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Moderniser la force de dissuasion américaine : à quel prix ?

Un officier américain transportant les codes permettant d'activer le feu nucléaire. Joshua Roberts/Reuters

Alors que Barack Obama se rend ce vendredi à Hiroshima (Japon) pour une visite historique, les États-Unis font face à un choix crucial : celui qui a trait à la modernisation de leur arsenal nucléaire. Doit-on dépenser trois milliards de dollars (2,68 milliards d’euros) pour doter d’un système plus sophistiqué chacune des milliers de têtes nucléaires qui composent la force de dissuasion américaine ? Ou faut-il conserver juste de quoi dissuader un adversaire potentiel de lancer une attaque nucléaire pour mieux investir les sommes ainsi dégagées dans d’autres moyens destinés à améliorer la sécurité de notre pays ? La première option nous permet de prendre l’initiative et de mener une guerre nucléaire. La seconde de l’empêcher. Deux perspectives très différentes, donc.

En tant que physiciens ayant étudié le processus de fission nucléaire et les explosions atomiques, nous sommes parfaitement conscients du potentiel dévastateur de ces armes : seule une centaine d’entre elles est nécessaire pour anéantir la population des principaux centres urbains de l’adversaire. Cette perspective est suffisante pour dissuader n’importe quel groupe dirigeant un tant soit peu rationnel de passer à l’attaque, alors qu’à l’inverse aucune quantité d’armes ne dissuadera jamais un leader fou. Par ailleurs, une guerre de type nucléaire implique le recours à un nombre très élevé de missiles visant de multiples cibles militaires et industrielles.

Les limites du chantage nucléaire

Les États-Unis et la Russie possèdent actuellement environ 7 000 ogives chacun, essentiellement pour des raisons liées à l’histoire. C’est plus de 13 fois ce que détiennent les sept autres puissances nucléaires prises tout ensemble. À l’époque où l’URSS était perçue comme une menace directe pour la sécurité de l’Europe du fait de sa supériorité sur le plan conventionnel, les États-Unis souscrivaient à l’idée de recourir à l’arme nucléaire en cas de besoin. Nous étions alors prêts non pas seulement à dissuader les autres de l’utiliser mais même à déclencher une guerre nucléaire en utilisant nous-mêmes ce type d’armes dans la bataille.

Mais les temps ont changé, et l’OTAN est devenue la principale force non-nucléaire en Europe. Toutefois, d’autres arguments demeurent en faveur du maintien des capacités nucléaires à leur niveau actuel, mettant en avant la pertinence de la notion de « compellance » (« chantage nucléaire ») ou la nécessité de pouvoir recourir à la menace d’une attaque atomique pour arracher des concessions. Cette stratégie a été utilisée à plusieurs occasions. Un exemple : le président Eisenhower a menacé d’y recourir afin de clore les négociations mettant fin à la guerre de Corée.

Dans le contexte actuel, où les technologies du nucléaire sont plus facilement accessibles, ce type de « chantage nucléaire » n’est plus aussi efficace. Si une nation dépourvue de l’arme atomique se sent menacée par une puissance nucléaire, elle peut tenter de s’en doter, ou compter sur des pays alliés qui la possèdent déjà. Ainsi ce sont les menaces nucléaires des États-Unis qui ont poussé la Corée du Nord à s’équiper en la matière ; ce qui – c’est un euphémisme – n’était pas le résultat escompté.

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un examine une ogive à la suite d’un test de simulation. Korean Central News Agency/Reuters

Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de menaces visant les États-Unis et leurs alliés contre lesquelles le chantage nucléaire n’opère pas. L’arme atomique n’a pas empêché le 11 septembre, pas plus qu’elle n’a aidé en quoi que ce soit Washington dans les conflits en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Libye, ou dans la guerre contre les groupes terroristes, d’Al-Qaeda à l’État islamique.

Ce type de constats pose la question de savoir si l’amélioration de la sécurité des États-Unis passe par le renoncement à la notion de compellance et, à l’inverse, par l’engagement de ne pas recourir à l’arme nucléaire en premier (le concept du « non-emploi en premier »). Autrement dit, le recours une frappe nucléaire aurait lieu uniquement en réponse à une première attaque. Cette approche purement dissuasive est déjà celle de deux des principales puissances nucléaires, la Chine et l’Inde.

Or il est tout à fait possible de mettre en œuvre ce type stratégie avec un arsenal bien plus réduit, et donc moins coûteux, libérant ainsi des sommes substantielles pour mener d’autres investissements visant à améliorer notre sécurité nationale. Une telle posture, moins menaçante, pourrait du même coup réduire les risques de prolifération. Jusqu’ici, huit pays ont développé leur propre programme nucléaire militaire à la suite du bombardement d’Hiroshima, et tous – sauf la Russie – sont parvenus à la conclusion que la dissuasion requiert tout au plus quelques centaines de têtes nucléaires. Mieux, quelques centaines de ces ogives peuvent apparaître plus dissuasives que quelques milliers, sachant que des frappes massives pourraient être assimilées à un acte d’autodestruction, déclenchant une décennie d’hiver nucléaire à l’échelle globale qui tuerait la plupart des Américains quand bien même aucune bombe n’aurait explosé sur leur territoire.

« Non-emploi en premier » ou « payer pour voir »

Quels que soient les points de vue sur la doctrine du « non-emploi en premier », cette question a des implications énormes sur les dépenses militaires. Si les États-Unis adoptaient une telle doctrine, il ne serait plus indispensable de déployer plus de missiles qu’il n’est nécessaire pour rendre la dissuasion efficace. L’économie réalisée serait de 4 millions de dollars à l’heure sur les trente prochaines années, si l’on en croit les estimations du gouvernement lui-même.

Le nucléaire militaire véhicule des enjeux extrêmement complexes. Mais l’une des questions les plus cruciales est d’une simplicité biblique : notre objectif est-il d’éviter à tout prix une guerre nucléaire, ou devrions-nous investir davantage pour maintenir notre capacité à la déclencher ? Pas d’emploi en premier, ou payer pour voir ?

This article was originally published in English

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