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Nobel de chimie : les boîtes quantiques témoignent de notre capacité à bâtir la matière à l’échelle atomique

five glowing glass flasks on a darkened table
Les boîtes quantiques fluorescent de plaisir à l'annonce du prix Nobel de chimie 2023. Jonathan Nackstrand/AFP via Getty Images

Le prix Nobel de chimie 2023 n’est pas le premier Nobel décerné pour la recherche en nanotechnologies. Mais c’est sans doute leur application la plus colorée, qui est célébrée cette année.

Le prix récompense Moungi Bawendi, Louis Brus et Alexei Ekimov pour la découverte et le développement de boîtes quantiques – souvent appelées « quantum dots ». Depuis de nombreuses années, ces particules construites avec précision et de taille nanométrique – leur diamètre ne dépasse pas quelques centaines de millièmes de la largeur d’un cheveu humain – sont mises en avant dans toutes les présentations sur les nanotechnologies. En tant que chercheur et conseiller scientifique sur les nanotechnologies, j’utilise ces images régulièrement lors de discussions avec des développeurs technologiques, des décideurs politiques, des militants, entre autres, sur les promesses et les dangers des nanotechnologies.

Les nanotechnologies sont antérieures aux travaux de Bawendi, Brus et Ekimov sur les points quantiques : le physicien Richard Feynman a spéculé sur ce qui pourrait être possible grâce à l’ingénierie à l’échelle nanométrique dès 1959, et des ingénieurs comme Erik Drexler ont spéculé sur les possibilités de fabrication à l’échelle atomique dans les années 1980. Mais le trio de lauréats du prix Nobel de cette année a fait partie des premiers à mettre en pratique les percées réalisées en science des matériaux, et à réaliser la première vague de nanotechnologies modernes.

Les points quantiques sont fortement fluorescents : ils absorbent de la lumière d’une couleur particulière, et réémettent cette énergie presque instantanément… dans une autre couleur. Un flacon de boîtes quantiques, lorsqu’il est éclairé par une lumière blanche (à large spectre), brille d’une seule couleur vive. Mais ce qui les rend vraiment spéciaux, c’est que cette couleur est déterminée par leur taille : s’ils sont petits, la fluorescence est d’un bleu intense ; plus grands, mais toujours à l’échelle nanométrique, leur couleur vire au rouge.

diagramme de cercles colorés de différentes tailles
La longueur d’onde de la lumière émise par une boîte quantique dépend de sa taille. Maysinger, Ji, Hutter, Cooper, CC BY

Cette propriété donne des images saisissantes de rangées de flacons contenant des points quantiques de différentes tailles, allant d’un bleu vif à une extrémité à un rouge vibrant à l’autre, en passant par des verts et des oranges. Cette démonstration des possibilités des nanotechnologies est tellement accrocheuse qu’au début des années 2000, les boîtes quantiques sont devenues l’emblème de l’étrangeté et de la nouveauté des nanotechnologies.

Mais, bien sûr, les boîtes quantiques ont d’autres attraits. Elles sont le siège d’interactions uniques entre la matière et la lumière – des interactions que l’on peut contrôler et exploiter en modifiant l’architecture de ces nano-objets – en jouant sur leur taille, leur forme, ou leur structure par exemple – plutôt qu’en modulant les liaisons chimiques entre les atomes ou molécules, comme en chimie classique. La distinction est importante et se trouve au cœur des nanotechnologies modernes.

Oublier un peu les liaisons chimiques pour s’appuyer sur la physique quantique

Les longueurs d’onde de la lumière qu’un matériau absorbe, reflète ou émet sont généralement déterminées par les liaisons chimiques qui lient les atomes qui le constituent. En jouant sur la chimie d’un matériau, on peut moduler ces liaisons chimiques et obtenir les couleurs souhaitées. Par exemple, certains des premiers colorants ont été dérivés d’une substance transparente, comme l’aniline, transformée par des réactions chimiques pour obtenir la teinte souhaitée.

C’est un moyen efficace de travailler avec la lumière et la couleur, mais cela conduit aussi à des produits qui s’estompent avec le temps car ces liaisons se dégradent. Cette stratégie implique aussi souvent l’utilisation de produits chimiques qui sont nocifs pour l’homme et l’environnement.

Les boîtes quantiques fonctionnent différemment. Plutôt que de dépendre de liaisons chimiques pour déterminer les longueurs d’onde de la lumière qu’ils absorbent et émettent, ils s’appuient sur de minuscules agrégats d’atomes semi-conducteurs. C’est la physique quantique de ces amas d’atomes qui détermine les longueurs d’onde de la lumière émise, en fonction de la taille de l’agrégat.

