L’énergie nucléaire constitue un sujet hautement polémique en Afrique du Sud ; dernier rebondissement en date, la dénonciation par une cour de justice du plan du gouvernement prévoyant la construction de 8 nouvelles centrales dans le pays.
Cette décision représente un cinglant revers pour le président sud-africain Jacob Zuma et ses soutiens, qui comptaient sur un développement nucléaire à court terme. Les opposants au projet ont manifesté leur joie à l’annonce de la nouvelle.
Tout le monde s’attendait à ce que le gouvernement fasse appel de cette décision ; ce ne fut pas le cas, mais cela ne signifie pas qu’il faille interpréter cette décision comme le signe d’un revirement.
La ministre de l’Énergie, Nkhensani Kubayi, a en effet indiqué que malgré cette décision de justice, le gouvernement restait totalement impliqué dans l’expansion nucléaire du pays et qu’il était décidé à relancer un nouveau processus de développement sans délai.
Cette attitude laisse sous-entendre qu’un appel aurait peu de chance de succès et qu’un long processus judiciaire mobiliserait les différentes parties prenantes des mois, voire des années, durant. Cela aurait pour effet de retarder encore davantage les projets nucléaires.
La ministre a ainsi fait entendre que le gouvernement ne renonçait pas à soutenir son programme nucléaire controversé. Mais il prend acte du fait que ce dernier doit repartir de zéro. Cela indique très clairement que le président Zuma souhaite lancer ce projet avant la fin de son mandat, en 2019.
La réintégration surprise de Brian Molefe à la tête d’Eskom, la compagnie sud-africaine de production et de distribution d’électricité, est venue s’ajouter aux craintes suscitées par la volonté du gouvernement de ne rien lâcher. Molefe avait quitté son poste en pleine tourmente il y a six mois. Son retour a immédiatement provoqué un tollé dans l’opinion publique. Nombre d’observateurs ont interprété cette réintégration comme une opération visant à renforcer le développement nucléaire du pays.
Mais cela n’est pas si déterminant qu’il y paraît, Eskom ayant maintenu son positionnement pronucléaire en l’absence de Molefe.
Un fait essentiel à retenir ici : même si le président a été très affaibli ces derniers mois, ainsi que le lobby pronucléaire, la lutte autour du futur énergétique de l’Afrique du Sud n’est pas prête de marquer le pas.
Ce que la cour a décidé
La Haute cour a jugé inconstitutionnels et illégaux trois accords intergouvernementaux internationaux ainsi que deux décisions ministérielles relatives à la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Cette décision rend caduque l’accord par lequel l’Afrique du Sud confiait à la compagnie russe Rosatom la construction de ces nouvelles unités. Cet accord avait été passé sans que les coûts de cette construction aient été évalués ; et aucun processus d’appel d’offres concurrentiel n’avait été mis en place.
La Cour a également annulé la décision du gouvernement de confier l’approvisionnement en énergie nucléaire à Eskom ; elle a aussi exigé que les instances de régulation du secteur énergétique s’engagent à des consultations publiques avant tout projet majeur.
Ces décisions obligent le gouvernement à repartir de zéro. Et ce dernier en est venu à la conclusion évidente qu’il ne pourrait parvenir à ses fins qu’en se libérant du poids de l’accord passé avec les Russes.
Le nucléaire dépassé, mais toujours présent
La volonté de développer 9,6 GW de capacité de production énergétique nucléaire s’inscrit dans un plan rédigé en 2010. Mais ce plan est aujourd’hui complètement dépassé. Il a en effet surestimé la croissance de la demande en électricité et n’avait pas anticipé la chute très importance du coût technologique pour l’électricité renouvelable, tout particulièrement pour le photovoltaïque.
La dernière version de ce plan publiée en 2016 ne prévoit pas de besoin en nucléaire pour les 20 prochaines années. Des études ont d’autre part montré que des investissements plus conséquents dans les renouvelables étaient possibles en Afrique du Sud, contrairement à ce qui avait été estimé dans un premier temps.
Le défaut premier du nucléaire réside dans son coût excessivement élevé. Il est d’ailleurs désormais largement reconnu que cette technologie est tout simplement inabordable.
Comment dès lors expliquer l’urgence à développer de si coûteux programmes en Afrique du Sud ?
Un premier élément de réponse pointe l’intense pression exercée par l’extérieur. L’influence d’hommes d’affaires proches du monde politique sur le président, et tout particulièrement la famille Gupta, indique que des oligarques locaux pourraient bien manipuler le président.
Mais la source majeure de cette pression extérieure concerne très probablement les intérêts russes, et en particulier le président Vladimir Poutine. Il n’y a aujourd’hui que des spéculations et aucune preuve à propos de la forte influence du Kremlin sur la tête de l’État sud-africain. Mais ce qui est avéré, c’est que le président Zuma a passé l’accord dénoncé par la justice après une rencontre privée avec Poutine à Moscou en 2014.
Ce qu’il risque d’arriver
Dans la lignée des récentes déclarations ministérielles à propos du nucléaire, on s’attend à ce que de nouveaux accords intergouvernementaux de coopération sur le nucléaire soient conclus et déposés devant le Parlement avant la fin de l’année. Et il est très probable que l’accord russe doive s’aligner sur d’autres, signés avec la France, la Chine, la Corée du Sud et les États-Unis, annulant ainsi tous les avantages réservés à Rosatom. Il y aura cependant toujours le sentiment que le développement nucléaire du pays a été promis aux Russes.
Toutefois, et malgré les efforts du président, le déploiement de nouvelles centrales nucléaires reste peu probable au cours de la prochaine décennie. Car la publication du plan final pour l’énergie – attendue dans les prochains mois – et tous les potentiels ajustements en faveur du nucléaire seront soumis au processus de consultation désormais obligatoire. Cela devrait rendre presque impossible la construction de nouvelles unités avant 2019.
Sans compter qu’après cette date le terrain politique risque de devenir encore plus complexe, 2019 étant une année électorale pour le pays. Le gouvernement en place ne pourra alors pas se permettre d’être associé au dossier très controversé du nucléaire.