L’expression « positivité toxique » a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps. À la suite du « mouvement de positivité », nous commençons à reconnaître que, si le fait de se sentir heureux est une bonne chose, trop insister sur l’importance d’une attitude positive peut finalement se retourner contre nous et, ironiquement, nous rendre plus malheureux.
Oui, certaines recherches montrent que les personnes « heureuses » ont tendance à vivre plus longtemps, à être en meilleure santé et à avoir une vie plus réussie. Et les personnes « très heureuses » bénéficient plus de ces avantages que les personnes « moyennement heureuses ».
Mais si bénéfiques qu’ils soient, bonheur et positivité, quand ils deviennent des injonctions trop fortes, peuvent devenir toxiques.
Nos travaux, publiés dans le Journal of Positive Psychology et impliquant près de 500 personnes, ont été inspirée par ces résultats apparemment contradictoires – la recherche du bonheur pouvant être à la fois bonne et mauvaise pour notre bien-être. Nous avons cherché à découvrir l’ingrédient clé qui rend toxique la positivité.
Attendre le meilleur, se sentir au plus bas
Certaines études ont montré que lorsque les gens accordent une grande importance à leur propre bonheur, c’est paradoxalement là qu’ils peuvent être moins heureux. En particulier dans les contextes où ils s’attendent le plus à se sentir heureux.
Cette tendance à s’attendre à être heureux puis à se trouver déçu ou à se reprocher de ne pas être suffisamment content a été associée à des symptômes dépressifs plus importants et à des déficits de bien-être. C’est exactement ce que dépeint une caricature de Randy Glasbergen, où un patient raconte son problème à son psychologue :
« Je suis très, très heureux… Mais je veux être très, très, très heureux, et c’est pourquoi je suis malheureux. »
Ce qui ne veut pas dire que rechercher le bonheur nous condamne à la dépression… Des chercheurs ont en effet observé que lorsque l’on privilégie les comportements qui maximisent la probabilité d’un bonheur futur (plutôt que d’essayer d’augmenter tout de suite le niveau de bonheur de l’instant), on a plus de chance de connaître des améliorations et non des déficits de notre niveau de bien-être.
Concrètement, il peut s’agir de s’engager dans des activités qui procurent un sentiment d’accomplissement ou de finalité : le bénévolat ou l’accomplissement de tâches difficiles, la mise en place des routines quotidiennes qui favorisent le bien-être, etc.
Ces travaux suggèrent que le fait de rechercher le bonheur indirectement, plutôt que d’en faire notre centre d’intérêt principal, pourrait faire passer notre recherche de positivité de toxique à tonique.
Valoriser le bonheur vs prioriser la positivité
Nous avons voulu découvrir en quoi le fait de faire du bonheur un objectif central pouvait se retourner contre nous.
Pour mieux comprendre, nous avons mesuré ces deux approches de la recherche du bonheur : valoriser le bonheur et donner la priorité à la positivité. Les personnes qui valorisent le bonheur sont d’accord avec des affirmations telles que « Je me préoccupe de mon bonheur même lorsque je me sens heureux » ou « Si je ne me sens pas heureux, c’est peut-être que quelque chose ne va pas chez moi ».
Par contre, celles qui donnent la priorité à la positivité plébiscitent davantage des affirmations telles que « Je structure ma journée de manière à maximiser mon bonheur » ou « Je recherche et nourris mes émotions positives ».
Nous avons également analysé dans quelle mesure nos participants se sentaient mal à l’aise avec leurs expériences émotionnelles négatives. Pour ce faire, nous avons demandé des commentaires à des affirmations telles que : « Je me considère comme en échec lorsque je me sens déprimé ou anxieux » ou « Je m’aime moins lorsque je me sens déprimé ou anxieux ».
Ceux qui s’attendent à se sentir heureux (score élevé en valorisation directe du bonheur) ont également tendance à considérer leurs états émotionnels négatifs comme un signe d’échec dans la vie et à ne pas accepter ces expériences émotionnelles. Ce malaise face aux émotions négatives expliquait en partie pourquoi leurs niveaux de bien-être étaient plus faibles.
En revanche, les personnes qui recherchent le bonheur de manière indirecte (score élevé pour la priorité donnée à la positivité) ne voient pas les choses de la même façon. Elles acceptent mieux les sentiments négatifs et ne les considèrent pas comme un signe d’échec.
Cela montre que lorsque les gens croient qu’ils doivent maintenir en permanence des niveaux élevés de bonheur pour que leur vie ait un sens, ou pour être appréciés par les autres, ils réagissent mal à leurs émotions négatives. Ils luttent contre ces sentiments ou essaient de les éviter, plutôt que de les accepter comme une partie normale de la vie.
La recherche indirecte du bonheur n’entraîne pas la même réaction. Se sentir déprimé ou stressé n’est pas incompatible avec la recherche du bonheur.
Qu’est-ce qui rend la positivité à tout prix toxique ?
Il semble donc que l’ingrédient clé de la positivité toxique ne soit pas la positivité elle-même. Mais plutôt la façon dont l’attitude d’une personne face au bonheur l’amène à réagir aux expériences négatives de la vie.
Connaître la douleur, l’échec, la perte ou la déception dans la vie est inévitable. Il y a des moments où nous nous sentirons déprimés, anxieux, craintifs ou seuls. C’est un encore fait. Ce qui compte, c’est la façon dont nous réagissons à ces expériences… Est-ce que nous nous penchons sur elles et les acceptons pour ce qu’elles sont, ou est-ce que nous essayons de les éviter, de les fuir ?
Si notre objectif est d’être heureux en permanence, nous pouvons avoir l’impression que les moments difficiles nous empêchent d’atteindre notre but. Mais si nous donnons la priorité à la positivité, nous sommes moins préoccupés par ces sentiments – nous les considérons comme autant ingrédients d’une bonne vie et une partie du voyage global.
Plutôt que de toujours essayer de « renverser un froncement de sourcils », soyons disposés à nous asseoir avec ces émotions inconfortables et à chercher à comprendre que faire : cela nous rendra plus heureux sur le long terme. Apprendre à faire face plutôt qu’à réagir à ces émotions est un facteur clé de notre bonheur.
Notre réaction à l’inconfort est souvent de fuir et d’atténuer la douleur. Cela peut signifier que nous employons des stratégies inefficaces de régulation des émotions, comme l’évitement ou la suppression des sentiments désagréables.
Si nous le faisons, nous ne parvenons pas à tirer parti de l’éclairage qu’apportent ces expériences désagréables. Pour bien réagir à ces expériences, il faut accepter d’être mis « mal à l’aise » – d’être, finalement, à l’aise avec le fait d’être inconfortable. Nous pouvons alors accepter de ressentir ce que nous ressentons, et être curieux du pourquoi de ces sentiments. Cette réaction nous permet d’accroître notre compréhension, de voir tous nos différents choix possibles et de prendre de meilleures décisions.
Comme le dit un proverbe bouddhiste : « La douleur est inévitable. La souffrance est facultative. »