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ONG et firmes multinationales au cœur de la mondialisation

Manifestation de Greenpeace devant l’AG de Nestlé le 15 avril 2010 pour protester contre la déforestation en Indonésie. Greenpeace Switzerland/Flickr, CC BY-NC-ND

Les organisations non gouvernementales (ONG) dites de plaidoyer ont aujourd’hui une place importante dans la mondialisation : parallèlement à l’action de régulation des États, ces watchdogs de la mondialisation examinent en permanence l’internationalisation des processus de production et surveillent les choix des firmes multinationales. Ce que l’on sait moins, c’est que ces ONG et leurs actions sont elles-mêmes scrutées par les firmes qu’elles inspectent, et que tout ce petit monde est devenu un objet d’étude théorique, et depuis peu empirique, des économistes.

Les ONG modélisées

Les économistes ont une idée fixe : celle d’invariablement chercher à modéliser l’un ou l’autre aspect de la société, décrivant ainsi le comportement des « agents » autour d’une problématique précise. Des interventions de l’État sur les marchés aux exportations des entreprises, en passant par les décisions de consommation des individus, chaque arbitrage se retrouve ainsi représenté en fonction de ses paramètres essentiels… à l’instar des modèles de physique, par exemple, décrivant les lois régissant l’évolution des particules.

Un « agent » avait pourtant échappé à ce souci de modélisation et de compréhension… Depuis le début des années 2000, les économistes s’intéressent aux ONG car leur comportement diffère non seulement d’une logique pure de marché, mais aussi de celui du secteur public. Une partie importante de la littérature s’interroge sur les motivations sous-jacentes au fonctionnement de ces organisations. Notamment, ces organisations sont caractérisées comme étant dotées d’une « mission » impliquant des éléments de motivation intrinsèque .

La littérature académique discute aussi le rôle des incitations auxquelles les ONG font face dans les nombreuses sphères où elles interagissent, que ce soit du côté de leur besoins de financement en donation, de leurs politiques de gestion des ressources humaines, ou encore de la mise en œuvre de leurs actions dans leur domaine de « mission ». Par ailleurs, certaines études récentes considèrent l’interaction entre ONG et firmes multinationales comme l’issue d’un « jeu stratégique » où campagnes d’information et activités des ONG répondent – et inversement – aux décisions de sous-traitance et de production des entreprises.

Open data : toujours pas d’ONG

À l’instar d’autres disciplines scientifiques, le travail académique en économie se nourrit de la confrontation des prédictions théoriques aux données statistiques. Ceci ne concernait pourtant jusqu’à présent pas l’étude des ONG. Les recherches théoriques existantes étaient ainsi restées sans prolongement empirique, aucune base de données nationale ou internationale n’enregistrant de manière systématique l’existence et les activités des organisations non gouvernementales. Si elles étaient à construire, ces données porteraient à la fois sur le secteur des ONG (nombre, mission, taille…) et sur leurs activités domestiques et internationales (campagnes d’information, cibles, nombre de personnes visées …). Point de comparaison, les statistiques d’entreprises sont, elles, bien plus avancées et largement utilisées par les chercheurs : nombres d’employés, production, taille, localisation et exports sont recueillies par l’administration nationale et les douanes, pour des besoins fiscaux et statistiques…

Un projet de recherche que nous menons notamment au sein du labex OSE géré par PSE a permis d’initier ce travail de collecte et d’obtenir des premiers résultats. Cependant, plusieurs difficultés existent. Premièrement, le terme ONG tel que les chercheurs l’envisagent désigne un ensemble précis d’entités qui ne correspond pas à une catégorie juridique précise, ni au niveau national, ni au niveau international. En France par exemple, une organisation dédiée à une cause correspond, pour la majorité, à la catégorie des associations loi 1901, mais peut également prendre la forme d’une fondation. À l’inverse, une association loi 1901 comprend un spectre bien plus large d’entités que les organisations dotées d’une mission telles que celles auxquelles s’intéressent les chercheurs.

