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Cellule sanguine. Meowlody/Flickr, CC BY

Parlez-vous biologie ? Secrets de cellules…

On évalue de 10 000 à 100 000 milliards le nombre de cellules de notre organisme. Quel plan guide l’agencement de cet immense puzzle ? Peut-on même parler de puzzle ? Dans ce jeu de patience, initialement, on voit toutes les pièces qui composent l’image, chacune avec son identité. D’où cette différence : l’embryon ne comporte au début qu’une seule cellule, l’œuf, alors que l’organisme sera composé de types cellulaires différant les uns des autres, hématies, neurones, cellules musculaires ou épithéliales… L’architecte doit non seulement construire sa « cathédrale », mais aussi tailler les pierres de différentes formes !

Mémoire moléculaire

La permanence des formes et des fonctions entre les générations indique que la génétique, notre mémoire moléculaire, joue un rôle important. Mais comment dirige-t-elle la construction ? Si elle est nécessaire, est-elle suffisante ? L’analogie avec le puzzle souffre d’une autre faiblesse : ce jeu est à deux dimensions et l’élaboration de nos formes, de nos structures compliquées suggère plutôt l’intervention d’un sculpteur. Il devra déformer la matière cellulaire, lui imposer des contraintes, tout en respectant les propriétés du matériau.

À quel moment les cellules filles deviennent-elles différentes de leur mère et par quel mécanisme ? August Weismann, un chercheur germanique, avait proposé une théorie expliquant l’évolution du destin des cellules filles. La cellule mère, l’œuf, aurait dans son noyau toute une collection de « déterminants » et, au cours de leurs divisions, les filles n’hériteraient que d’une partie de ceux-ci. La nouvelle configuration des déterminants fixerait leur destin.

Quoiqu’astucieuse, cette théorie n’est pas juste comme le montrent des expériences de transplantation de noyau, effectuées par l’Anglais John B Gurdon, dans les années 1960. Des noyaux de cellules de tissus adultes, parfaitement déterminées, ont été implantés dans des œufs fécondés (zygotes), préalablement énucléés. Dans un certain nombre de cas, les chercheurs ont observé un développement normal, aboutissant à des adultes normaux :le noyau d’une cellule adulte, dont le destin est fixé, possède toute la compétence pour développer un nouvel organisme.

La question est de savoir comment la cellule mère, le zygote, engendre les différents types cellulaires. Chaque cellule est une « entreprise » capable de remplir des missions et les ouvriers de cette entreprise sont les « protéines ». Chaque cellule a ses équipes d’ouvriers. Le globule rouge, qui doit transporter l’oxygène, a l’hémoglobine, la cellule musculaire confie la contraction à un système de fibres, l’actomyosine, le neurone transmet ses messages grâce à des récepteurs et des canaux ioniques. On dit qu’il y a 200 types cellulaires et chacun a des protéines particulières.

Mais si les cellules filles sont très différentes de leur mère dans leur forme et dans leurs capacités, elles possèdent tous ses gènes, elles ont en commun la même « bibliothèque sacrée » où sont inscrits les plans de toutes les protéines, comme l’a prouvé l’expérience de John Gurdon. En fait, la question est la suivante : comment, dans la bibliothèque sacrée, choisit-on les volumes qui caractérisent un type cellulaire ?

Lire l’ADN

Structure de l’ADN. Epicxnausea/Wikipédia, CC BY-SA

Voyons l’opération sous un jour un peu quantitatif. L’ADN, ainsi que les protéines, sont de grosses molécules portant de l’information dans leur séquence. L’ADN est une suite de quatre signaux différents qui, selon leur agencement représentent les lettres des volumes sacrés. Les protéines sont aussi des suites de signaux, mais ces signaux sont différents et ils sont au nombre de vingt. On ne sort pas un volume d’ADN de la bibliothèque sacrée : ils restent dans le noyau. Pour fabriquer une protéine, il faut lire l’information d’un livre : on dit d’un gène. À la séquence d’ADN de ce livre, on associe une séquence d’acides aminés, les vingt signaux des protéines. Pour faire cette lecture, il faut un code, maintenant bien connu.