Pouvoir ajuster le comportement d’un matériau en modifiant seulement sa taille change vraiment la donne. En ce qui concerne l’intensité et la qualité de la lumière émise, plus facilement ajustable, mais aussi pour la résistance au blanchiment ou à la décoloration, pour dégager des moyens de les adapter à de nouvelles applications et – s’ils sont conçus intelligemment – pour gérer leur potentielle toxicité.

Bien entendu, peu de matériaux sont totalement non toxiques, et les boîtes quantiques ne font pas exception à la règle. Les premières boîtes quantiques étaient souvent basées sur le séléniure de cadmium, par exemple, dont les composants sont toxiques. Cependant, la toxicité potentielle des points quantiques doit être contrebalancée par les probabilités de rejet dans l’environnement et d’exposition des êtres vivants, et comparée avec la toxicité des matériaux alternatifs.

des gesn marchent devant des écrans colorés lors d’un salon
Les boîtes quantiques, ou quantum dots (QD), font partie de certains objets technologiques, comme les télévisions. Soeren Stache/picture alliance via Getty Images

Depuis ses débuts, la technologie des boîtes quantiques a beaucoup évolué en termes de sécurité et d’utilité. Elle a trouvé sa place dans un nombre croissant de produits, des écrans et éclairages aux capteurs, applications biomédicales, entre autres. Au fil du temps, leur caractère novateur s’est peut-être estompé. Il peut être difficile de se rappeler à quel point la technologie utilisée dans la dernière génération de téléviseurs tape-à-l’œil, par exemple, est novatrice.

Pourtant, les points quantiques constituent un élément essentiel d’une transition technologique qui révolutionne la façon dont les gens travaillent avec les atomes et les molécules.

Le « codage de base » au niveau atomique

Dans mon livre Films from the Future : The Technology and Morality of Sci-Fi Movies, je parle du concept de « codage de base ». L’idée est simple : si on peut manipuler le code le plus élémentaire qui définit le monde dans lequel nous vivons, on peut envisager de le redessiner et de le remanier.

Ce concept est intuitif dans le domaine de l’informatique, où les programmeurs utilisent des 0 et des 1 comme « code de base » (à travers des langages de plus haut niveau). Il est également transparent en biologie, où les scientifiques deviennent de plus en plus habiles à lire et à écrire le code de base de l’ADN et de l’ARN en utilisant les bases chimiques adénine, guanine, cytosine et thymine, comme caractères de codage.

Cette capacité à travailler avec des codes de base s’étend également au monde matériel. Dans ce cas, le code est constitué d’atomes et de molécules : la manière dont ils sont agencés donne naissance à leurs propriétés.

Les travaux de Bawendi, Brus et Ekimov sur les boîtes quantiques sont un parfait exemple de cette forme de codage de base dans le monde matériel. En agençant avec précision des atomes bien choisis pour former des agrégats sphériques (les « dots »), ils ont dévoilé et exploité des propriétés quantiques autrement inaccessibles. Leurs travaux démontrent la puissance du « codage de base »… directement avec des atomes.

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Un exemple de « codage de base » utilisant des atomes pour créer un matériau aux propriétés nouvelles est une « nanocar » à molécule unique fabriquée par des chimistes qui peut être contrôlée lorsqu’elle « roule » sur une surface. Alexis van Venrooy/Rice University, CC BY-ND

Ainsi, ces chercheurs ont ouvert la voie à un codage de base à l’échelle nanométrique de plus en plus sophistiqué, qui débouche aujourd’hui sur des produits et des applications qui n’auraient pas été possibles sans eux. Ils ont également inspiré une révolution nanotechnologique qui se poursuit encore aujourd’hui. La réorganisation du monde matériel par ces moyens novateurs dépasse de loin ce qui peut être réalisé par des technologies plus conventionnelles.

Cette possibilité a été évoquée dans le rapport de 1999 du Conseil national des sciences et technologies des États-Unis (le U.S. National Science and Technology Council), intitulé Nanotechnology : Shaping the World Atom by Atom. Bien que ce rapport ne mentionne pas explicitement les boîtes quantiques – une omission dont je suis sûr que les auteurs se mordent les doigts aujourd’hui, il montre à quel point la capacité de concevoir des matériaux à l’échelle atomique pourrait être transformatrice.

Ce façonnage du monde à l’échelle atomique est ce à quoi Bawendi, Brus et Ekimov aspiraient dans leurs travaux novateurs. Ils ont été parmi les premiers « codeurs de base » de matériaux, en utilisant une ingénierie atomique précise pour exploiter la physique quantique des petits agrégats atomiques – la reconnaissance de l’importance de ce travail par le comité Nobel est bien méritée.

This article was originally published in English

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