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Nouvelle-Calédonie, un vote suivi de très près dans la région Pacifique

Le vote du 4 novembre intervient trente ans après la signature des accords de Matignon. Shutterstock

Une consultation historique va avoir lieu, ce dimanche 4 novembre 2018, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, le voisin le plus proche de la côte est de l’Australie.

Ce vote marque la dernière étape d’un processus politique engagé à la fin des années 1980 pour éteindre le conflit sur l’île, et qui a engendré trente années de stabilité et de croissance économique.

Le scrutin du 4 novembre, tout en permettant au gouvernement français de tenir son engagement, ravive des tensions locales profondément ancrées et inaugure une période d’incertitude pour la Nouvelle-Calédonie elle-même, bien sûr, mais aussi pour la France, l’Australie et la région Pacifique toute entière.

Pourquoi ce vote maintenant ?

Lors du référendum sur la Constitution en 1958, la vaste majorité des Calédoniens (98 %) ont voté en faveur du maintien de leur territoire au sein de la République française, en grande partie du fait de la promesse du gouvernement de l’époque de leur accorder davantage d’autonomie.

Toutefois, dans les années 1960 et 1970, au moment où les Calédoniens ont voulu engager des intérêts étrangers dans l’exploitation des mines de nickel, la France a renié une grande partie de ses engagements. Pour mener à bien le développement de cette industrie et pour assurer la prédominance de la population européenne sur celle des autochtones, tout en préservant sa souveraineté, Paris a encouragé l’immigration en provenance de l’hexagone et d’autres territoires de la République.

Durant la décennie 1980, la montée de la frustration chez les Kanaks a débouché sur des manifestations violentes, et un appel au boycott d’un vote sur l’indépendance en 1987, puis sur une confrontation sanglante avec la gendarmerie à Ouvéa en 1988.



Cet événement tragique, qui eut lieu alors que la politique française dans la zone Pacifique Sud faisait l’objet de vives critiques, conduisit Paris à changer de stratégie. Ce changement d’approche devait déboucher sur la signature des accords de Matignon, en 1988, avec les partisans et les opposants à l’indépendance. Ceux-ci établirent de nouvelles institutions locales et la création de trois provinces, dont deux peuplées majoritairement par les Kanaks. Ce document prévoyait aussi un vote sur l’indépendance en 1998.

Mais à l’approche de cette échéance, les deux parties convinrent que le risque de violence était trop élevé pour pouvoir organiser la consultation. Un nouvel accord fut alors signé (l’accord de Nouméa), reportant le vote de vingt ans en échange de nouvelles délégations de pouvoir aux autorités locales.

Depuis lors, de nombreux progrès ont été accomplis sur place. Deux nouvelles usines ont été construites et une partie des revenus tirés de l’exploitation du nickel ont été redistribués en faveur des autorités locales.

Des partisans du « non » à Nouméa, le 30 octobre, à quelques jours du référendum. Théo Rouby/AFP

Toutes les parties ont accepté de travailler main dans la main dans le cadre d’un « destin commun » incluant toutes les communautés de l’île. Et malgré certains appels en faveur d’un nouveau report du vote, en raison du risque supposé de violence, un accord a été trouvé pour sa tenue.

A quoi peut-on s’attendre ?

Le vote du 4 novembre est le début d’un processus qui peut durer jusqu’à quatre ans. Les Calédoniens ayant le droit à voter dans cette consultation (les autochtones et des résidents de longue date) sont appelés à répondre à la question suivante :

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »

Si la réponse est négative, un deuxième vote pourrait intervenir en 2020 et, en cas de vote à nouveau négatif, un troisième en 2022. Si le « non » devait l’emporter au final, la France devrait alors lancer de nouvelles discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Selon de récents sondages, environ 60 % des électeurs ayant le droit de voter dans cette consultation pourraient se prononcer contre l’indépendance ce dimanche. Mais le doute subsiste, à moyen terme, sur le vote des Kanaks, dont l’inscription se fait automatiquement sur les listes locales. Les dirigeants indépendantistes considèrent en effet qu’une hausse limitée de la population pourrait leur garantir un vote positif à l’horizon 2022.