La deuxième difficulté concerne l’objet sur lequel porte la collecte d’information. Alors que les rapports publiés par les ONG ainsi que les identités des cibles sont précis et faciles à rassembler, les raisons sous-tendant leurs campagnes (non-respect du droit du travail, utilisation de substances potentiellement nocives, pollution …) ainsi que les suites (changement de comportement de l’entreprise visée) sont particulièrement compliquées à recueillir : elles sont de nature très différentes en fonction des secteurs, et en définir une mesure s’avère délicat.

Néanmoins, l’intérêt et l’inquiétude d’un nombre grandissant d’entreprises quant au suivi de leurs actions par le monde des ONG ont récemment, et indirectement, aidé les chercheurs dans leur quête de données systématiques et détaillées. Ces craintes ont mené à l’apparition de sociétés proposant des indices de confiance à partir de la « réputation » sur Internet des entreprises en question. Ces indices étant précisément basés sur la quantité et l’ampleur des poursuites et enquêtes menées sur les entreprises par les ONG, il est à présent possible de constituer des bases de données exhaustives, bien que récentes. Du point de vue des économistes, c’est bien sûr une excellente nouvelle.

Les cibles idéales des campagnes d’ONG

Une des questions intéressantes est celle des déterminants du choix de l’objet de la campagne. Pourquoi une ONG choisit-elle une entreprise plutôt qu’une autre ? Généralement, les ONG annoncent dans leurs statuts vouloir cibler les enjeux les plus importants, constituant des menaces globales. Selon cette logique, les ONG environnementales par exemple devraient toutes publier des rapports sur les activités et acteurs ayant les impacts environnementaux les plus graves. Or, les bases de données contiennent une telle variété d’entreprises dénoncées dans divers pays, que cela nous laisse penser que l’ONG tient probablement compte, dans ces choix, de son « marché », son audience : les donateurs, c’est-à-dire les consommateurs de biens dans le pays de l’ONG.

Selon cette logique, une ONG maximisera le retour global d’une campagne en prenant en compte la proximité (au sens large) de l’information choisie selon le « marché » auquel elle parle.

Les premiers résultats obtenus à partir de données agrégées au niveau des pays montrent que cette hypothèse est plausible. La proximité entre le pays de l’ONG et le pays de l’entreprise dont elle dénonce les dérives comptent pour partie dans le choix des cibles. Toutes choses égales par ailleurs, un rapport ciblant une entreprise non nationale se révélera peu attractif aux oreilles de l’audience … sauf si l’action se déroule à domicile ou dans un pays familier. Très certainement, la proximité culturelle, historique, ou géographique du pays de la firme visée sera substituable à celle du pays de l’action.

À titre d’exemple, en 2011, Greenpeace Suisse évoque les efforts à réaliser par l’entreprise Nestlé pour adapter son processus de production en faveur de produits qui respectent les forêts tropicales d’Indonésie. Au même moment, Greenpeace Belgique publie un article mentionnant le fabricant de papier Indonésien Asia Pulp & Paper (APP) et cible… le groupe Delhaize pour sa politique de déforestation. Ces résultats simples marquent le début d’un ensemble de projets : les ONG ont-elles un comportement stratégique vis-à-vis des entreprises multinationales et des pays visés ? Peut-on identifier les coûts supportés et risques encourus par les ONG lorsqu’elles choisissent de cibler des pays difficiles ou des entreprises complexes ?

Autant de questions, parmi tant d’autres, qui sont envisagées dans le cadre le Labex OSE géré par PSE. Issu de cette démarche, le séminaire ONG, Mondialisation et Développement réunit chercheurs et professionnels de terrain afin notamment d’analyser ces acteurs nouveaux et importants de la mondialisation que sont les ONG.

Ce texte est une version longue d’un article initialement publié dans la Lettre trimestrielle de PSE-École d’économie de Paris.

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