Allons plus loin. Auriez-vous imaginé que la longueur de l’ADN humain est de l’ordre du mètre ? Chaque signal est séparé du suivant par une distance infime mais le nombre des signaux est astronomique ! Chacune de vos cellules possède ce mètre d’ADN qu’il lui faut ranger dans son noyau, ce qui est fait sous forme de chromosomes où l’ADN est enroulé en bobines, elles-mêmes entortillées en figures compliquées. Voilà pour la bibliothèque.

Définir un type cellulaire, c’est choisir l’ensemble des gènes qui seront utilisés par cette cellule, qui les exprimera sous forme de protéines. Mais comment s’effectue ce choix ? Pour faire une protéine moyenne, on estime que l’information, le plan nécessaire, requiert une longueur d’ADN d’une fraction de millionième de mètre. Comment accomplir une tâche si difficile ? Tout d’abord, toutes les parties de cet ADN n’ont pas même valeur. Bien sûr, il y a les gènes, riches de sens, mais il y aussi une longueur énorme de séquences intraduisibles en protéines. Il y a chez l’homme seulement une vingtaine de milliers de gènes : l’ADN correspondant ne représente que quelques pourcents du mètre en stock.

Moines copistes et traducteurs

L’ADN intraduisible est horriblement mélangée à l’ADN traduisible. Il existe dans chaque cellule des « moines copistes » capables de trouver les « volumes » qui ont un sens dans les archives ADN et qui les transcrivent dans un langage plus facile à traduire en protéines, ce langage c’est l’ARN. Le vrai nom de ces machines complexes est « ARN polymérase », mais moines copistes leur convient très bien.

Tout d’abord, ils recherchent le début d’une séquence lisible, d’un livre sur laquelle ils se fixent (l’ARN polymérase se fixe sur le promoteur), puis ils doivent attendre l’autorisation de la copier et c’est là l’opération la plus complexe. Cette autorisation leur est apportée par un facteur, le « facteur de transcription » ; celui-ci doit trouver au voisinage du gène, généralement en amont, une séquence « boîte aux lettres », (séquence régulatrice). La conjonction « boîte aux lettres – facteur » donne l’instruction au « moine copiste » : soit démarrage de la transcription, soit transcription interdite.

Sur le plan moléculaire, les choses peuvent être très complexes. Les facteurs sont très nombreux, ce sont des protéines et un facteur peut reconnaître plusieurs gènes et, inversement, un gène peut posséder plusieurs « boîtes aux lettres » et être contrôlé par plusieurs facteurs. Il vous faut imaginer une machinerie de contrôle très complexe, permettant de commencer ou d’arrêter la lecture d’un gène, et donc l’apparition ou la disparition d’une protéine. En jouant ainsi sur les « facteurs de transcription », on façonne une cellule, jusqu’à obtenir toute l’écurie cellulaire dont nous avons parlé.

L’Écossais D’Arcy Thompson, mathématicien et biologiste a écrit : « La forme d’un objet reflète le diagramme des forces qui l’on engendré ». Cette remarque décrit bien le travail du sculpteur modelant la glaise, elle est plus difficile à introduire dans la morphogénèse (l’apparition des formes) des organismes animaux. La biologie, en effet, s’appuie beaucoup sur la génétique et reste souvent éloignée des forces, c’est-à-dire de la physique. Cependant, ignorer cette science est maintenant impossible.

Gastrulation : schéma du développement embryonnaire. Pidalka44/Wikipédia

La gastrulation, une étape importante du développement de l’embryon, s’accompagne de mouvements spectaculaires des cellules et ces mouvements révèlent l’existence de forces. D’où viennent-elles ? Pour le comprendre, nous devons retourner à la cellule et à son organisation. C’est la présence d’un squelette interne (cytosquelette) et de muscles (actomyosine) qui permet à cette dernière de changer de forme et de se déplacer. Voilà l’origine de ces mystérieux mouvements !

Par les mêmes mécanismes, au cours du développement, les cellules changent de forme, passent d’un prisme à un tronc conique, diminuent leur surface et se déplacent, mais la particularité de ces étapes chez l’embryon tient à l’aspect collectif de ces changements. Ces mouvements collectifs ont été observés à l’aide de techniques sophistiquées de microscopie qui ont dévoilé le rôle des myosines, « des muscles cellulaires ». Qui commande aux muscles ? D’abord les gènes, comme le montre des mutations qui bloquent ce système d’extension, mais les forces physiques qui interviennent dans ces mouvements peuvent aussi être prises en compte par la signalisation et ainsi participer à l’expression des gènes.

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