Meeting des indépendantistes du FLNKS, le 30 octobre, à Nouméa. Théo Rouby/AFP

La France s’est montrée proactive ces dernières années. Le dialogue mené avec tous les acteurs locaux a donné lieu à la publication de deux rapports, en 2013 et en 2016. Fin 2017, Paris a mis en place un Groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Le premier ministre, Édouard Philippe, a déjà annoncé qu’il serait sur l’île, dès le lendemain du référendum, le 5 novembre, pour poursuivre les discussions.

Sur le plan politique, on assiste depuis 1998 à un processus de fragmentation des blocs pro et anti-indépendance. Les élections territoriales ont en effet révélé un soutien croissant de l’opinion aux partis indépendantistes, entamant d’autant la majorité qui perdure en faveur du maintien dans le giron de la France. De chaque côté, on distingue un bloc de partis modérés, qui cohabite avec une frange plus extrême, des indépendantistes radicaux et des pro-France inconditionnels.

Un terrain d’entente semble se dessiner entre les partis modérés de chaque côté du spectre sur un statut d’autonomie dans le cadre d’un partenariat avec la France. Mais la tenue de la consultation et le processus de dialogue politique sont quelque peu brouillés par les élections provinciales de mai 2019, qui pourraient bien modifier les rapports de force à la suite du premier vote sur l’indépendance.

Comme le soulignait récemment l’un des principaux artisans de l’accord de Nouméa, Alain Christnacht, la principale menace réside dans le retour de la violence. Celle-ci n’atteindrait sans doute pas les niveaux des années 1980, mais elle pourrait compromettre la stabilité et la croissance économique du territoire. Il a ajouté que toute solution « bâtie contre une très grande majorité des Kanaks serait certainement peu durable ».

Comment pourraient réagir la France, l’Australie et les nations du Pacifique ?

Paris, qui a promis l’organisation d’un vote totalement transparent et légitime, a tout intérêt, d’un point de vue stratégique, à conserver dans son giron la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit de son joyau dans le Pacifique, et sa perte pourrait susciter un effet d’entraînement en Polynésie et ailleurs.

Lors de sa visite sur place, en mai 2018, le Président Macron a déclaré que la France serait moins « belle » sans la Nouvelle-Calédonie et indiqué que la consultation du 4 novembre 2018 représentait un « choix souverain… dans la souveraineté nationale », autrement dit au sein de la République française.

Il a également évoqué la nécessité pour l’Australie, l’Inde, la France et la Nouvelle-Calédonie (sous souveraineté française) de former un nouvel « axe stratégique » dans la zone Inde-Pacifique afin de contrer la montée en puissance de la Chine.

Pour les États du Pacifique, qui sont parvenus à obliger la France à stopper ses essais nucléaires dans la région et à modifier ses politiques de décolonisation, les enjeux demeurent importants, même si les positions des uns et des autres ont évolué.

Les États insulaires reconnaissent l’existence d’intérêts stratégiques pour la France dans cette zone du globe et l’importance de sa présence pour l’équilibre régional face à de nouveaux acteurs régionaux, telle que la Chine. La Nouvelle-Calédonie et deux autre territoires français du Pacifique ont été admis au sein du Forum des îles du Pacifique. Ils n’en scrutent pas moins avec attention la mise en œuvre de l’accord de Nouméa et envoient des observateurs pour surveiller la bonne tenue de la consultation de ce dimanche.

L’Autralie n’a pas exprimé de position officielle sur le résultat à venir de ce vote. Mais il est clair que la présence française dans la région représente un atout stratégique face à une Chine de plus en plus présente. Dès lors, la déclaration récente de la France concernant le maintien d’un engagement sur le long terme en Nouvelle-Calédonie, quel que soit le résultat du référendum de ce dimanche, apparaît pour le moins souhaitable aux yeux de Canberra.


Cet article a été traduit par Thomas Hofnung de The Conversation France.

This article was originally published in English

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