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Donny assis dans un bus, avec des panaches de rennes en arrière plan
L'auteur et principal comédien de « Mon petit renne », Richard Gadd, présente, dans cette nouvelle série de Netflix, sa véritable histoire de victime d'abus et de harcèlement. (Netflix)

« Mon petit renne » : un regard nouveau sur les victimes masculines de violence sexuelle

Mon petit renne, Baby Reindeer en anglais, est une nouvelle série captivante produite par Netflix. Elle est basée sur la véritable histoire de l’acteur écossais Richard Gadd, qui avait déjà transposé sa vie dans une pièce de théâtre acclamée.

La série se penche sur une série d’expériences éprouvantes que traverse le personnage principal, Donny (une version fictive de Gadd), dont la vie s’effondre après qu’il est devenu la cible d’une femme qui le harcèle, Martha (jouée par Jessica Gunning).

Mon petit renne a captivé le public en abordant avec franchise les violences sexuelles, le harcèlement et la toxicomanie dont peuvent être victimes les hommes. La série a également mis en évidence le rôle crucial de la culture populaire lorsqu’elle aborde des questions socialement complexes et des sujets particulièrement délicats.

Le succès de Netflix est le dernier en date d’une quantité de plus en plus importante d’émissions de télévision à caractère social qui offrent une forme de divertissement éducatif (ou « edutainment »). Ce qui différencie toutefois la création de Gadd des autres, c’est qu’elle met en lumière les expériences de violence sexuelle subies par les hommes, souvent négligées (à la fois dans la culture populaire et dans la vie réelle).

Faire sortir la victime masculine de l’ombre

Des statistiques récentes suggèrent que les femmes sont presque trois fois plus susceptibles de subir une agression sexuelle que les hommes. Il est donc important et compréhensible que les discussions sur les agressions sexuelles et la manière de les combattre donnent la priorité au point de vue féminin.

Le mouvement #MeToo, qui entre autres avancées notables a encouragé les survivantes à parler ouvertement de leurs expériences, a toutefois eu pour conséquence, selon la littérature sur le sujet, d’invisibiliser davantage encore le récit des hommes en mettant l’accent sur la dynamique femme victime/homme coupable.

Cela se reflète également dans la culture populaire, où les histoires abordant des victimes de violences sexuelles masculines sont beaucoup moins nombreuses et tendent à attirer moins l’attention.

Mon petit renne va à l’encontre de cette tendance en devenant l’une des émissions les plus regardées sur Netflix. La série est poignante et puissante, car elle explore les effets psychologiques du harcèlement et des violences sexuelles sur Donny. Les interactions de ce personnage avec Martha, une femme qui le harcèle, l’entraînent dans une spirale troublante de vulnérabilité et de méfiance.

La série dépeint de manière réaliste la détresse associée au harcèlement.

Le parcours de Donny aborde le consentement, les effets des violences sexuelles et les pressions sociétales exercées sur les hommes afin qu’ils se conforment aux normes traditionnelles de la masculinité, ce qui dicte souvent leurs réponses aux abus.

Je retiens cet exemple : alors que la traque commence, Donny se laisse aller à des plaisanteries souvent sexuelles sur sa relation avec Martha, qui se présente tous les jours au pub où il travaille pour lui parler. Bien qu’elle le rende de plus en plus nerveux et que le ton de ses courriels incessants soit de plus en plus sexuel, Donny se sent obligé de « faire partie des gars » devant ses collègues.

Donny derrière un bar tandis que Martha lui parle assise sur un tabouret
Les expériences d’abus de Donny influencent la façon dont il gère Martha et son harcèlement. (Ed Miller/Netflix)

Or, comme le montrent l’expérience de Gadd et la récente condamnation de la harceleuse de Harry Styles, les harceleurs ne sont pas toujours des hommes.

La culpabilité et les mythes relatifs au viol

En plus de mettre en lumière ce que vivent les hommes victimes de harcèlement, la série explore de manière vivante le traumatisme et la culpabilité des survivants. Elle le fait à travers l’introspection de Donny et son comportement de plus en plus destructeur après son viol par son « mentor », Darrien (joué par Tom Goodman-Hill).

Tout au long de la série, Donny tente d’accepter les violences qu’il a subies en réfléchissant à la manière dont ces expériences ont influencé la façon dont il a géré les événements ultérieurs de sa vie, y compris sa relation avec Martha.

On le voit clairement dans les scènes où Donny fait face à sa confusion et à sa douleur en essayant d’avoir et de cacher une relation avec une femme transgenre, Teri. Bien qu’il affirme aimer Teri, ses actions — qui consistent notamment à lui mentir sur son identité et à la fuir en public — sont dictées par la honte et la peur.

Ces diverses contradictions attestent de sa lutte intérieure avec son identité sexuelle et de ses conflits d’estime de soi. Les recherches ont montré que de tels sentiments sont fréquents à la suite de violences sexuelles.

Une autre problématique qu’aborde très efficacement Mon petit renne concerne les interactions entre les victimes de crimes sexuels et la police. La série attire de cette façon l’attention des téléspectateurs sur certains mythes du viol. On y voit par exemple la victime être réduite au silence tandis qu’on interroge et évalue ses actions en lui demandant si elle a fait quoi que ce soit pour encourager son agresseur.

Dans la scène d’ouverture, entre autres, le policier à qui Donny signale les abus dont il est victime lui demande immédiatement s’il a une relation avec Martha et pourquoi il n’a pas agi plus tôt. Les spectateurs sont de fait invités à reconsidérer certaines idées préconçues sur les abus sexuels, ainsi qu’à prendre le pouls des obstacles auxquels les victimes sont confrontées lorsqu’elles s’adressent aux divers organes de justice pénale.

Mon petit renne est un exemple de « ludo-éducatif » qui apporte un souffle nouveau au dialogue public sur les causes de la violence sexuelle et les réponses qu’il convient de leur apporter. Il souligne le pouvoir dont dispose la culture populaire afin d’interroger les croyances dominantes. Elle a également le pouvoir de sensibiliser les téléspectateurs aux diverses luttes, souvent cachées, qui façonnent la vie de ceux qui subissent des violences à caractère sexuel.

Acclamée mondialement et largement écoutée par un public de partout à travers le globe, la série de Richard Gadd est un rappel poignant de l’importance des récits inclusifs et réalistes traitant des violences sexuelles. Ces œuvres permettent de faire entendre la voix des différentes victimes, indépendamment de leur sexe et de leur sexualité.

This article was originally published in English

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