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Un bâtiment dont la façade porte l'inscription "Boeing".
En 2019, une douzaine d’employés de Boeing avaient exprimé des inquiétudes quant au processus de fabrication et de sécurité de l’entreprise. (Shutterstock)

Mort d’un lanceur d’alerte chez Boeing : la culture corporative nord-américaine montrée du doigt

Le décès suspect de John Barnett, retrouvé mort dans sa voiture le lendemain du premier jour de son témoignage dans un procès impliquant son ex-employeur, Boeing, relance les spéculations quant aux normes de sécurité et de fabrications de l’avionneur.

L’ex-directeur du contrôle qualité, qui avait travaillé 32 ans à l’usine de North Charleston, en Caroline du Sud, était sorti de l’obscurité en 2019 alors qu’il avait témoigné dans le New York Times. Avec une douzaine d’employés et d’ex-employés, il dénonçait des processus de fabrication qui priorisaient la vitesse plutôt que la sécurité du public.

Bien que Boeing nie ces allégations, des audits récents ont confirmé l’existence de problèmes de contrôle de la qualité. Une enquête récente de l’Administration fédérale de l’aviation (FAA) révèle plusieurs problèmes de non-conformité.

Depuis quelques semaines, les médias ont rapporté une série de problèmes touchant des avions Boeing : une porte arrachée en plein vol le 5 janvier, un atterrissage d’urgence le 7 mars, et 50 blessés en raison d’une soudaine perte d’altitude le 11 mars.

Le coût de la divulgation

La mort de John Barnett correspond, malheureusement, à un schéma bien établi. Les lanceurs d’alertes qui sortent de l’ombre doivent à la fois subir un examen public exigeant tout en étant confronté à des réactions très dures.

Selon une étude récente, 82 % des divulgateurs subissent des représailles de la part de leur employeur, y compris le harcèlement ou le licenciement.

Un motocycliste passe devant un building affichant Boeing devant son enceinte
Bien que Boeing nie les allégations de pratiques de travail dangereuses, des audits récents ont confirmé l’existence de problèmes de contrôle de la qualité. (Ellen M. Banner/The Seattle Times via AP)

La divulgation est toujours bouleversante pour les lanceurs d’alerte eux-mêmes, puisqu’ils y perdent leur appartenance à toute une communauté. La culture d’entreprise complique souvent ce choix entre devoir et loyauté. Pour bien des gens, investis émotionnellement dans cette culture, emploi et identité ne font qu’un. Dans un lieu de travail qui structure nos vies et traversé de drames quotidiens, les valeurs professionnelles et personnelles se confondent.

Si bien que toute sortie publique contre son employeur est vécue comme un déchirement. Elle revient à déclarer publiquement que l’on se sépare d’une communauté qui, en partie du moins, agit de manière contraire à l’éthique, voire criminelle.

Ce geste induit un sentiment de trahison chez leurs anciens collègues dont l’identité est pareillement liée à la même culture. Et le public en rajoute souvent en critiquant les dénonciateurs comme des êtres déloyaux en quête d’attention.

Une fausse dichotomie

Mais cette caractérisation opposant devoir et loyauté est injuste. Les recherches montrent que de nombreux lanceurs d’alerte continuent d’entretenir leur sentiment d’identité et d’appartenance envers leur communauté de travail malgré tout le ressentiment qu’ils subissent.

En fait, dans bien des cas, c’est justement parce qu’ils sont très attachés aux idéaux de cette communauté et aux normes professionnelles qu’ils ont fait leurs révélations. Pour eux, leurs obligations envers le public et leur loyauté professionnelles ne font qu’un, ce qui suggère qu’opposer les deux est une fausse dichotomie.

Ce qui semble être bien le cas de John Barnett. En cherchant à protéger le public, il espérait aussi un avenir meilleur pour ses collègues et pour l’entreprise à laquelle il avait tout donné.

Suite à son décès, ses avocats ont déclaré :

John était un homme courageux, honnête et d’une grande intégrité. Il tenait beaucoup à sa famille, à ses amis, à la société Boeing, à ses collègues de Boeing, aux pilotes et aux personnes qui volaient sur des avions Boeing. Nous avons rarement rencontré quelqu’un d’aussi sincère et d’aussi franc.

L’ire et martyre

En accédant soudainement à la notoriété, les lanceurs d’alerte doivent parfois subir la colère populaire. Pris dans un écheveau où les valeurs culturelles, sociales et professionnelles s’entremêlent, le public en fait volontiers des martyrs ou des mouchards.

Bien des gens considèrent les dénonciateurs comme des cancaniers, des cafards ou des indics qui balancent leur employeur et leurs collègues pour l’argent, la reconnaissance ou la publicité.

La Loi Dodd-Frank de 2010 assure aux lanceurs d’alerte une prime équivalant à 10 à 30 % des sanctions pécuniaires perçues. C’est ainsi qu’en 2023, la Commission américaine des valeurs mobilières a versé une récompense record de 279 millions de dollars à un informateur anonyme. Cette politique, qui incite les témoins à s’exprimer et protège leur confidentialité, a cependant pour revers de donner du grain à moudre sur ceux qui spéculent sur les motivations des lanceurs d’alerte.

Un avion assemblé par des travailleurs dans une usine
Des Boeing 787 à l’assemblage aux installations de North Charleston, en Caroline du Sud. (Gavin McIntyre/The Post And Courier via AP, Pool)

Inversement, d’autres idéalisent les lanceurs d’alerte tels des héros s’exposant personnellement pour protéger le public et l’éthique. Des films comme « The Report », « Pentagon Papers », « Dark Waters » ou « La fille de Brest » dépeignent les lanceurs d’alerte comme des héros passionnés qui s’opposent à d’infâmes conspirations. Mais la réalité est beaucoup plus trouble.

Prenez le cas de cette greffière municipale de Dixon en Illinois, Kathe Swanson, qui a dénoncé sa collègue, la trésorière et contrôleuse Rita Crundwell, qui avait détourné 54 millions de dollars sur plus de 20 ans pour financer un train de vie extravagant. Kelly Richmond Pope, professeure de comptabilité à l’Université DePaul à Chicago, qualifie son geste d’héroïque. Kathe Swanson, écrit-elle, n’a pas dévoilé l’affaire pour la gloire ni pour une récompense, mais parce que c’était la bonne chose à faire.

Des comptes à rendre

Dans notre culture, les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel en obligeant les organisations et les puissants à rendre des comptes.

L’Association américaine des examinateurs certifiés de fraude (ACFE), dans son rapport de 2022 sur les fraudes du personnel, a révélé que 42 % des signalements de fraude en Amérique du Nord découlent d’une dénonciation — dont une bonne moitié est attribuable au personnel.

Les lanceurs d’alerte jouent un rôle crucial dans la reddition de compte, l’imputabilité et l’intégrité de nos institutions. Mais nous pourrions les y aider davantage en soutenant leurs efforts et en reconnaissant les risques personnels et professionnels qu’ils prennent.

Nous pourrions ainsi entretenir une culture qui valorise la transparence, la conduite éthique et la responsabilité et, ce faisant, renforcer nos institutions.

This article was originally published in English

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