enquête. L’apathie d’institutions par ailleurs sous-financées et la faiblesse des protections juridiques exposent les Mexicaines de tout âge à un risque accru de violence.
Il est urgent de s’attaquer à ce problème. L’élection de Claudia Sheinbaum au sommet de la hiérarchie politique dirigera désormais le projecteur sur cette situation.
Durant la campagne électorale, elle a souvent répété qu’elle se considérait comme une féministe, en ajoutant : « Ce que je n’accepte pas, c’est la violence. Nous ne pouvons accepter aucune forme de violence ».
En tant que femme, féministe déclarée et technocrate engagée désireuse d’améliorer la condition des Mexicaines, Claudia Sheinbaum aura un rôle bien précis à jouer pour restaurer l’équité en matière de justice en faveur des femmes.
L’éléphant dans la pièce
Selon ses détracteurs, Claudia Sheinbaum est une candidate de la continuité dans l’ombre de son prédécesseur, lequel joui t d’un niveau d’approbation parmi les plus élevés en Amérique latine. Tout au long de la campagne, soutiennent-ils, elle est restée vague sur ses politiques en matière de sécurité.
Cependant, même si elle n’a pas abordé la question de front, il serait injuste de suggérer qu’elle n’y a pas réfléchi. Ses antécédents donnent un éclairage bien différent.
Après son investiture en tant que mairesse de Mexico en décembre 2018, le taux d’homicides dans la capitale a chuté de moitié en moins de cinq ans. Elle attribue cette baisse de la violence à des politiques efficaces qui ont amélioré le travail de la police et assuré une meilleure coordination avec les procureurs.
Les Mexicains ont élu une femme non pour son genre, mais parce qu’ils espèrent qu’elle saura renverser une situation intolérable. Bien qu’elle se soit affichée comme continuatrice des politiques de son prédécesseur, Claudia Sheinbaum s’est engagée à réduire le taux d’homicides pour 100 000 habitants de 23,3 à 19,4 d’ici 2027.
La tâche sera très ardue. Mais elle doit réussir là où son prédécesseur a échoué.